Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Fortes, fières, radicales et en colère

Le 10 octobre 2024, sur le campus de Villejean, à Rennes, la FSU Bretagne a organisé un stage intitulé « Fortes, fières et radicales : luttes féministes d’hier et d’aujourd’hui ». Il a été si bien plébiscité qu’il a fallu envisager de l’organiser dans un amphithéâtre plus grand que prévu (240 places). Les stagiaires sont venus.es des quatre départements bretons. Parmi elles et eux se trouvaient, certes, de nombreux/ses enseignants/es dont les syndicats sont majoritaires dans la fédération, mais aussi des infirmiers/es scolaires, des agents/es de France Travail, des secrétaires de l’Éducation Nationale ainsi que des personnes non-syndiquées ou d’autres syndicats non affiliés à la FSU. Le nombre et la relative diversité des stagiaires tendent à montrer un réel engouement pour la question féministe dans les métiers de la fonction publique. Pourtant, on pourrait imaginer le secteur public plus à l’abri des inégalités de genre car ses valeurs poussent à plus d’égalité, parce que les femmes y sont majoritaires et parce que des grilles objectivent les rémunérations. Alors, pourquoi un tel succès pour ce stage ? Plusieurs hypothèses seront explorées : l’actualité, le contenu du stage et l’état des lieux des métiers du service public.

L’intérêt qu’a suscité ce stage montre qu’il y a encore matière à lutter pour l’égalité des genres. Les différentes vagues féministes ont conquis des droits pour les femmes mais n’ont pas encore permis d’atteindre l’égalité des genres. Les stagiaires présents/es n’échappent pas au contexte patriarcal ambiant. Après la vague Metoo, l’affaire Mazan en est, en ce moment l’exemple emblématique. En plus de rendre justice à une victime de viol sous sédatifs, ce procès est aussi le procès de la culture du viol. L’actualité internationale et nationale fait même craindre une régression des droits conquis, au fur et à mesure que l’extrême droite gagne du terrain dans les urnes et les esprits : le droit à l’IVG est remis en cause aux Etats-Unis après le passage de Trump à la présidence américaine, en Pologne l’IVG est pénalisée, en Italie l’accès à l’IVG est rendu difficile… En France comme ailleurs, les idées virilistes d’extrême droite imprègnent les esprits sur les réseaux sociaux. Ils font la part belle à de nouvelles formes de masculinismes : les Insel (que l’on pourrait traduire célibataires malgré eux) accusant les femmes de leur célibat subi, les coachs en séduction prodiguant des conseils faisant fi du consentement… (voir l’épisode, « Quand les mascu contre-attaquent », les Couilles sur la table par Victoire Tuaillon). Les luttes féministes doivent donc se poursuivre, être éclairées par les luttes passées et les connaissances des injustices actuelles.

C’était bien l’un des objectifs de ce stage syndical. Il s’est ouvert sur une lutte de femmes du passé : la grève des Penn-sardin de Douarnenez, étudiée par Fanny Bugnon. Cette lutte n’est certes pas féministe car l’objectif de ces femmes n’est pas d’atteindre l’égalité salariale mais a le mérite de montrer qu’au début du XXème siècle leur travail ne vaut pas celui des hommes aux yeux du patronat. L’historienne a aussi montré, à travers l’exemple de Joséphine Pencalet, que le milieu militant n’est pas épargné par le patriarcat. Cette penn-sardin est la première élue de Bretagne en tant que conseillère municipale sur une liste communiste, en 1925. Le parti communiste se sert de cette figure féminine pour afficher son progressisme mais lorsque le Conseil d’Etat annule son élection, elle ne reçoit ni soutien ni défense de son parti. Aujourd’hui, les partis et les syndicats de gauche laissent plus de place aux femmes, se dotent de secteurs femme et de cellules de veille contre les violences sexistes et sexuelles. Ces dispositifs permettent de mieux informer les travailleurs×euses et les usagers/ères, d’amener les employeurs×euses à mieux accompagner les victimes de ces violences mais aussi à modifier les pratiques patriarcales de nos milieux militants. D’ailleurs, actuellement, ce sont des femmes qui portent la parole des syndicats de l’Education Nationale. Elles étaient invitées autour d’une table ronde pour évoquer leurs difficultés à s’affirmer dans le milieu militant et surtout face aux politiques souvent méprisants, remettant en cause leurs compétences, les renvoyant à leur étiquette de « filles de la FSU » … La présence des femmes dans les rapports de force ne va donc toujours pas de soi, pourtant les services publics d’éducation, de santé, du travail sont largement féminisés. Sophie Pochic, comme d’autres chercheurs×euses, montrent que c’est pour cette raison que ces métiers sont moins rémunérés. Ils sont, en effet, associés aux rôles traditionnels attribués aux femmes, considérés comme naturels et non pourvoyeurs de richesses matériels donc ne demandant pas de valorisation particulière. L’un des leviers seraient donc d’apporter plus de mixité dans nos métiers et dans les métiers à prédominance masculine. Cependant, Elsa Koerner, à travers la question de l’aménagement urbain, montre que la mixité résulte d’une volonté politique forte et d’un processus démocratique impliquant les acteurs×rices publiques (élus/es, fonctionnaires, usagers es).

La volonté politique et la démocratie ne se décrètent pas, elles sont issues des luttes. Les syndicats de transformation sociale, en tant que contre-pouvoirs, doivent y participer. L’une des raisons du succès de ce stage réside donc peut-être dans la prise de conscience que c’est peut-être dans la lutte féministe que passera la sauvegarde de nos services publics. Les politiques économiques libérales du parti présidentiel et de ses affidés, le Rassemblement National y compris, ne cessent de mettre à mal les services publics par des coupes budgétaires. Sur le terrain cela se caractérise par des conditions de travail dégradées (multiplication du nombre de patients es par soignants×es, classes surchargées, pressions hiérarchiques…), par une précarisation des personnels (recours de plus en plus systématique aux contractuel×les, temps partiels subis…), par un décrochage salarial (tassement des grilles de rémunération, gel du point d’indice…) et donc par un service aux usager×es dégradés×es. Or, ces métiers, comme évoqués précédemment sont largement féminisés. Simone de Beauvoir avait pourtant prévenu : « il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse, pour que les droits des femmes, nos droits soient remis en question. Votre vie durant, vous devrez demeurer vigilante ». La crise est là et le succès de ce stage est peut-être le signe que nous avons senti le vent tourner. Luttons toujours, « fortes, fières, radicales et en colère ! »

Marina Nedellec,
FSU Bretagne

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