Entretien avec Diangou Traoré, militante associative du quartier du Franc-Moisin à Saint-Denis
Une île – ville où se concentrent de nombreux enjeux de la société française et de notre époque. Terre polluée, population marginalisée socialement, économiquement, géographiquement, collectivité dotée de moyens limités, etc. Un territoire en “rupture d’égalité”, comme a pu le démontrer le Maire, Mohamed Gnabaly et son équipe municipale, ou encore, comme le travail des acteurs de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) du territoire l’illustre.
Par son histoire, l’île témoigne de choix courants des rapports Centre / Périphérie. Elle a accueilli les déchets de Paris, les industries les plus polluantes pour que les vents dominants venant d’Ouest chassent les fumées gênantes vers l’Est, les populations, d’ici ou d’ailleurs, nécessaires pour faire tourner les usines, avant que ces dernières ne ferment, laissant des bâtiments vides, et le chômage. Elle souffre comme beaucoup de la Seine-Saint-Denis de l’absence des moyens humains et matériels effectifs (même si régulièrement annoncés, promis à la suite de luttes constantes avec l’État) pour faire fonctionner le minimum de services publics rapportés aux besoins des populations.
Elle se trouve donc à l’embouchure des défis environnementaux, sociétaux et économiques qui, chacun en se mêlant à l’autre, nourrissent un tourbillon assassin, destructeur, usant. Et pourtant, L’Île-Saint-Denis est une île, parmi d’autres, d’un archipel des vivants qu’il faut urgemment dessiner sur nos cartes.
Une ville – île qui avance en sondant au milieu d’un fleuve de possibles pour trouver un chemin vers une société plus juste et égalitaire. C’est une barque qui plonge sa perche dans le courant des luttes, pour propulser ses passagers, en évitant les rochers, les hauts-fonds, que l’eau grossit toujours plus, comme pour nous empêcher d’agir.
Pour cela, plusieurs principes sont travaillés, issus de choix collectifs ou d’expériences d’acteurs publics ou privés, animés par l’envie d’agir au service du territoire et de ses habitants. Quelques exemples peuvent aider à naviguer.
D’abord, il faut renouveler l’action publique en s’accordant sur un diagnostic actualisé (et pas simplement reconduit) et en cherchant des réponses nouvelles (mais pas innovantes) mises en œuvre par les différentes parties prenantes : collectivités, structures privés, en particulier du champ de l’ESS, habitants. Cela nécessite de construire un « Partenariat Public Privé » auquel on rajoute les « P » manquants de Population, Pédagogie (apprendre à travailler ensemble) et pour la Planète : un « PPPPPP » ! Le PHARES (pour « Pôle d’Hospitalité des Activités à Rayonnement Écologique et Solidaire »), pôle de l’ESS sur L’Île-Saint-Denis, est un carrefour de coopérations, porté par une SCIC (Cité PHARES). Il ne s’agit plus de « faire ensemble » mais bien de « faire collectif ».
Ensuite, les acteurs doivent imaginer mille façons de lutter contre la prolétarisation, entendue ici, avec Bernard Stiegler, comme la perte des savoirs. Cela s’incarne dans des recherches-actions pour modéliser de « nouveaux métiers urbains », supports de formation pour des personnes éloignées du marché du travail. Ces métiers sont déspécialisés (non répétitifs), s’appuient sur des savoirs révélés car présents au sein de la population, et rendent un service environnemental à la ville. L’association Halage a ainsi participé à donner corps à des collecteurs-composteurs, des horticultrices urbaines, des faiseurs de terres et bientôt peut-être des médiateurs écotouristiques. Cela se trouve aussi par la rencontre des savoirs, entre savoirs expérientiels et savoirs universitaires dans la perspective de mieux comprendre les processus, les écosystèmes. Et cela se nourrit de la circulation des savoirs, en faisant dialoguer des acteurs du territoire ou d’ailleurs, dans des programmes de recherche en sciences sociales et philosophie.
Enfin, le temps doit être affirmé comme l’ingrédient ultime. Il est alors, d’une part, le temps d’une narration qui s’écrit en assumant le passé pour s’inscrire dans le présent et imaginer l’avenir. Il est, d’autre part, le temps nécessaire à chacun.e pour embarquer, se connaître, s’écouter.
Ainsi, L’Île-Saint-Denis, sa mairie, ses habitants, ses acteurs, comme Halage, s’organisent pour une approche systémique face aux défis environnementaux, sociaux, économiques, politiques, sociétaux, une île dans un archipel des vivants qu’il faut relier…
Stéphane Berdoulet
co-directeur Association Halage, co-gérant SCIC Cité PHARES, cofondateur SAS Les Faiseurs de Terres, SAS Les Alchimistes
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