Face à la puissance du capital tentaculaire, à la structuration du pouvoir de plus en plus autoritaire, à une redoutable hégémonie médiatique, il nous faut des forces organisées pour les contrer. S’agit-il encore de partis ? La réponse ne saurait être tranchée en quelques lignes dans une réponse catégorique. Mais il me semble que oui : nous avons toujours besoin de partis. Parce qu’ils constituent un potentiel, un vivier, un réservoir, une mémoire. D’abord en termes d’élaboration théorique et stratégique : bien sûr, ils n’en ont pas l’exclusivité mais permettent en général d’analyser les rapports de forces, d’avancer des programmes ajustés à la situation. Ils portent aussi l’héritage des luttes passées.
Alors pourquoi la crise actuelle des partis politiques, à gauche en général et en particulier dans la gauche radicale ? Sans doute d’abord parce que la forme-parti incite parfois au sectarisme : il faut tenir ferme sur ses positions, tellement, que le recul finit par manquer. Le regretté Alain Krivine, en ne lâchant à aucun moment prise durant toute sa vie sur l’impératif de construire un parti, avait conscience du danger. Il incitait à « nouer des liens avec les « organisations de masse », « un syndicat, une association de locataires, un comité antiraciste ou un groupe féministe. Bref, un regroupement où côtoyer des gens normaux»1. Mais cela ne suffit pas. Les organisations politiques paraissent avoir peur de leur ombre : peur, en fait, de leurs militant-es. Dans la gauche radicale, beaucoup, qui ne jurent que par l’émancipation, la démocratie directe et le refus des dominations, ne font pas confiance en leur « base » et ne lui donnent pas les moyens de l’auto-organisation. Même dans les partis les plus soucieux d’échapper à la verticalité, celle-ci pourtant est souvent reconduite.
Un autre paradoxe du même acabit tient dans les querelles personnelles et les conflits d’egos. Certes, dans ces batailles internes, les motifs sont souvent politiques. Mais il y intervient aussi, sinon des ambitions, du moins des satisfactions d’orgueil. Le politiste Daniel Gaxie l’a analysé il y a assez longtemps de ça déjà : il existe des « rétributions affectives » du militantisme. Non pas de l’argent, ni des postes, ni même du pouvoir, mais une certaine estime de soi. Ces « rétributions » sont pour beaucoup positives. Voilà ce que citait Gaxie : « la solidarité, la cohésion, la communauté des goûts et des sentiments, l’identification à un groupe, les joies de la victoire, les réconforts mutuels dans les défaites et dans les malheurs individuels, les risques et les épreuves affrontés en commun, les réunions où se retrouvent les vieux amis et où s’égrènent les souvenirs, les controverses passionnées, les longues discussions poursuivies au café, l’affection, la complicité, l’amitié des militants procurent des joies que l’on peut juger prosaïques et accessoires, mais qui constituent pourtant un puissant moyen d’attachement au parti». Le problème est qu’elles semblent parfois disparaître sous la tension des conflits internes.
Pour les surmonter, trois perspectives se dessinent : avoir confiance dans l’intelligence collective et la plus vive démocratie ; sortir de l’entre-soi, notamment de son corpus théorique, trop souvent mal renouvelé – donc aller lire et expérimenter ce qui s’élabore ailleurs qu’au sein du parti ; accepter que les désaccords ne soient pas des querelles de chapelles : ne pas en faire des abcès de fixation mais des points d’appui pour des élans constructifs. Et je ne crois pas que ce soit naïf…
Ludivine Bantigny
- Alain Krivine, Ça te passera avec l’âge, Paris, Flammarion, 2006, p. 85 sq.
- Daniel Gaxie, « Économie des partis et rétributions du militantisme », Revue française de science politique, n° 1, 1977, p. 123-154.
Il me semble que cette crise des partis cache une crise de la confiance dans ces partis y compris dans ceux de la gauche radicale ainsi qu’une crise de confiance dans la démocratie représentative. D’un côté les dirigeants politiques alliés du capital imposent leurs décisions à la population sans se soucier de la crise écologique. De l’autre un renversement révolutionnaire parait improbable et incertain. Une troisième voie de type zad et réappropri
Il me semble que cette crise des partis cache une crise de la confiance dans ces partis y compris dans ceux de la gauche radicale ainsi qu’une crise de confiance dans la démocratie représentative. D’un côté les dirigeants politiques alliés du capital imposent leurs décisions à la population sans se soucier de la crise écologique. De l’autre un renversement révolutionnaire parait improbable et incertain. Une troisième voie de type zad et réappropriation collective des territoires (communalisme, confédération démocratique, municipalisme libertaire…) explorée dans le Chiapas zapatiste, l’expérience kurde au Rojava s’inspire de la pensée de Murray Bookchin et à l’avantage d’offrir aux citoyens une démocratie continue et participative.