Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

La pieuvre et ses tentacules

Convergence des luttes, alliance, « Tous ensemble », articulation des combats sociaux, etc., on ne compte plus les expressions tendant à rendre compte de la nécessité ressentie de dépasser la fragmentation des mouvements sociaux confrontés pourtant à un même système global de domination. Les luttes de classe, féministes, syndicales, antiracistes, anti-impérialistes, etc., se juxtaposent en s’ignorant pour le mieux, se concurrencent ou s’opposent pour le pire.

Le problème posé n’est pas seulement de formaliser le plus grand dénominateur commun à toutes les oppressions, dominations et exploitations mais est, selon nous, de faire avancer la conscience d’une causalité systémique commune à toutes celles-ci. Le capitalisme n’est pas seulement un rapport social d’exploitation du capital sur le travail, il est aussi un système de domination qui enrôle à son service en les reformatant tous les rapports sociaux de domination qu’a connu l’histoire : patriarcat, rapport social féodal, âgisme, racisme, etc. Quatre décennies d’offensive postmoderne ont fait reculer la conscience de l’existence même de ce système global de domination. 

Bien sûr et heureusement, l’expérience concrète de la lutte fait sans cesse renaître cette conscience. Ainsi par exemple lors d’une rencontre nationale des luttes de l’immigration et des quartiers populaires à laquelle nous avions convié des Gilets Jaunes, nous avons pu constater la véritable découverte et le véritable choc que fut pour eux le constat qu’ils avaient été aveugles aux violences policières systémiques dans les quartiers populaires. Les liens qui étaient établis dans les consciences [entre les violences policières subies par chacun des deux acteurs] permettaient d’accéder concrètement c’est-à-dire de manière incarnée à la notion de système global de domination. 

Mais chacun est confronté à ce système global de domination au travers de l’oppression, de la domination ou de l’exploitation qui le détruit le plus [qui le violente le plus, qui l’empêche de se réaliser le plus] conséquemment à un moment donné de sa trajectoire. Il ne peut donc y avoir pour lui de hiérarchisation des luttes lui demandant de patienter ou d’accepter que ses revendications prennent une place subalterne dans l’agenda des priorités. Une telle hiérarchisation conduit à ce que Aimé Césaire avait appelé la confusion entre « alliance » et « subordination ». Une alliance qui ne soit pas une subordination suppose de rechercher en permanence les liens systémiques entre exploitation de classe et racisme, entre racisme et sexisme, entre écologie et impérialisme, etc. Ce sont ces liens qui constituent la base matérielle de la conscience d’un système global de domination commun. Les classes dominantes d’une époque ont toujours intérêt à diviser ceux qui devraient être unis et à unir ceux qui devraient être divisés. 

L’appel à l’union des dominés ou à la convergence des luttes est inefficace et incantatoire tant que celui-ci peut être entendu ou perçu comme un appel à taire certaines inégalités ou à les secondariser. C’est pourquoi dans une séquence plus ou moins longue selon les périodes historiques se sont les conditions de ladite « convergence » qu’il s’agit de produire, et en premier lieu la conscience des liens systémiques entre les dominations et exploitations d’une part et sa conséquence concrète d’autre part, la solidarité active. La solidarité active de la CGT du Nord dans le combat du comité des sans-papiers 59 [surtout dans les moments durs de la lutte comme les grèves de la faim] ont logiquement conduit à de nombreuses syndicalisations au moment de la régularisation. L’urgence des papiers étant résolue pour les nouveaux régularisés, ils pouvaient s’attaquer à leur nouvelle urgence : leur surexploitation économique en tant que travailleurs assignés à certains secteurs.  

Tous les combats en apparence éparpillés mais
qui participent tous du refus d’un même système global

Bien sûr de telles rencontres supposent de bannir toute attitude de paternalisme, de fraternalisme, de maternalisme, de sachant s’adressant à des ignorants, etc. C’est ainsi que peut progresser la prise de conscience d’un système global de domination commun. Ho Chi Minh utilisait la métaphore de la pieuvre et de ses tentacules pour évoquer ce système global de domination. Il expliquait ainsi que certains tentacules enserraient les peuples des colonies alors que d’autres faisaient de même avec les travailleurs des la puissance colonisatrice. Il expliquait ainsi que toute victoire des uns affaiblissait la pieuvre dans son ensemble et renforçait ainsi la lutte contre l’autre tentacule. La métaphore d’Ho Chi Minh nous semble pertinente aujourd’hui pour tous les combats en apparence éparpillés mais qui participent tous du refus d’un même système global. 

Said Bouamama 

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