On ne peut plus cacher le délabrement que subissent les services publics en France : l’hôpital, l’école, l’université et la recherche. Tous sont victimes de privatisations rampantes, de restrictions budgétaires ou de soumissions à des normes de gestion et de rendement. Que ce soit avec la T2A à l’hôpital ou le refus d’augmenter significativement le nombre de soignants ou d’enseignants, et même le délaissement de l’entretien du réseau ferré traditionnel, on trouve les pratiques du capitalisme néolibéral.
Mais comment comprendre cette obstination à réduire les dépenses publiques ? Au fond, l’idéologie libérale bourgeoise s’est persuadée et veut persuader que les activités humaines réalisées sous l’égide de l’État, des collectivités territoriales et de la Sécurité sociale sont de pures dépenses sans être aucunement productives. Il s’ensuivrait l’obligation de prélever sur les seules activités marchandes les ressources pour financer celles qui sont non marchandes, c’est-à-dire qui ne dégagent pas de profit. Non seulement cette vision est de nature à accroître les inégalités d’accès à l’éducation la santé etc., si ces services sont détériorés, mais elle est totalement erronée d’un point de vue logique : aussi fausse que l’assertion selon laquelle le soleil tournerait autour de la terre. Pourquoi ?
Il convient, pour le comprendre, de dépoussiérer complètement la conception du travail productif dans les sociétés capitalistes modernes. Les luttes sociales ont peu à peu permis de créer un espace non marchand où ne règne pas l’obligation de valoriser le capital. La décision politique d’apprendre à lire et écrire à tous les enfants, de soigner les malades, de rechercher, etc., est suivie de l’embauche d’enseignants, de soignants et autres personnels. Ces travailleurs sont productifs de services utiles, c’est-à-dire de valeurs d’usage, mais aussi de valeur monétaire non marchande, qui s’ajoute à la valeur marchande et non pas soustraite à cette dernière. C’est ainsi que les comptables nationaux ajoutent le produit intérieur non marchand au produit intérieur marchand. Le travail dans l’hôpital public, l’école ou l’université n’a pas besoin d’être socialement validé par la vente d’une marchandise. Il est socialement validé par une décision politique démocratique. Il découle de cette décision que les impôts et les cotisations sociales qui paient collectivement ces services sont prélevés sur un produit global déjà augmenté du produit non marchand.
Mais alors, où le bât blesse-t-il ? À deux endroits. D’abord, les forces de travail et les ressources et équipements utilisés pour produire des services non marchands ne sont plus disponibles pour produire des marchandises et donc de la plus-value pour le capital. Ensuite, le paiement collectif de ces services exige des impôts dont au moins une partie est progressive et qui s’attaque un peu (trop peu) aux inégalités de revenus. L’acharnement à réduire l’espace collectif non marchand réside là.
Pour résister à cet acharnement, les luttes concrètes contre les suppressions de classes, de lits à l’hôpital, de maternités de proximité, sont indispensables. Mais le combat se situe aussi sur le plan théorique et culturel.
Jean Marie Harribey membre du conseil scientifique d’Attac, des Économistes atterrés et de la Fondation Copernic
- J.-M. Harribey, En finir avec le capitalovirus, Dunod, 2021. Beaucoup de contributions dans ce sens sur http://harribey.u-bordeaux.fr/travaux/valeur/index-valeur.html.
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N. Cardot, É. Debauche, Insee, 3 décembre 2021, https://blog.insee.fr/dans-quelle-mesure-les-administrations-publiques-contribuent-elles-a-la-production-nationale.
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