Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Une oasis dans un océan de capitalisme…

Cet article fait partie du dossier “Un communisme à usage immédiat” que vous pouvez retrouver en cliquant sur la pomme.

Un pansement dans le monde capitaliste.

Antoine et Armell ont un regard lucide sur leurs pratiques militantes.

Antoine

(…) on est un peu dans un système, là [ les distributions alimentaires gratuites ] c’est dans de l’alternative, un peu un pansement au système capitaliste, et pour moi  le but premier, ce qui est sous-jacent à tout ce qu’on fait, c’est qu’on ne devrait plus exister. Toutes ces associations, comme cela, moi quand je fais de la distribution alimentaire, ou de la réduction des risques, on a bien conscience, on a bien expliqué par exemple, en tout cas j’explique bien aux autres adhérents de l’association que le but c’est de ne plus devoir au final exister.

Armell

(…) de la bouffe gratos pour les pauvres, c’est aussi une manière que les pauvres se tiennent tranquilles. Comme on n’est pas dans une situation où on veut empirer la crise, en se disant que cela va faire exploser les choses, ce qu’on dit c’est que  les pauvres, nous, on est dedans ; on est beaucoup à vivre avec moins de 500 balles par mois. Avec moins que le RSA, ou avec le RSA. On n’est pas sur un truc de dire, voilà les gens comme cela ils se révolteraient, mais on sert quand même de pansement au système capitaliste. Je dit « on » de manière générale, les assos qui font de l’aide alimentaire, mais nous on a envie de garder un regard critique avec ce qu’on produit d’une certaine manière. On reste convaincus que la manière de changer les choses, ce n’est pas qu’en produisant des alternatives, mais c’est d’abord et avant tout en s’investissant dans des luttes de transformation sociale. On fait en sorte d’avoir des organisations qui mettent du rapport de force avec les institutions etc. Du coup on pense que la politique se fait sur 3 jambes. A la fois la question des alternatives. A la fois la question de la lutte (qui pour nous devrait être la jambe la plus forte) et la question de l’éducation populaire. Comment on transmet les idées, comment on transmet les savoir-faire, comment on arrive à avoir des expériences collectives.

Pas de prise sur le système ?

Clément

À mon avis, il y a un niveau macro social comme le dit Bernard Friot, qui relève de l’organisation capitaliste qui est donnée, sur laquelle on n’a aucun pouvoir – enfin, à court terme. Je veux dire, il est là, le machin, qui implique une certaine conceptualisation de la rationalisation appliquée aux rapports économiques etc. qui définit sa valeur, une certaine division des tâches, organisation de la production (…). Et c’est l’armature du problème, et on n’a aucune prise directe sur ce truc-là, hors climat insurrectionnel (…). Et en attendant, ce système là, il permet d’exister à des sortes d’Oasis,(…) des endroits où nous, on peut vivre un peu à l’abri de l’influence de ces choses-là et développer des choses qui nous plaisent entre nous, entre gens qui sont d’accord pour essayer de fuir ce mode de vie qu’on nous impose, cette domination capitaliste. Donc, il y a tout un tas de choses qui, là, quand on est entre nous, peuvent dépendre de nous, on peut construire entre nous de façon autonome, et donc on peut aller relativement loin comme ça. La ZAD en est un exemple, ou par exemple le collectif de profs qu’il y a eu à la fin de Blanquer, qui s’est un peu détaché des formes syndicales pour se permettre plus de réactivité et de radicalité aussi, (…) ça peut marcher dans une certaine mesure. Mais au bout d’un moment, on butte sur le fait qu’on reste dépendant.

Distributions du R2R

Donc, nous, on souhaiterait aussi réorganiser tout ça, mais on n’a aucune prise dessus, hors moment insurrectionnel où on menace vraiment l’ordre établi. (…), il y a des choses qu’on peut prendre, organiser entre nous et faire, donc là, on est tout de suite « victorieux » entre guillemets, mais c’est sur des espaces très restreint, et puis très rapidement on est dans les zones qui sont totalement contrôlées par la rationalisation du système tel qu’il est prévu, et sur lequel on butte comme sur un mur. Le truc est surpuissant face à nous.

Des points d’appui

Armell

Dans les gens qui habitaient sur place, qui ont lutté sur place, les camarades sur place sont très au clair sur le fait que c’est pas seulement en multipliant les zones d’autonomie qu’on va renverser le capitalisme. Par contre, ça peut participer à créer des espaces de solidarité, des espaces où l’État est moins présent, de tester de nouvelles choses, de servir de base matérielle pour plein de choses.

Pierre

Et alors Armell pose une question en parlant des espaces : « ça ne suffit pas », et Clément pose la question de la dimension insurrectionnelle de ce qu’on peut faire. Ça nous ramène un peu au début de notre discussion. C’est : « Comment y parvenir ? ». Est-ce que ce que nous faisons, les uns et les autres, ce sont de petits espaces qui font ce qu’ils peuvent sans pouvoir toucher au système, ou est-ce qu’il faut réussir à les considérer comme des leviers qui donnent l’exemple qu’on peut penser la société autrement, qu’on peut penser la politique autrement. Et qu’à partir de là, ce sont des points de départ d’une démarche effectivement insurrectionnelle.

On a aucune prise directe hors climat insurrectionnel

Si on prend les questions de la ZAD qui ont été évoquées, est-ce que c’est seulement ponctuellement que des gens se sont regroupés pour empêcher ce qu’ils considéraient comme des catastrophes, qui ont construit leur baraque, où est-ce la démonstration qu’on est capable de se substituer à ce qu’on considère aujourd’hui d’une manière banalisée comme « les forces politiques », qu’on se substitue à ce qu’on considère de manière banalisée à « l’Etat », et dans ce cas-là, nous avons la prétention d’occuper cet espace. Mais pas de l’occuper seulement pour la ZAD, de l’occuper sur d’autres. Et je crois que quand on prend ceux qui se sont battus sur la ZAD, ceux qui sont en train de se battre sur la question des services publics – je pense à l’hôpital – est-ce qu’il faut qu’ils s’en remettent à une espèce d’autorité supérieure, ou est-ce qu’il n’y a pas un dénominateur commun qui peut émerger dans le sens de : « On est jamais si bien servi que par soi-même ». C’est-à-dire, on prend nos responsabilités, et être citoyen, ce n’est pas passer quelques secondes dans un isoloir pour obéir ensuite, mais être citoyen, c’est s’occuper de ses affaires, et s’apercevoir qu’il y a une convergence de construction de formes de pouvoir populaire qui pose la question d’une dynamique insurrectionnelle.

Mais ça suppose qu’évidemment, au fur et à mesure, on construise une vision d’une société cohérente.

Patrick

Moi, ça me fatigue, les révolutionnaires Nesquik, c’est-à-dire, il faut que ce soit instantané, il faut que le rapport de force soit tout de suite là, que l’insurrection soit là. En fait, dans les processus historiques, ça se construit, c’est des affluents qui se rejoignent, même des ruisseaux qui se rejoignent et voilà.

Vivement le torrent !

(la photo en tête de cet article a été prise lors des « soulèvements de la terre, rassemblement contre les méga-bassines »

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