Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Vers un Manifeste pour la démocratie du travail

Nous avons créé en 2019 les Ateliers Travail et Démocratie pour contribuer à faire que la démocratisation du travail (re)devienne un enjeu politique majeur, pour les acteurs sociaux et les politiques publiques. Notre assemblée générale de 2024 a lancé un processus d’écriture collective d’un Manifeste, destiné à ramasser l’essentiel de nos réflexions et propositions.

Le travail est certes sources de trop d’accidents et de maladies parfaitement évitables. Mais cela ne doit pas nous faire oublier que travailler est un déterminant majeur de la santé, du développement et de l’émancipation. Nous disons « travailler » plutôt que « le travail », pour insister sur cette dimension de l’expérience vécue par chacune et chacun d’entre nous. Ce que nous faisons concrètement au travail, c’est ce que les ergonomes ont appelé « le travail réel » par différenciation du « travail prescrit ». Ce que d’autres courants de recherche nomment « l’activité » (l’ergologie ou la clinique de l’activité), ou « le travail vivant » (la psychodynamique du travail).

Lorsque nous travaillons, nous nous confrontons sans cesse, quel que soit le secteur d’activité ou le poste que nous occupons, à des problèmes ou des questions inédit.es que le management ne peut jamais pleinement anticiper. Même dans les postes les plus taylorisés, comme dans le travail à la chaîne où les « fiches d’opération standard » détaillent l’ensemble des gestes à effectuer et l’ordre dans lequel ils doivent s’enchaîner, les salarié.es bloqueraient la production s’ils et elles se contentaient de simplement faire ce qui leur est prescrit. Chaque jour les personnes au travail résolvent les problèmes qui surgissent sans cesse en situation (un·e patient·e qui réclame plus d’attention, un outil qui manque, des défauts dans les pièces à monter, le retard pris par le collègue…).

Pourtant les organisations du travail et le management par les chiffres obligent à faire trop vite, sans coopération ni formation adéquates, sans les moyens nécessaires pour faire face, sans le temps de construire des repères partagés entre collègues pour bien faire le travail, y compris du point de vue écologique.

Cet étouffement du travail vivant, cette soumission de l’activité à des normes financières et abstraites venues d’en haut, a aussi de graves conséquences sur la démocratie : en véhiculant des normes politiques de soumission et de passivité dans le travail, elle contribue à faire le lit du désengagement citoyen et même de l’extrême-droite autoritaire, comme l’ont montré nombre de recherches.

Ces enjeux fondamentaux ne se posent pas seulement dans les entreprises privées soumises à une gouvernance actionnariale distante et mondialisée, mais aussi dans le secteur public, vidé de sa vitalité par les réformes incessantes. Et même dans nombre des structures « coopératives », associatives, alternatives : s’il ne faut pas nier l’intérêt de certaines formes juridiques, force est de constater que les normes générales d’encadrement du travail auxquelles elles obéissent souvent, ne constituent pas une réponse suffisante aux enjeux de l’activité. La pénibilité du travail peut y perdurer et la question du travailler et de ses ressources n’y est que rarement posée.

Reconnaître que le travail est une source de développement et doit être émancipateur, reconnaître qu’il nous faut une véritable politique du travail vivant, concret, quotidien, dans ce que le plus banal recèle de ressources, ne veut pas dire qu’on doit faire du travail un absolu de la vie ! Au contraire cela revient à redonner au travail sa (bonne) place dans la vie, avec les limites qui s’imposent. La possibilité d’un développement et d’une émancipation dans le travail  supposent que le sens, les finalités du travail, son utilité, soient questionnées en permanence afin que le travail s’érige en bien commun où se cherchent et se mettent en œuvre des solutions aux multiples problèmes sanitaires et environnementaux qui se posent aujourd’hui.

Pour cela, il est nécessaire de promouvoir une dés-intensification du travail, d’en finir avec le travail pressé, de réfléchir ensemble aux enjeux posés par l’urgence écologique : il faut ralentir pour délibérer. Nous devons prendre ensemble le temps de cultiver les ressources ordinaires mais méconnues du bien travailler : l’expression et la transmission des savoir-faire, la coopération formelle et informelle, entre travailleur·ses et avec les usager·es et riverain·es… 

Nous proposons de (re)donner au travail la place centrale qu’il devrait avoir dans le débat public et ce à tous les niveaux de la société. Notre Manifeste veut en finir avec l’idée du travail « tripalium », ou malédiction inévitable : il veut promouvoir une politique du bien travailler, qui passe obligatoirement par une reprise en main du travail et de son organisation par les personnes directement concernées. Pour convaincre de cette nécessité, nous voulons donner de la visibilité non seulement aux atteintes à la dignité, à la santé physique et mentale des personnes au travail ; mais aussi et surtout à toutes les inventions et alternatives grâce auxquelles elles parviennent malgré tout à faire leur travail, à recréer du collectif et de la solidarité, à tenir la société à bout de bras, quelles que soient leurs croyances, leurs origines ou leur condition sociale. Nous ne pourrons sauver la démocratie qu’en partant du travail.

Thomas Coutrot

Travail et Démocratie :
un manifeste en chantier 

Les Ateliers Travail et Démocratie poursuivent leur élaboration d’un manifeste, dont le thème et les contenus ne peuvent laisser insensible CERISES.

Lundi 17 février, en présentiel et en visio, on s’est penché sur la manière dont nous produisons, les rapports sociaux qui se nouent dans le travail et comment le “tournant gestionnaire” de l’organisation du travail a grandement contribué à la désagrégation des solidarités sociales. Le ” management à la Musk ” en constitue la radicalisation autoritaire. Comment comprendre et contrer ces évolutions mortifères ?

Ont ainsi été abordées plusieurs questions essentielles :

  • comment prendre en compte le travail réel dans les critères de gestion ?
  • qu’est-ce que la démocratisation au travail pour les travailleurs des plateformes ou des autoentrepreneurs/ses ?
  •  l’efficacité : qu’est-ce qu’on entendrait par-là ? efficacité du travail salarié ? par rapport à l’entreprise ?
  • des témoignages ont montré comment une certaine mystification du métier (ex : minier) empêche une démarche critique (Travail et santé, notamment).
  •  quelles articulations avec santé publique et écologie (déclaration de Philadelphie). Pourquoi, pour quoi travailler ? Comment travailler ?
  • démocratiser le travail = changer le travail ? Lui donner un autre sens, une autre utilité économique et sociale ? Démocratie dans l’entreprise – démocratie dans la société.
  • les PME, la situation des entreprises de l’ESS, et en particulier les coopératives relèvent d’intéressants aspects contradictoires.

Patrick Vassallo

Cet article fait partie du dossier :

Horizons d'émancipation

N’abandonnons pas le travail

Nous ouvrons de nouveau la problématique du travail, salarié ou non, et celle de la place et des moyens de la démocratie dans les entreprises. ...
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