Pierre Zarka
Si les impérialistes réorganisent le monde, nous ne sommes plus en 1991. Le capitalisme est confronté à une multitude de mouvements des peuples qui, de fait mettent en cause son ordonnancement. A l’échelle mondiale, le capitalisme sait que le système sur lequel il repose est obsolète, se sent vulnérable et se lance dans une partie de poker-menteur en jouant les gros bras.
La victoire des travailleurs de l’automobile aux USA, le fait que Biden soit allé voir les grévistes avec une casquette de syndicat vissée sur la tête, alors qu’il y a quelques années il aurait plutôt envoyé les forces de police les matraquer ; la manière dont les gouvernements occidentaux sont passés en quelques semaines d’un soutien sans réserve aux violences israéliennes à l’appel à un cessez-le-feu, à la négociation et l’on reparle de deux états… témoigne de combien le capitalisme est sur la défensive… Sa force ne vient donc ni de sa dynamique ni de la crédulité des peuples, mais d’une absence de réponse de forces politiques à comment faire alternative à ce monde. Aucune force politique ou syndicale traditionnelle ne franchit le cap d’aller sur des propositions qui soient concrètement de l’ordre du dépassement du capitalisme ni n’acceptent de se mettre au service d’un rôle politique majeur des peuples. C’est pour elles une trop forte remise en cause de ce qui a fait leur genèse.
Aux intéressé/es de se dégager des espaces institués et de leurs logiques et poser au cœur de chaque mouvement comment investir ce champ sans attendre. Or Leila a souligné combien les peuples jouaient un rôle universel. C’est quand ils prennent conscience de ne pas renvoyer les issues au bon vouloir des gouvernants ou des structures issues des conceptions du 20ème siècle et de faire par eux-mêmes qu’on qualifie cette démarche de « terrorisme ». En France cela a commencé avec des actions menées par des écologistes.
Il est temps que la primauté politique (élaboration et action) revienne aux peuples. Il est temps que les luttes puissent dire « l’État c’est nous ».
Gus Massiah
Nous sommes dans une période pleine de contradictions. Évidemment nous voyons bien tout ce qui est en train d’exploser dans le vieux monde et nous voyons bien tous les dangers que ça représente et l’avenir n’est pas écrit. Je repars d’une réflexion, d’une proposition qui m’a beaucoup frappé et qui a été formulée par les jeunes iraniennes. Les jeunes iraniennes ont dit : « nous sommes la troisième génération ».
Avec la première génération dont quelques-uns d’entre nous font partie, disons que c’est celle des 60-80 ans et qui est la génération qui a été marquée par deux mouvements extrêmement importants, la décolonisation d’un côté et la période des « mai 68 » qui a suivi la période des décolonisations de l’autre, qui a eu une très grande importance un peu partout dans le monde.
Les Etats veulent leur indépendance, les nations veulent leur libération et les peuples veulent leur libération et donc c’est très important parce que je pense qu’on est en train de sortir de la première phase.
Les États ont eu leur décolonisation et on a vu que finalement cela n’avait pas donné réellement une dynamique pour le passage à une deuxième étape, et nous sommes justement dans la recherche du passage à cette deuxième étape qui est l’étape de l’indépendance des Etats à la libération des nations. A partir de là, je pense qu’il y a eu une deuxième génération et cette deuxième génération elle s’est construite avec un élément complètement nouveau, c’est l’arrivée des nouveaux mouvements et parmi ces mouvements, il y a ceux qui sont porteurs d’espoir, le mouvement des femmes qui je crois a révolutionné déjà la manière de penser la politique, le mouvement antiraciste qui est le mouvement qui continue l’idée que la décolonisation n’est pas terminée, le mouvement écologiste qui amène des valeurs complètement nouvelles, le mouvement des migrants, le mouvement de retour des peuples premiers qui est quand même quelque chose qui est aussi extrêmement fort..
Et à partir de 2008 nous arrivons dans une troisième génération et effectivement 2008 marque une rupture au niveau des forums sociaux mondiaux, c’est d’ailleurs le Forum social mondial de 2009 à Belém au Brésil qui va d’une certaine manière montrer quelques voies nouvelles. Notamment sur la question de la lutte contre la financiarisation et les propositions qui peuvent être faites, mais il va mettre en avant un certain nombre d’idées complètement nouvelles à partir de quelques mouvements qui prennent une très grande importance : le mouvement des femmes, le mouvement des peuples autochtones, le mouvement paysan avec la Via Campésina qui joue un rôle très très important et qui met en avant des nouvelles notions, la notion des communs et toute une série d’autres manières de réfléchir et en fait cette troisième génération commence par les luttes qui suivent 2008 qui sont les luttes de 2011-2013. Il y a quand même des luttes dans à peu près une cinquantaine de pays, des luttes majeures, et ces luttes majeures sont très violemment réprimées, et la troisième génération c’est la génération qui a fait face à cette répression des luttes qui était portée dans la période qui a suivi 2008 et qui commence.
C’est une génération qui a construit sa culture à partir notamment des Occupy, à partir de la question dans les mouvements des pays arabes mais qui finalement commence son chemin. Elle commence son chemin et ça c’est très important et elle est en butte à une tentative de reprise en main extrêmement violente et qui se traduit notamment par la montée mondiale de l’extrême droite que nous connaissons aujourd’hui mais cette montée mondiale de l’extrême droite, elle est un peu en trompe l’œil.
Elle est un peu en trompe l’œil parce que finalement les générations qui ont fait ces mouvements de 2011 à 2015 d’une certaine manière ont abandonné l’espace de la politique classique.
Je trouve que ces mouvements là c’est un peu le début d’une proposition d’une nouvelle stratégie et je pense que nous devons un peu partir de cette idée là qu’il y a des mouvements mais que ces mouvements ne considèrent pas que la forme du politique c’est-à-dire construire des partis pour contrôler l’État, pour changer la société, que cette équation est encore valable et donc je trouve d’ailleurs que tous ces mouvements sont extrêmement vivants aujourd’hui et se retrouvent un peu déjà en train de construire une proposition politique majeure et l’élément nouveau c’est que ça se traduit où cela accompagne un bouleversement au niveau géopolitique mondial avec la montée du Sud global et de ses contradictions.
Je pense que la montée du Sud global qui n’est pas celle des États du Sud qui est celle des peuples du Sud et effectivement est au cœur de ce renouvellement.
A lire également
Quid de l’organisation révolutionnaire ?
Le conflit pour faire démocratie
Rennes, une citoyenne à la mairie