Le moins que l’on puisse dire est que le plan de relance présenté par Joe Biden fait sensation dans les médias, de gauche en particulier. Le journal Le Monde souligne « l’ampleur historique d’un plan de relance colossal qui devrait avoir un impact considérable sur la vie de millions d’américains. »
Mediapart parle d’un nouveau paradigme et écrit que le président des États-Unis entend promouvoir une nouvelle social-démocratie, tout en admettant que les obstacles seront nombreux et que cette rupture est encore incomplète. Même ATTAC titre : « Une révolution progressiste au pays de l’Oncle Sam… »
Il est vrai que relativement à la révolution reaganienne des années 1980 et après 4 ans de politique de Trump, on croit un peu rêver en entendant Joe Biden déclarer que « la théorie du ruissellement n’a jamais fonctionné. ». Et de fait, Biden met le paquet : un premier plan de 1900 milliards de dollars puis un second de 2300 milliards (sur huit ans). ). Des millions d’Américains à faible revenus toucheront jusqu’à 1400 dollars d’aides directes par individus et personnes à charge, coût total : 400 milliards de dollars. 350 milliards sont prévus pour les États et les collectivités locales, 213 milliards pour le logement social, 100 milliards pour les infrastructures électriques, 115 pour les routes et ponts, 80 pour les chemins de fer, 66 milliards pour l’eau et près de 400 milliards. pour les activités de service à la personne. Des investissements annoncés dans des domaines souvent délaissés par le passé. Sans oublier la recherche et aussi, quand même, quelques moyens sont prévus pour soutenir directement certains secteurs d’activité.
Et ce plan, Biden annonce qu’il veut le faire payer par les riches en augmentant le taux de l’impôt fédéral sur les sociétés de 21 à 28%. Du jamais vu depuis le début des années 50.
Bien sûr, il faut relativiser cette hausse qui d’ailleurs, sous la pression des lobbies, pourrait bien être ramenée à 25% ce qui entérinerait une baisse de 10 points sur les 14 décidés par Trump. Cela consoliderait quand même une perte de près de 30% du rendement de l’impôt, ce qui reste considérable. Il y a aussi l’annonce d’un relèvement des taxes pour ceux qui gagnent plus de 400 000 dollars par an.
Et, contrairement aux plans de relance français et européens, l’argent n’est pas distribué au privé en espérant qu’il fasse les bons choix, par nature, il choisit les intérêts de ses actionnaires, mais utilisé pour des investissements publics massifs et la relance de la consommation des plus défavorisés.
Il semble que les excès de la politique néolibérale de Trump aient convaincu Biden que trop de libéralisme risque de tuer le libéralisme d’où ce choix d’un retour de l’État interventionniste utilisant l’investissement public pour relancer la consommation et l’activité économique. Le retour de Keynes en quelque sorte. Macron et les Européens restant les derniers défenseurs honteux de la théorie du ruissellement.
De quoi donner à nouveau du grain à moudre à une nouvelle social-démocratie comme le suggère Mediapart ? Pas si sûr.
D’abord parce qu’il s’agit de mesures ponctuelles, en quelque sorte un nouveau New deal (Julien Bayou d’EELV va jusqu’à évoquer un « green new deal » alors que les mesures contre le changement climatique sont peu présentes dans ce plan).
Ensuite le capitalisme a évolué depuis Roosevelt, il s’est mondialisé et financiarisé et Biden est loin d’être suivi par les autres chefs d’États occidentaux. La concentration économique, notamment sous l’impulsion des fonds d’investissements, fonctionne désormais comme un rouleau compresseur capable d’imposer sa volonté aux politiques publiques les plus audacieuses en s’appuyant sur des traités internationaux qui laissent l’essentiel des pouvoirs économiques au marché, dominé par les multinationales. Ces dernières pratiquent un lobbyisme très efficace auquel Biden a d’ailleurs déjà commencé à céder sur le taux de l’impôt fédéral des sociétés, annoncé initialement à 28% et déjà probablement ramené à 25%. Au même niveau que celui prévu en France pour 2022.
Et comme la baisse tendancielle du taux de profit est toujours une constante du capitalisme, on assiste à une nouvelle étape de la restructuration du capital à l’échelle mondiale, les plus puissants absorbant les plus faibles pour améliorer leur profitabilité. Cela risque d’avoir des conséquences économiques et sociales de nature à remettre en cause la belle histoire. Et on risque de chercher en vain le grain à moudre pour satisfaire les revendications et répondre durablement à l’urgence sociale.
Mais il est possible que ce plan donne provisoirement une bouffée d’oxygène au capitalisme. Mais, fondamentalement, il s’agit d’un plan résolument productiviste qui vise à relancer la sacro-sainte croissance, vitale pour la course aux profits et l’accumulation de capital. Il ne prend absolument pas en compte la nécessité d’un monde d’après débarrassé de l’impérative nécessité de poursuivre la fuite en avant du capitalisme.
A moins que Biden prenant, conscience de l’impasse néo libérale, pousse son raisonnement jusqu’au bout (pas de ruissellement, faire payer les riches pour répondre aux besoins…) et franchisse le pas de la remise en cause du capitalisme financiarisé. Macron, le dernier, et honteux, adepte de la théorie du ruissellement ne s’en remettrait pas.
Bon, on peut toujours rêver mais on n’en est pas encore là, même s’il ne faut pas sous-estimer ce qui se passe aux États Unis, en particulier la remise en cause de certains dogmes du néolibéralisme mais aussi le développement de luttes diverses et d’expériences citoyennes porteuses de déjà là.
Alain Lacombe
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