Les débats de ce dossier évoquent pour plusieurs d’entre nous ceux de la FASE (Fédération alternative sociale et écologique) des années 2007 et d’Alternative Citoyenne des années 2004. Rappelons que l’une et l’autre de ces organisations revendiquaient fortement le fait d’être des mouvements faisant de la politique , et non des partis !
Relire les dossiers et déclarations d’Alternative Citoyenne en 2004 et de la FASE dans les années 2007/2008 (il y a 15 ans !) donne l’impression d’être à des années lumière de 2023, et pourtant les questions posées comme les revendications restent étrangement les mêmes : faut il s’en affliger ou s’en féliciter ?
La question demeure : Qu’en avons-nous fait ??
Dès 2004 pour « Alternative Citoyenne » nous écrivions
« De la rue aux urnes ou articuler le social et le politique
« La vie politique, accaparée par les partis politiques, et scandée par les élections et leurs taux de participation alarmants, est peu mobilisatrice pour les citoyens.
« Il est donc urgent et nécessaire de leur rendre le pouvoir sur leurs vies et leurs destins collectifs. C’est le projet même du mouvement Alternative Citoyenne fondé en 2004, avec pour mot d’ordre : « De la rue aux urnes », qui veut faire de la politique autrement, redonner la parole aux citoyens, les mettre au cœur de la politique et faire le lien entre leurs préoccupations et les choix politiques. »
Une figure incarne ces rapports différents entre le peuple et la politique, c’est celle de Claire Villiers décédée en 2010. Son parcours de viepermet de comprendre son souci de la démocratie, de la participation et de la mobilisation du plus grand nombre, de l’égalité et de la lutte contre les discriminations, de la place des femmes, du lien entre travail et vie quotidienne, entre les travailleurs et les habitants, des rapports entre syndicalisme et politique, entre action concrète et réflexion, du rôle de l’élue…
Du social au politique /« De la rue aux urnes »
L’axe principal du militantisme de Claire Villiers a été d’articuler le social et le politique, de passer outre le clivage traditionnel entre syndicalisme et politique, et d’inscrire l’action syndicale dans la vie politique.
Déployons à partir des « urnes » ; que l’on peut traduire par les institutions, la politique, la démocratie représentative. Dans une démocratie, les institutions devraient assurer l’ordre et la cohésion sociale, elles devraient permettre l’organisation et la vie du système social, et s’appuyer sur une large légitimité, régulièrement renégociée.
Ce qui renvoie à la fonction politique qui pourrait se définir par le fait de susciter le vivre ensemble (et le goût du…), l’adhésion à un projet, la construction d’un monde commun, ce qui n’exclut pas bien sûr la lutte des classes ; bref une sorte de contrat social !
Or nous voyons aujourd’hui un pouvoir, des pouvoirs politiques incapables de répondre aux aspirations et même aux besoins élémentaires de la société civile, et déconnectés de celle-ci, parce que ne parlant pas le même langage, plus occupés du pouvoir et de son partage. Les citoyens attendent beaucoup de la politique et sont en même temps très méfiants et éloignés. Les politiques sont en outre eux-mêmes dominés par le marché, la mondialisation capitaliste et l’Europe sur laquelle ils se défaussent, évitant la responsabilité de leurs politiques nationales.
Il y a aujourd’hui un rejet massif des institutions par nos concitoyens, justice, État, école…un mouvement certes sociétal mais significatif aussi du rejet du politique.
La « rue » c’est la société civile, ce sont les mouvements sociaux, syndicaux, associatifs, les usagers des différents services, les protagonistes des différentes luttes sociales. La société civile est extrêmement exigeante, informée, et commencerait peut-être bien à avoir une certaine conscience de sa capacité de subversion, et ceci, de façon paradoxale, au moment même où les gouvernants actuels font fi de, et passent outre les revendications et mouvements sociaux.
On voit en effet une multitude de mouvements, d’initiatives et de groupes sociaux se constituer en micro contre-pouvoirs de défense de droits économiques, sociaux, et/ou civiques.
Avec la difficulté que peuvent représenter les processus d’institutionnalisation d’un certain nombre d’entre eux : associations, syndicats/mouvement syndical, élus, ONG…
Relisons aussi les textes de la FASE de cette époque : ils évoquent « la crise de légitimité de la représentation politique :« nombre de citoyens qu’ils votent ou qu’ils s’abstiennent ne se sentent plus représentés pas les élus ; on parle, on décide à leur place… ils veulent être acteurs et maîtres de leurs vies ».
Nous parlions déjà de changement de culture politique et de rompre avec la conception traditionnelle de la politique et des formes d’organisation qui l’accompagnent. En inventant de nouvelles formes politiques avec l’exigence du pluralisme, et de la participation large des citoyens.
Nous prônions donc le métissage des cultures politiques : la nécessité d’associer le social, le politique et le culturel, et surtout de dépasser le clivage syndicats /partis politiques/luttes sociales par de larges participations populaires et citoyennes (dynamiques) . « Le nécessaire dépassement de la césure entre les luttes ;le mouvement social et la politique institutionnelle, les partis politiques et les nombreuses organisations, associations, réseaux et collectifs de citoyens, insurgés, indignés, révoltés une galaxie d’ organisations qui font de la politique sous des formes diverses ».
Le débat du dossier montre que sur ce point au moins les idées et les prises de position ont bougé puisque par exemple Nara (Solidaires) revendique fortement le syndicalisme comme politique…
Il fallait ( toujours à la FASE) mettre à profit les différentes expériences autogestionnaires féministes, écologiques, altermondialistes, de luttes des migrants, des quartiers etc… rapprocher les mouvements c’était (c’est encore !) s’apercevoir qu’ils ont moult convergences ; utiliser les liens entre eux pour créer du commun entre les luttes ! ce que nous essayons beaucoup de faire aujourd’hui.
Le projet de transformation de la société par une gauche alternative sociale et écologique passait entre autres par des candidatures unitaires et l’élection d’une assemblée constituante.
Tout ceci pourrait s’écrire aujourd’hui !!!! avec certes quelques nuances et avancées qui font les débats de ce numéro de Cerises.
Bénédicte Goussault
A lire également
Quid de l’organisation révolutionnaire ?
Le conflit pour faire démocratie
Rennes, une citoyenne à la mairie