Colloque hors les murs Gilets Jaunes à Bordeaux – 16 et 17 novembre 2022
« De la valse des ronds-points aux cahiers de la colère »…
A l’échelle nationale, Bordeaux et le département de la Gironde ont figuré parmi les territoires où l’impact et les manifestations des Gilets Jaunes ont été les plus fort·es . C’est ce rapport de forces construit par les Gilets Jaunes d’une part, et l’engagement d’équipes de recherche de différentes disciplines universitaires motivées par l’irruption des Gilets Jaunes d’autre part, qui ont rendu possible à la fois la prise en compte des Gilets Jaunes par les collectivités locales à Bordeaux et ailleurs en Gironde, une remarquable couverture de presse et enfin l’organisation de ce colloque les 16 et 17 novembre, date anniversaire de l’irruption du mouvement.
Il s’agit là d’une initiative originale, la seule en France, accueillie d’abord par les Archives départementales et le lendemain par le Musée d’Aquitaine, et impulsée par l’Association citoyenne « Pourquoi pas 33 », avec plusieurs Gilets Jaunes de Bordeaux et de Gironde. Ceux-ci et celles-ci étaient présent·es dans la salle, intervenant·es dans les débats et les tables-rondes tout au long des deux journées, dans une ambiance à la fois très attentive et fort chaleureuse, avec une mixité générationnelle et de genre.
La première journée a été marquée en matinée par un retour sur l’expérience extraordinaire des cahiers de doléance, leur contenu, leurs exigences, que ce soit en milieu urbain ou en milieu rural. Le travail de dépouillement des cahiers de doléance confirme, s’il en était besoin, les thématiques et les exigences majeures des Gilets Jaunes, centrées sur la démocratie réelle (la place prise par le RIC), la dignité et le respect, la justice sociale et climatique, et, faut-il le rappeler, une dimension profondément pacifique et le refus généralisé de la violence. Il a été redit aussi avec force -mais il est bon d’y revenir sans cesse!- que les thématiques sécuritaires et autres discours stigmatisants sur l’islam et l’immigration, tant entendu·es pendant la double campagne électorale et de manière générale dans la sphère politique et médiatique, ont été quasi-absent·es des cahiers de doléance étudiés par les équipes de recherche !
Le mouvement des Gilets Jaunes a été resitué dans un contexte plus général, celui du mouvement des places et des mobilisations anti-austérité.
L’après-midi a été l’occasion de revenir à l’échelle nationale sur l’inventivité et la formidable variété des slogans photographiés de Gilets Jaunes et de banderoles de toute la France : deux caractéristiques marquantes qui, combinées à la radicalité et à l’humour, rappelaient fortement Mai 68.
Le traitement médiatique des Gilets Jaunes a également été analysé, de même que le rôle joué par les réseaux sociaux.
Il y eut aussi une réflexion passionnante sur les aspirations démocratiques des Gilets Jaunes, leur refus de toute représentation et délégation de pouvoir, permettant d’amorcer une autre réflexion sur la démocratie dite participative et les limites des dispositifs institutionnels qui s’en réclament, avant qu’une table-ronde rende compte de la diversité des collectifs des Gilets Jaunes.
La soirée s’est prolongée au cinéma Utopia, avec la projection du films Quartier Général de Nathalie Loubeyre sur les Gilets Jaunes de Montpon-Ménestérol.
La seconde journée a été introduite par l’élu-adjoint bordelais à l’égalité, dans le cadre de la Quinzaine de l’Égalité municipale, faisant le lien entre l’apport du mouvement des Gilets Jaunes et la lutte contre les discriminations.
La suite de la matinée a permis d’élargir l’analyse du mouvement des Gilets Jaunes et de leur fonctionnement à d’autres régions (Occitanie et plus précisément Toulouse) mais aussi d’aborder la question du « spectre des convergences populaires d’hier et d’aujourd’hui », avec y compris un rappel des fondamentaux de la Commune de Paris en 1871.
L’après-midi a été l’occasion de revenir sur plusieurs dimensions majeures du mouvement des Gilets Jaunes : la très forte participation des femmes, la violence policière révoltante subie par les Gilets Jaunes à rapprocher de celle qui s’abat sur les quartiers populaires, la répression vue du côté judiciaire, les relations complexes mais aussi les convergences entre organisations syndicales et Gilets Jaunes.
De nouveaux apports historiques à l’échelle locale, enfin, ont été proposés, par exemple sur le thème « De la grève de 1906 des tonneliers à Saint-Macaire à la lutte des Gilets Jaunes de Saint-Macaire », avant l’expo-photo « N’a qu’un œil » et les lectures performatives des Crieurs de rue.
Restituer la richesse des échanges de ces deux journées ? Mission impossible…
Enfin, les perspectives ont été aussi abordées, en signalant d’une part l’activité maintenue de nombreux collectifs de Gilets Jaunes, même si elle est aujourd’hui ignorée des grands médias et si la participation est beaucoup plus modeste, et d’autre part le projet de mettre sur pied une ou des université(s) populaire(s) des Gilets Jaunes.
Le mouvement n’a donc pas disparu et les braises sont toujours là, dont la possible réactivation continue d’inquiéter les plus hauts sommets de l’État.
On peut comprendre cette hantise de la part des élites, qu’on rapprochera de cette information livrée dans l’un des débats de ce colloque : au plus fort de la mobilisation des Gilets Jaunes, le maréchal Sissi, symbole de la contre-révolution et de la dictature égyptiennes, avait ordonné que toutes les boutiques du Caire fassent disparaître de leurs vitrines et de leurs rayonnages tout tissu de couleur jaune…
Bruno Della Sudda
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