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MAYOTTE : POURQUOI LE DROIT DU SOL A-T-IL ÉTÉ REMIS EN CAUSE?

Après un référendum portant sur l’indépendance en 1974 et un rattachement à la France contrevenant au principe de l’intangibilité des frontières, partie intégrante du droit international incarné par l’ONU, Mayotte a été définitivement rattachée à la France. Le référendum de 2011 portant sur la départementalisation, c’est-à-dire l’alignement de ses droits et devoirs sur les autres départements français l’a fait entrer de plain pied dans le droit français.

Pourtant les gouvernements successifs n’agissent plus pour que cette égalité se réalise. S’il est indiscutable que depuis les années 70 Mayotte s’est métamorphosée, passant d’habitats en pisé à des constructions en dur, de pistes à des routes encombrées de voitures, de médecine traditionnelle omniprésente à un centre hospitalier et 4 centres de référence (gros dispensaires avec garde de nuit) sur l’île, d’écoles coraniques à une instruction primaire, secondaire obligatoire pour tous; du chemin reste à faire.

Le P.I.B. moyen par habitant y est la moitié de la moyenne des départements français. Par rapport à la métropole, le R.S.A. est à moins de 50% (289 euros pour une personne seule), le SMIC horaire brut est plus bas (8,8 contre 11,65 euros), l’Aide Médicale d’Etat n’y existe pas, la pauvreté touche 77% des résidents (contre 14,5%), environ 10 000 enfants d’âge scolaire ne sont pas scolarisés faute de place, etc…

Une école sur deux pratique l’alternance (un groupe scolaire le matin, un autre l’après-midi dans chaque classe), les 2 internats de l’île ne comptent ensemble que moins de 30 lits, la moitié des collèges (remplis, butant fréquemment sur la limite de 2000) n’a pas de cantines, la densité médicale y est 4 fois plus basse que celle de métropole…

Les collectivités locales, dirigées par des notables, font payer à peu de leurs administrés l’impôt local. L’Etat continue à leur faire l’avance nécessaire pour boucler la fin d’année..

En parallèle, la croissance naturelle et exogène est la plus forte de France, devant la Guyane.

Passée de 47 000 en 1978 trois années après le rattachement définitif à la France à 310 000 habitants en 2023, elle s’est multipliée par plus de 6 en moins de 50 ans! Cette croissance est non seulement la plus forte de tous les départements français mais aussi la plus forte d’Afrique après le NIger !! Notons que la fécondité baisse quand même grâce à la scolarisation, que la mère soit mahoraise ou comorienne.

En 2022, selon l’INSEE, il y a eu 10 770 naissances, dont les mères étaient aux trois quarts d’entre elles étrangères mais la moitié des pères avait la nationalité française. Dit autrement, le tiers des naissances de mère comorienne est reconnu par un père mahorais ..

Face à cet afflux, la première mesure visant à le freiner remonte à 1995: instauration du visa Balladur pour les comoriens, auparavant libres d’aller et venir à Mayotte.

Puis la droite de gouvernement suivie des élus de Mayotte -qui lui sont pratiquement tous affiliés- s’est appuyée sur la théorie de l’appel d’air: il fallait durcir les conditions d’accueil des migrants pour qu’ils viennent moins nombreux. Décret gouvernemental interdisant l’application de l’Aide Médicale d’Etat à Mayotte, paiement des consultations pour les adultes étrangers dans les dispensaires, maintien à un niveau très bas du R.S.A., tentatives de filtrage des enfants étrangers dans les écoles par les mairies,..

En 2018, une loi inspirée d’un sénateur mahorais, Thani Mohamed – ex-socialiste devenu macroniste- exigea que l’un des deux parents ait des papiers en règle depuis au moins trois mois lors de la naissance de leur enfant. Cette loi, anodine en apparence, fut un tournant majeur pour l’île, voire pour la France: elle a fermé cette possibilité de naturalisation à une majorité d’enfants franco-comoriens, ceux dont aucun des parents n’avait pu alors régulariser son séjour. Plus grave, elle a ouvert la boîte de Pandore de la remise en question du droit du sol jusqu’à atteindre aujourd’hui l’exigence de deux parents de nationalité française pour l’obtenir. Depuis, ce sont aussi des enfants français de culture mais sans papiers qui ayant le baccalauréat, se voient bloquer toute possibilité de faire des études supérieures en métropole ou à la Réunion, faute de papiers. Ils sont plus de 5000 nouveaux bacheliers chaque année dans cette situation. La CGT éduc’action s’élève contre ce coup porté à la fois au droit du sol et à l’éducation (2).

Pour l’Etat libéral, l’avantage de la mise en application de la théorie de l’appel d’air est qu’elle repousse la relative urgence de davantage d’investissements sociaux, pour les migrants et surtout pour les mahorais. Son désavantage est …qu’elle est erronée!! Plusieurs études ont en effet montré qu’elle ne se vérifie dans aucun pays étudié, aucune ne prouvant le contraire. Ce qui attire les migrants n’est pas l’accueil qui leur est fait mais le différentiel de niveau de vie entre leur pays d’origine et celui d’arrivée. Entre Mayotte et les Comores, il est 8 fois plus élevé!! En outre, ces immigrés participent à l’enrichissement d’une partie des mahorais: les postes de travail dans l’agriculture et le bâtiment sont occupés très majoritairement par des comoriens, payés quatre à cinq fois moins que des mahorais. Or ce sont les principaux volets du secteur privé, à côté de celui du commerce.

 La difficulté d’obtenir des papiers passe donc au second plan pour des comoriens qui gagnent mieux leur vie, a fortiori lorsque les soins et l’éducation sont de bien meilleur niveau et très accessibles. Il est donc facile de comprendre pourquoi cette théorie de l’appel d’air ne se vérifie pas non plus à Mayotte, mais au contraire alimente l’insécurité, poussant les jeunes franco-comoriens à la rue, d’autant qu’elle est associée aux nombreuses et pesantes carences sociales de l’île (cf plus haut). 80% des comoriens expulsés de Mayotte vers les Comores reviennent sur l’île française (selon une enquête de la CIMADE), pour raisons familiales, culturelles ou économiques. Enfin, cette migration n’est pas considérée comme illégale par le gouvernement comorien qui affirme considérer que Mayotte est partie intégrante des Comores.

Notons que la survenue de cas de choléra à Mayotte -pas la première épidémie – a essentiellement touché des quartiers pauvres, moins bien pourvus en eau potable, portant un coup à l’idée de la précarisation nécessaire des migrants.

Comment se fait-il que la population mahoraise, à l’instar de ses élus, soit encore si attachée à cette politique répressive, mise en échec depuis 30 ans, débouchant maintenant sur le refus du droit du sol, “du rideau de fer dans la mer “ promis par Darmanin ? Selon Jean-Marie Burguburu, le président de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), « les idées racistes favorisant l’exclusion peuvent revenir rapidement dans le débat public quand elles sont endossées et légitimées par des responsables politiques et médiatiques. » Or, poursuit-il, « dans un contexte de crise politique, sociale, économique et identitaire, un certain nombre de personnalités politiques ont activement participé de la politisation du rejet de l’Autre[3], figure mouvante aux visages multiples ».

En période de forte baisse de la natalité française, le “réarmement démographique” prôné a omis la régularisation de quelques milliers de familles comoriennes ainsi que leur libre circulation dans l’hexagone. Ce dernier point est souhaité par une population mahoraise, et clairement exprimé lors du dernier mouvement des barrages routiers de l’île, en février 2024.

La responsabilité des droites locales et nationales depuis 2018 est écrasante dans cette médiocrité d’analyse et d’action, aggravée par la volonté actuelle du refus du droit du sol en France, pourtant ancré dans l’histoire et dans le développement économique du pays.

Vincent Buard

Mayotte

13 mai 2024

(1)https://www.insee.fr/fr/statistiques/7725908

(2)https://www.mayottehebdo.com/actualite/breves/cgt-educaction-soppose-a-la-fin-du-droit-du-sol-a-mayotte/

(3)www.cncdh.fr/sites/default/files/2023-06/CNCDH%20Rapport%20racisme%202022%20web%20accessible.pdf

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