Le mouvement d’émancipation des femmes, loin d’être un simple combat pour l’égalité femmes/hommes, s’inscrit dans une lutte plus vaste contre des systèmes de domination imbriqués : patriarcat, capitalisme, racisme, colonialisme, etc. Avant d’aller plus loin, il est essentiel de reconnaître que les droits des femmes ne suivent pas une progression linéaire, mais ont été et sont toujours ponctués d’avancées et de reculs, avec des résistances face aux progrès féministes.
le féminisme fait face à des résistances croissantes
Depuis les luttes historiques pour les droits des femmes, le mouvement d’émancipation des femmes a obtenu des victoires essentielles, notamment en matière de droits civiques et sociaux mais aussi dans le monde du travail avec la reconnaissance du harcèlement sexuel, puis celle du harcèlement sexuel environnemental. Pourtant, alors que des campagnes comme #MeToo et des lois de protection se multiplient, les féminicides et violences de genre persistent en France et dans de nombreux pays.
En effet, parallèlement aux avancées pour les droits des femmes, le féminisme fait face à des résistances croissantes, notamment de la part des mouvements masculinistes et des groupes hostiles à l’égalité, qui orchestrent un véritable backlash1. Cela souligne la résistance profonde d’un système de domination, le système patriarcal.
Le mouvement masculiniste, ou mouvement des droits des hommes (MRM, pour Men’s Rights Movement), est né en réaction aux avancées des mouvements féministes, surtout à partir des années 1970. Ce mouvement regroupe différents groupes et individus qui considèrent que les droits des hommes sont menacés ou négligés par rapport à ceux des femmes, souvent dans les pays occidentaux. Il s’est développé à la fois en réponse à des changements sociaux (divorce, garde des enfants, réformes pour l’égalité) et face à la montée des droits des femmes qui, selon les masculinistes, marginaliseraient les hommes ou porteraient atteinte à la ” masculinité traditionnelle “.
Ce backlash prend différentes formes à travers le monde, mais son objectif reste le même : maintenir un système patriarcal et hétérosexiste en place, où les femmes sont reléguées à des rôles subalternes et dépourvues de droits2. Un exemple marquant de ce backlash est la montée des politiques misogynes et des attaques contre le droit à l’avortement dans de nombreux pays.
Par ailleurs, il est important de souligner que le backlash antiféministe ne se limite pas aux droits des femmes, mais englobe également les droits des personnes LGBTQIA+ et notamment des personnes trans, en cherchant à effacer leur existence, en mettant en place, ou en maintenant là où elles existent, des thérapies de conversion, en cherchant à restreindre leur accès à l’éducation, à la santé et à d’autres droits fondamentaux.
Les féministes intersectionnelles soulignent aussi comment les oppressions interagissent et se renforcent mutuellement. Elles dénoncent, par exemple, l’instrumentalisation des droits des femmes pour justifier des politiques racistes ou islamophobes, illustrant le besoin d’un féminisme inclusif.
Les mouvements anti-droits sont souvent des coalitions hétéroclites, regroupant des États conservateurs, des organisations d’extrême droite, des mouvements religieux fondamentalistes et des grandes fortunes. Ils défendent un agenda rétrograde et misogyne, notamment au niveau des instances internationales. Par exemple, la Déclaration du Consensus de Genève. Le Consensus de Genève est une déclaration politique qui a été poussée par l’administration Trump des États-Unis en 2020. Cette déclaration réaffirme la souveraineté des États en matière de droit à l’avortement et leur opposition à ce droit. Elle a réuni un groupe d’États divers, notamment les États-Unis, le Brésil, l’Égypte, la Russie, la Hongrie, l’Arabie saoudite et quelques États d’Afrique de l’Ouest. Cette déclaration est considérée comme une initiative visant à affaiblir les droits des femmes au niveau international, en s’opposant aux avancées en matière de santé reproductive et de droits sexuels.
Ces mouvements sont politiquement et financièrement connectés, ce qui leur permet de promouvoir une vision patriarcale de la société et de s’attaquer aux droits des femmes et des personnes LGBTQIA+. Ils utilisent des outils démocratiques pour restreindre ces droits, et bénéficient souvent du soutien d’une minorité influente et de financements importants, notamment de la droite évangélique américaine.
En France, nous avons également été témoins d’une montée des discours anti-IVG. Nous rencontrons ces mouvements à travers des fondations comme la Fondation Jérôme Lejeune3, qui mène une véritable croisade contre le droit à l’avortement. Cette opposition à l’IVG est révélatrice du système hétéro-patriarcal qui persiste dans notre société et qui entrave les droits des femmes à disposer de leur corps.
Face à cela, il nous semble crucial de s’unir mouvement féministe, associations et syndicats pour continuer d’obtenir des avancées, changer la société et faire reculer les résistances. Les luttes syndicales et féministes se rejoignent dans leur quête pour une société plus égalitaire. Le syndicalisme, en promouvant les droits des travailleurs et travailleuses, joue un rôle essentiel dans l’avancée des droits des femmes, particulièrement sur les questions d’égalité salariale, de lutte contre le harcèlement sexuel et moral, ou encore d’accès à des conditions de travail décentes.
La collaboration entre syndicats, comme l’Union syndicale Solidaires, et les associations féministes permet de combattre les violences et discriminations sexistes au sein des entreprises mais aussi de rappeler que le privé est politique. Et le monde du travail devrait aussi protéger les victimes de violences intrafamiliales. Des solutions existent comme des congés supplémentaires pour faire des démarches, ou la mobilité géographique, etc. Et cela, nous l’obtiendrons en luttant ensemble syndicats et mouvements féministes ! Ensemble, nous pouvons agir pour des réformes concrètes et pour une transformation des mentalités dans le monde du travail.
La “culture carabine”
En tant que syndicaliste, je voudrais revenir sur une lutte que nous avons impulsé au CHU de Toulouse avec les collègues de ma section SUD Santé Sociaux : la lutte contre les fresques sexistes. Si je souhaite revenir dessus c’est parce qu’elle se joue sur plusieurs années.
En janvier 2018, suite au mouvement #MeToo, au CHU des internes en médecine montent un collectif, #jeudi11, pour dénoncer des fresques sexistes et racistes dans les locaux de l’internat de médecine. Ils/Elles sont alors menacés/es d’être exclus/es des locaux de l’internat, alors qu’ils/elles interrogeaient juste avec un drap sur une fresques, le harcèlement d’ambiance au quotidien auquel ils/elles étaient exposés/es en devant manger en face. Nous les avons défendus/es avec SUD Santé Sociaux 31 mais aussi en associant les associations féministes de Toulouse pour interpeller la direction de l’hôpital, de l’internat de médecine, et percer l’omerta médiatique. Nous avions obtenu après plusieurs semaines le retrait des fresques non sans mal car une partie des internes nous ont accusé de manquer d’humour et de ne pas comprendre la « culture carabine ». De notre côté nous disions que ces fresques étaient un préalable qui permettait que des actes plus graves soient commis.
En 2021, dans un autre internat de médecine de Toulouse, nous sommes là aussi saisies par des internes qui n’en peuvent plus de devoir manger en face de fresques pornographique. Pour avoir osé diffuser l’info hors de l’internat de médecine, certains/es en seront exclus/es. D’autres se tairont car on leur fait comprendre qu’ils/elles pourraient se trouver en difficulté sur leur stage.
Cette fois nous portons avec la Fédération SUD Santé Sociaux la lutte contre les fresques sexistes dans les internats de médecine au niveau national, avec le soutien d’associations féministes. En janvier 2023 une circulaire du ministère de la Santé a demandé aux hôpitaux de retirer l’ensemble des fresques sexistes. Mi-octobre 2024, nous avons été avertis/es par des internes qu’un interne condamné à 5 ans de prison avec sursis pour agression sexuelle allait commencer son internat en radiologie début novembre au CHU de Toulouse. Les liens tissés au fil des années avec les internes sur ces questions font qu’ils/elles nous ont de suite saisie. A nouveau nous avons actionné le réseau féministe toulousain mais pas seulement pour percer l’omerta médiatique, et interpeller le CHU de Toulouse. Et nous avons obtenu qu’il ne soit pas nommé le temps de son procès en appel.
Là où je voulais en venir c’est sur l’évolution et le changement de mentalité qui commence à s’opérer à la Fac de médecine et à l’internat de médecine de Toulouse entre 2018 et 2024 : de plus en plus d’internes rejettent la culture carabine. Là où je voulais aussi en venir c’est que quand le mouvement syndical et le mouvement féministe s’unissent, on peut changer les choses et les mentalités.
Le mouvement féministe reste central pour la transformation de nos sociétés. L’importance du féminisme repose sur la capacité à questionner non seulement les rapports sociaux de genre, mais aussi la manière dont elles s’intersectent avec les discriminations de classe, de race, de culture, et de religion. Cependant, pour espérer venir à bout des féminicides et des violences sexistes, et plus globalement du système patriarcal, il est nécessaire de comprendre et de combattre l’ensemble des systèmes de domination qui se renforcent mutuellement. Loin d’être une simple lutte pour des droits spécifiques, l’émancipation des femmes implique une réorganisation globale des rapports sociaux, économiques et politiques. La domination ne repose pas uniquement sur le patriarcat, mais sur une articulation de différents systèmes de pouvoir : capitalisme, racisme, etc.
Pour construire une alternative viable, et face aux résistances, il est nécessaire de développer un imaginaire inclusif, capable de penser une société où la justice et l’égalité seraient au cœur de celle-ci. Il ne suffit pas d’obtenir des droits ; il faut aussi un changement culturel qui rejette la violence de genre, les stéréotypes, et les hiérarchies d’oppression.
Ce projet social nécessite de revaloriser les rôles et les identités en dehors des normes patriarcales, en adoptant une approche inclusive qui reconnaisse la pluralité des expériences. Le mouvement féministe actuel, en s’alliant aux luttes syndicales, antiracistes, LGBTQI+, écologistes, forge un chemin collectif vers une société plus juste. Et vice et versa, les luttes syndicales doivent s’allier au mouvement féministe pour faire avancer les droits, changer les mentalités, que ce soit dans le monde du travail ou dans l’ensemble de la société. Cette convergence des luttes est cruciale pour mettre en lumière et combattre l’interdépendance des systèmes de domination. Pour aboutir à un monde plus égalitaire, où les droits des femmes sont respectés et protégés, il faut dépasser les résistances patriarcales et s’unir contre toutes les formes d’oppression.
1 Susan Faludi, Backlash. La guerre froide contre les femmes
2 Rapport Equipop : Droits des femmes, combattre le « backlash » https://equipop.org/wp-content/uploads/2023/02/rapport_backlash_Equipop_FondationJeanJaures.pdf
3 La partie émergée de l’iceberg : Des financements issus de l’extrémisme religieux visent à faire reculer les droits humains en matière de santé sexuelle et reproductive en Europe 2009 – 2018 Rédigé par Neil Datta, secrétaire du Forum parlementaire européen pour les droits sexuels et reproductifs. https://www.epfweb.org/sites/default/files/2022-03/EPF_EN_TOTI_9SEP%20DEF-FR_Final%20.pdf
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