L’édition 2024 du festival de Cannes est marquée par l’irruption des personnages féminins dominants. Si la presse a souligné, à juste titre, le peu de femmes réalisatrices (4) présentes en compétition officielle, elles sont plus nombreuses dans les autres sélections et de nombreux films mettent en scène des personnages de femmes fortes, qui se battent, consciemment ou pas, contre la place qui leur est assignée. Jeunes (Diamant brut, Bird, Norah, Santosh) ou moins (Les graines du figuier sauvage, Motel Destino, Shameless, The Substance), artistes (Maria, Niki, Marcello mio, Les filles du Nil) ou travailleuses (All we imagine as Light), inclassables (Emilia Pérez, Les reines du drame), c’est une véritable prise de pouvoir sur les rôles masculins confirmant, s’il en était besoin, que le cinéma est bien le miroir du monde. On espère qu’en 2025, les réalisatrices seront enfin beaucoup plus nombreuses à être sélectionnées pour tenter de décrocher « la Palme ».
Parce qu’il faut choisir dans la compétition officielle
A voir sans hésiter « Les graines du figuier sauvage » de l’Iranien Mohammad Rasoulof. qui avait tout pour se voir décerner la Palme d’or. L’évolution de la société Iranienne au sein même de la cellule familiale : un couple très traditionnel et très religieux et deux adolescentes. Lui vient d’être promu dans la hiérarchie judiciaire et espère encore progresser dans les années à venir, elle est au foyer et s’occupe des deux filles adolescentes. Et puis, la mort de Mahsa Amini surgit et va tout bouleverser. Profondément politique, avec une fin digne d’un thriller, le film explore les multiples facettes de la crise de la société Iranienne. Les rôles familiaux craquent et la jeunesse prend le pouvoir. Sur un plan cinématographique, Rasoulof mêle de manière très astucieuse les scènes en huis clos et les vraies images de la rue en format smartphone. Un immense hommage à la jeunesse, aux femmes iraniennes et à la résistance sous toutes ses formes.
Ensuite le film de Jacques Audiard « Emilia Perez » doublement récompensé par le jury. Une comédie musicale en collaboration avec Clement Ducol et l’artiste Camille, qui se déroule au Mexique et entremêle narco trafic et changement de genre dans un pays en proie à la violence et à la corruption. Un quatuor d’actrices renversant, chacune dans des registres différents mais toujours là où on ne les attend pas. Et un thème fil rouge : change-t-on vraiment, une rédemption est-elle possible et à quel prix ? Là aussi, un aspect thriller assumé et une bande son au top, œuvre conjointe de Camille et de Clément Ducol, qu’on se prend à fredonner une fois sortie de projection.
Toujours en compétition officielle et au palmarès « All we imagine a light » de la réalisatrice indienne Payal Kapadia. Un deuxième film après son premier remarqué « Toute une nuit sans savoir ». Une plongée dans la mégalopole de Mumbaï mais surtout dans l’univers étouffant de trois femmes employées dans un grand hôpital. Sortir des rôles imposés, du poids des traditions même quand on travaille, découvrir que l’autre n’est pas forcément celle que l’on croit. Trois belles comédiennes pour un film sur l’émancipation avec un surprenant passage onirique.
Et dans les sélections dites « parallèles »
« Niki », premier film de la comédienne Céline Sallette : les premières années de l’artiste devenue culte Nikki de Saint Phalle, remarquablement interprétée par Charlotte Le Bon. Un choix de vie dédiée à la création pour échapper aux traumatismes de l’enfance (l’artiste a été victime d’inceste) et à la folie. Là encore, la voie de l’émancipation… avec un prix à payer.
« Shameless » de Konstantin Bojanov : en Inde, la survie d’une prostituée pas comme les autres, amoureuse d’une très jeune femme contrainte pas sa mère à un mariage arrangé. Deux très beaux personnages et une peinture terrible de la situation des femmes.
« Santosh » de Sandhya Suri : toujours en Inde mais à la campagne, une jeune femme devenue policière à la suite de son veuvage découvre la corruption, la violence, la situation des dalits lors de sa première enquête. Un film très politique et pas du tout manichéen.
« Norah » un premier film d’Arabie Saoudite réalisé par Tawfik Alzaidi : l’art comme élément de l’émancipation au coeur de la relation entre un instituteur et une jeune fille qui cherche à échapper à un mariage arrangé et à la puissance patriarcale qui domine le village. Une histoire violente mais filmée avec beaucoup de douceur et un très beau travail sur la lumière.
« A son image » de Thierry de Peretti : adaptation du roman de Jérôme Ferrari où s’entremêlent tournage et archives, une réflexion sur la violence en politique et le photojournalisme à travers la voix d’une jeune photographe, Antonia, attachée à sa terre, la Corse, et qui veut pouvoir choisir sa vie.
Dernier conseil : allez en salles ! Le cinéma a besoin de vous !
Françoise Lamontagne
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