Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Femme, Vie, Liberté

L’assassinat de Zhina Mahsa Amini, jeune femme kurde iranienne le 16 septembre 2022 pour avoir « mal-porté » le voile islamique obligatoire et le viol d’une jeune fille baloutche âgée de 14 ans au Balouchistan par le commandant des forces de police a déclenché une colère sans précédent contre le régime qui couvait depuis plusieurs décennies. Il a également illustré l’imbrication des rapports sociaux de genre, de religion, d’ethnicité, de classe sociale dans un pays multiethnique et multireligieux qu’est l’Iran. Certes la révolte des femmes iraniennes n’a en réalité jamais vraiment cessé depuis la fin du dix-neuvième siècle. Elles ont activement participé à la révolution constitutionnelle de 1906, au Mouvement pour la Nationalisation du pétrole (1951-53), la révolution de 1979, au Mouvement vert de 2009 avec le slogan une femme=un homme. Rappelons diverses actions des militantes féministes sous le régime islamique : publication des magazines et revues, création des ONG, diverses campagnes (Un million de signatures, violence faite aux femmes, contre la ségrégation sexuelle, etc.) contre les lois discriminatoires dans les années 1990 et 2000. Elles ont aussi voté en faveur des candidats réformistes dans l’espoir de changement des lois discriminatoires, en vain.

Mais pour la première fois, les femmes sont au devant de la scène contestataire d’un mouvement qui dépasse les revendications propres aux droits des femmes et ne se résume plus seulement aux femmes issues des classes moyennes éduquées des grandes villes. En effet, dans le mouvement « Femme, Vie, Liberté » les catégories marginalisées appartenant aux groupes subalternes, minorités ethniques et religieuses, qui étaient exclues, ont émergé ou gagné, grâce à leurs luttes, les moyens de parler en leur propre nom et de menacer ainsi les discours et les actions dominants.

En signe de rejet du régime islamique, de nombreuses femmes ont retiré leur voile obligatoire, symbole idéologique du régime, revendiquant la liberté, la laïcité, la démocratie et la justice sociale. Elles ont initié un mouvement de protestation contre l’islam politique qui s’est étendu à l’ensemble du pays et a gagné l’opinion publique. Un nombre croissant de jeunes femmes tentent de prendre le contrôle de leur destin, y compris de leur corps et leur sexualité. Certains transgressent les normes islamiques et, par le biais d’actes performatifs, refusent de dissimuler leur corps désormais indociles. Pour paraphraser Michel Foucault, ces femmes tentent ainsi d’échapper au pouvoir disciplinaire d’un régime de surveillance. Malgré la répression et la morosité économique, elles chantent, dansent et proclament l’urgence de la liberté. Comme l’a précisé Gilles Deleuze « Le pouvoir exige des corps tristes ». Le pouvoir a besoin de tristesse parce qu’il peut la dominer ; la joie, par conséquent, est résistance, parce qu’elle n’abandonne pas ».

Le régime islamique, ainsi que ses lois et institutions discriminatoires (code civil, code pénal, loi constitutionnelle) sont rejetées car elles sont incompatibles avec les nouveaux comportements démographique, culturel, social ou politique des femmes, en particulier de la jeune génération. Les transformations structurelles (urbanisation, modernisation, expansion de l’éducation, etc.) qui ont eu lieu, surtout depuis les années 1970, ont conduit à un meilleur accès à l’enseignement supérieur (la majorité des quatre millions d’étudiants sont des étudiantes), retardé l’âge au mariage (26 ans), baissé considérablement le taux de fécondité (1.6 enfants par femme) et la professionnalisation d’un certain nombre de femmes. L’un des résultats de ces changements est la remise en question du système patriarcal aussi bien à l’échelle familiale que politique. En effet, le mouvement Femme, vie, Liberté est tant culturel que social et politique. La majorité de la société iranienne moderne, instruite, ouverte sur le monde mais souffrant de la pauvreté (près de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté), du chômage (50% des jeunes diplômés se trouvent au chômage), et de la corruption d’un pouvoir idéologique qui s’est emparé des revenus pétroliers et gaziers, rejette également l’islam politique et ses préceptes imposés et exige aussi la séparation entre la religion et l’État. 

Une conscientisation issue de pratiques révolutionnaires se fait jour : aux yeux des actrices et acteurs du mouvement « Femme, Vie, Liberté », la démocratie et la liberté sont désormais étroitement liées à l’égalité de genre, d’ethnicité, de religion, de sexualité et de classe.

 Azadeh Kian

Image : ©MacVal

 

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