De plus en plus de femmes dans les sélections, dans les personnages ; le Festival ne peut rester à côté du mouvement profond de la société même si on aimerait que ça aille pus vite et plus fort. Deux fils rouges peut-être dans cette nouvelle édition : la résistance et les relations intrafamiliales.
Sur ce thème de la résistance, pourquoi, comment, « L’agent secret » du brésilien Kleber Mendonça Filho, prix du scénario et prix d’interprétation masculine, qui revient sur la période de la dictature militaire au Brésil (1964-1985) de manière totalement différente de celle de Walter Salles avec « Je suis toujours là»? Qui est cet homme dont l’identité se révèle petit à petit? Qu’est ce qui l’a poussé à résister et pourquoi continue-t-il ? Dans un style totalement différent, « Les deux procureurs » de Sergueï Loznitsa qui se déroule en Union soviétique en 1937, met en scène la résistance d’un jeune procureur qui applique scrupuleusement les règles juridiques enseignées. Qu’est-ce qui poussent ces deux procureurs, que tout semble séparer, à ne pas céder ? Une certaine idée de la justice, de la droiture et de l’humanité sans aucun doute… Un film sec, aux couleurs tristes, froides, un sentiment d’enfermement, très bien rendu par de nombreux détails, qui fait froid dans le dos. Autre lieu, époque, ambiance avec « Once upon Time in Gaza » des gazaouis Arab et Tarzan Nasser, faux pastiche de Tarantino, où deux petits dealers refusent de céder à la loi du plus fort, de l’autorité et du plus corrompu. Ajoutons les films chiliens « La vague » de Sebastian Lelio, inspiré du mouvement féministe contre les violences envers les femmes dans les universités et « Le mystérieux regard du flamant rose » de Diego Cespedes où une communauté trans installée dans un village minier du nord du pays résiste à l’hostilité ambiante de manière surprenante alors qu’elle est en proie à une maladie mystérieuse (une parabole du sida au début des années 80). Du côté de l’Inde, « Homebound » de Neeraj Gjhaywan, malgré une fin un peu trop mélo, saisit pour sa description des blocages de la société indienne et des ravages du Covid (au moins 5 millions de morts) auxquels se confrontent deux amis issus d’un village et des basses castes. Un point commun avec le nouveau film d’Hubert Charuel « Météores » qui met en scène lui aussi un duo d’amis qui se heurtent aux déterminismes sociaux sans véritable espoir d’une issue. Dans l’univers du travail, extrêmement bien décrit, tout en finesse, Dominik Moll livre un « Dossier 137 » contre les violences policières où une commandante de l’IGPN, incarnée par Léa Drucker, va franchir « la ligne rouge » déontologique tout comme le personnage de Lucie, une infirmière chef en service pédiatrique dans un hôpital qu’elle incarne à la perfection dans « L’intérêt d’Adam » de Laura Wandel Sans doute pour ces deux femmes, leur manière de résister aux injonctions contradictoires dans le travail, aux pressions en tous genres et de garder un espace de libre choix et d’existence propre en dehors des institutions.
Et puis, il y a ceux qui hésitent, voire cèdent à la loi du plus fort… Comme le personnage, superbe, de Farès Farès, du film de Tarek Saleh « Les aigles de la République », qui s’enfonce peu à peu, contemplant lui-même sa propre descente aux enfers, à l’ambivalence d’Aisha dans « Aisha can’t fly away » prise au piège de la misère et des discriminations… « La petite dernière » de Hafsia Herzi résiste elle aussi après des hésitations, et assume sa sexualité. Nadia Metilli, prix d’interprétation féminine et nouvelle venue dans le monde du cinéma, indéchiffrable, fermée, opaque ne semble se libérer du carcan qui l’enferme que dans les scènes d’amour ou dans celles avec sa mère dans la cuisine, livrant une interprétation tout en sobriété pour un sujet pas facile.
Second thème présent cette année, dans une moindre mesure, les relations intra-familiales, un classique, et la transmission, avouée ou pas, entre générations. Présent dès le début du festival avec « Sound of falling » de l’allemande Mascha Schilinski, dans une fresque longue et par moment hélas confuse, où le lieu géographique occupe une place déterminante sur plusieurs générations, puis dans « Romeria » de Carla Simon dans lequel Marina part à la recherche de sa famille paternelle pour retrouver la vérité sur ses propres parents décédés. Dans le formidable « Sentimental Value » de Joachim Trier, l’histoire se transmet sur deux générations, mais c’est aussi une histoire de théâtre, de cinéma, d’amour filial. Trier filme remarquablement bien la relation entre les deux sœurs, bien servi par Renate Reinsve et Inga Ibsdotter Lilleaas et par une Elle Fanning en déséquilibre. Sur la même thématique, l’émouvant documentaire de Romane Bohringer « Dites-lui que je l’aime » dans lequel la réalisatrice entremêle la recherche de sa propre mère à l’histoire proche de la femme politique Clémentine Autain démontre avec délicatesse que rien n’est totalement écrit d’avance. Un message d’espoir…
Quelques mots encore sur « la » Palme d’or au film de Jafar Panahi « Un simple accident » dont la présentation ne permettait vraiment pas de se faire la moindre idée. Comme l’année passée avec le film de Rasoulof « Les graines du figuier sauvage », l’attribution de la palme d’or semblait plus évidente après la projection. En récompensant ce film, le jury cannois a évidemment salué le courage du cinéaste mais aussi ce qui est une œuvre cinématographique dans les conditions que l’on connaît. Coup double donc avec ce film qui débute comme une comédie pour virer à la réflexion sur la démocratie et la liberté. On rit, on est ému, on s’interroge… Panahi donne de très beaux rôles aux personnages féminins qui incarnent, bien plus que les hommes, la réflexion, la mise à distance, le courage. Et la fin ouverte permet de continuer l’histoire.
Toujours en or, mais pour la Caméra d’or qui récompense un premier film , « The President’s Cake » de l’irakien Hasan Hadi, tourné en Irak dans la région des marais ce qui nous vaut des images superbes puis à Bassora avec des comédiens non professionnels, met à l’honneur la population irakienne pauvre, confrontée aux privations liées aux sanctions économiques, à la corruption, à la mégalomanie du régime. Une peinture réaliste et attachante des tribulations de la petite Lamia, de sa grand’mère et d’un petit voisin pour trouver des ingrédients permettant de fabriquer un gâteau pour Saddam Hussein.
Et pour finir vraiment, le « coup de cœur » avec « Nouvelle vague » , l’inclassable film de Richard Linklater, en noir et blanc, qui imagine le tournage d’ « A bout de souffle » de Jean-Luc Godard. Loin du film pour spécialistes godardien, Linklater se régale et nous régale avec une galerie de personnages réels croqués avec gourmandise, qui doutent, s’amusent, s’inquiètent. Une illustration très réussie de ce qu’amenait la nouvelle vague dans le cinéma des années 60.
Une 78ème édition avec beaucoup d’excellents films qu’il faudra bien sûr aller voir en salles !!
A lire également
Inconnu au bataillon
Obsolescence du capitalisme, immédiateté de la visée, rapport de force
Que nous disent les luttes…?