Au fil de l’histoire humaine, l’apparition d’une nouvelle technique qui représente un saut qualitatif majeur, a toujours été source d’enthousiasme chez certains et de défiance chez d’autres, pouvant aller même jusqu’à la volonté de détruire l’outil comme cela a été le cas des luddistes au début du 19e siècle en Angleterre qui brisaient les métiers à tisser mécaniques remplaçant les métiers à bras avec comme conséquence des suppressions massives d’emplois. Aujourd’hui des réticences s’appuyant sur la même crainte d’être dépossédé de son métier peuvent se manifester chez les professionnels de la santé, et plus particulièrement les médecins, vis-à-vis de l’intelligence artificielle (IA).
Regardons de plus près ce qu’il en est à partir d’un exemple tout à fait concret qui est le dépistage du cancer du poumon par le scanner thoracique à faible dose. La situation actuelle est la suivante. Ce cancer est responsable de 33 000 décès par an en France et nous savons qu’un dépistage précoce des tumeurs de très petite taille permet de multiplier par presque 10 la survie à 5 ans des patients. Cependant, actuellement, une analyse très précise de l’examen par le radiologue prend au moins 30 minutes et au fil de la journée la fatigue diminue la performance humaine, ce qui entraîne un défaut de diagnostic préjudiciable pour les patients. Les premières études utilisant l’IA montrent d’une part une amélioration de la performance de détection pour les nodules de petite taille qui atteint 97 % pour une radiologue équipé de l’IA, alors qu’elle n’est que de 85 % sans cet outil. L’autre avantage majeur est le gain de temps, avec un résultat en quelques minutes, ce qui économise du temps de radiologue et permet de multiplier les examens dans le cadre d’une politique de dépistage de masse de la population à risque. Ainsi l’utilisation de cette technique permet d’envisager cette option avec un rapport efficacité/coût très favorable dans un contexte de démographie médicale difficile.
Cependant, l’intervention humaine reste essentielle pour l’analyse de chaque cas qui est particulier, afin de discuter des examens complémentaires et du traitement à éventuellement mettre en œuvre. En effet, en cas de présence d’un nodule, la question est de savoir s’il faut faire une biopsie afin de confirmer ou d’infirmer sa nature cancéreuse. Cet examen n’est pas anodin, peut être source de complications et l’analyse bénéfice/risque ne peut reposer uniquement sur la machine mais doit prendre en compte ce qu’on appelle le colloque singulier entre le patient et le médecin. Dans ce cadre, la règle doit bien rester le choix éclairé du patient bénéficiant de toutes les informations souhaitées pour pouvoir prendre sa décision.
Il faut par ailleurs regarder de plus près comment fonctionne l’IA et comment sont construits les algorithmes. Ces derniers s’appuient sur la somme des connaissances existantes à un instant T pour en tirer le meilleur à ce même instant T. Donc l’IA ne détectera que ce qui est semblable aux détections dans le passé en améliorant la performance humaine. C’est à ce niveau que des inquiétudes peuvent apparaître pour l’avenir. En effet, si tout est confié à la machine, il est possible qu’une perte de connaissances ou qu’un défaut d’amélioration des connaissances s’établisse au fil du temps et annihile tout progrès. L’exemple de la diminution des connaissances anatomiques des médecins au fil du temps du fait du développement des examens d’imagerie notamment est particulièrement éclairant. Le plus marquant est la perte de la qualité de l’examen neurologique des générations de médecins postérieures à l’apparition du scanner, puis de l’IRM. Sans éléments tirés d’un examen clinique précis du patient pour orienter l’examen radiologique, le risque de ne pas prescrire le bon examen et/ou de ne pas rechercher la bonne anomalie augmente fortement.
Il est possible de multiplier les exemples du même type mais celui exposé ici est emblématique de la manière dont le nouvel outil que constitue l’IA peut être utilisé efficacement en médecine dans l’intérêt des patients. Mais, comme toujours, il ne faudra pas oublier que l’outil ne reste qu’un instrument parmi d’autres à disposition du praticien dont l’objectif devra rester toujours le même, à savoir adapter ses réponses au cas par cas en prenant toujours en compte les choix de son patient.
Dr Christophe Prudhomme, conseiller CGT à la CNAM
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