Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Cœur noir

Silvia Avallone a en commun avec Virginie Despentes, avec qui on la compare parfois, cette tendresse de gueules cassées, des marges à partir desquelles on voit bien mieux qu’au milieu de la nasse. « On ne voit bien qu’avec le cœur » Saint-Ex a raison. Et bien mieux encore depuis les marges. Italie du Nord. Un village perdu dans le Val d’Aoste, une classe d’une douzaine d’élèves. Un téléphérique abandonné. Marqué par la mort, la désertification d’un territoire. Cœur noir. La côte est rude pour y arriver. Les bois environnants forment un no man’s land qui isole de l’A4, d’en bas, du monde au fond comme on le dit à la télé. La Vallée où tout semble possible, l’endroit pour se mettre à l’abri. Comme au temps de la Covid. Pour fuir la ville. Seulement la ville ?

Dans ce qui fait société comment se nouent les faux-semblants, les non-dits dont on peine terriblement à sortir. Les indicibles qu’on enfouit, écrase au fond de soi. Qui vous mangent l’intérieur cependant. 

Emilia retourne dans son village natal, après des années noires. Pour tenter un renouveau ? Bruno y enseigne, occupant la maison familiale. Basilo s’occupe de retaper l’église et ses retables. Patrizzia remugle ses rancœurs et des frustrations dont aucun/e de ses élèves n’est responsable. Chacun/e son drame. Ce qui casse le cours d’une vie, la renverse, nécrose son temps comme un foudroiement. Cœur noir.

A quelques centaines de kilomètres, l’Institut Pénitentiaire pour mineurs. Le Couvent, ce foyer-prison. Un autre (?) monde. Des années de tôle, d’une si banale énormité que toute humanité se renfrogne dans les interstices des barreaux de la cellule. Là aussi où l’on va à l’école. Passer un diplôme. Être quelqu’une ? arrivée ? reconnue ? Dehors, les bruits de la circulation. Dehors. Et dans toute cette histoire, plurielle mais combien cohérente, la valse des plaisirs, des désirs, d’une ville terre promise.

Et quelques retours sur ces moments d’exception, livrant la rancitude des regards figés dans l’opprobre.

La rédemption, la pesanteur du regard social sur la monstre, l’article enfoui du journal qui vous claque le petit jour quand on commençait à voir l’aube…« Tu peux être une personne différente de celle que voient les autres » ? Peut-on être autrement que ce qu’on « lui » avait dit d’être ? Dans les accidents de la vie, l’indicible a son poids , l’innocence aussi . Nous « ne sommes pas nos traumatismes ». L’agonie des solitudes, ça se mérite. Mais de toute façon tout se finit. L’avenir est inévitable. 

Dans ce roman, on croise la réinsertion, le pardon, les violences conjugales et sexistes, la frime, torsion douloureuse d’une adolescence qui ne se trouve pas. C’est qui l’Adulte ? 

Je n’ai pas seulement été pressé d’en connaître la fin. Le déliement de ces nœuds constitue chaque fois une séquence à part entière dans une histoire dont le dénouement reste jusqu’au bout incertain. Sans évidence.

Silvia Avallone nous sert du Caravage à plusieurs reprises. Comme illuminations étincelle, lumières vives. Comme ce rai d’espoir par lequel la réinvention ouvre un autre avenir. Ses amours, le village sous la neige, la plage. Quand on a posé son fatras , extirpé ses colères mortifères. Classé enfin. Être soi. On est pris dans cette narration. Et bien difficile de ne pas y trouver bien des connections avec nos réels. Au final, un roman lumineux, haletant, dans ce monde de brutes. Les barbares…. 

Patrick Vassallo

Cœur noir, Silvia Avallone, Editions Liana Levi, février 2025, 448 pages, 23,00 €.

 

 

Cet article fait partie du dossier :

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