Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Lyon aussi n’est pas à vendre

Dossier “Territoires et alternatives démocratiques”

L’organisation actuelle des territoires masque la mise en place de nouveaux pouvoirs  plus  difficiles à identifier et de plus en plus à l’abri des exigences des citoyens…” (lire ici la suite du Prologue au dossier “Territoires et alternatives démocratiques”)

La métropole de Lyon est une collectivité territoriale de plein exercice, au même titre que le conseil territorial de Corse. La loi appliquée à partir du 1er janvier 2015 qui créé la métropole « Lyon Métropole » est l’inspiratrice des moutures suivantes appliquées partout en France sur la création des communautés d’agglomération. Mais là où elle aurait dû être un modèle pour inventer l’organisation des grands territoires urbanisés de France, interconnectés avec les autres territoires locaux, européens et internationaux, elle est pour l’instant une institution très centralisatrice, opaque pour certaines de ses compétences, à l’image d’une mini 5ème république appliquée à son territoire.

Lyon n’est pas à l’origine une ville qui concentre à l’excès les défauts de certaines grandes agglomérations : jusqu’au début des années 2000 perduraient une politique du foncier public volontariste ; les décisions d’aménagements ou d’infrastructures, certes souterraines ou de couloir, voire de cours et clientélistes, associaient malgré tout de multiples acteurs puissants : politiques, économiques, religieux, sociaux,  obligés de trouver des consensus. Beaucoup de quartiers, sont « habités » de multiples manières : grande mixité sociale, présence encore récente de l’industrie ou de l’économie non tertiaire, centre-ville comportant une majorité de logements, réseau de transport dense, etc. Mais rattrapée par le néo-libéralisme de ces deux dernières décennies, elle est tombée dans presque tous les écueils : casse des grandes régies publiques (eau, déchet, transports), créations de « pôles d’attractivités » (centres d’affaire, centres commerciaux, centres touristiques) au détriment de l’équilibre territorial et avec plus ou moins de succès à la clé, ventes des bâtiments publics et privatisation de l’espace public, sous-investissement public au profit de partenariats public-privé ou de « deals » parfois douteux avec de grands financiers (stade de Gerland, rue de la République), le tout avec une grande importance donnée à la gestion par grands projets ou l’évènementiel économique et culturel. Deux exemples pour illustrer cela : l’hôtel-Dieu, grand bâtiment classé monument historique en plein centre-ville, était un hôpital public jusqu’en 2007, il abrite aujourd’hui un hôtel de luxe, un musée chic et une cité de la gastronomie. Il a été vendu plusieurs fois depuis sa session initiale par la Ville pour une somme symbolique, et la cité de la gastronomie a été récemment renflouée par la Ville de Lyon et ses contribuables parce qu’elle ne marche pas aussi bien qu’attendue ! L’ancienne usine Fagor-Brandt, dans le quartier de Gerland, pour laquelle nous avons en vain œuvré pour empêcher sa fermeture en 2015, qui a produit de l’électro-ménager puis des moteurs électriques, est transformée cette année en lieu d’exposition phare de la biennale d’art contemporain, avec des œuvres d’artistes du monde entier dénonçant les excès de la mondialisation libérale et la perte de sens au travail !

Je ne conçois pas mon travail d’élue sans les habitant.e.s de ce territoire.

Élue dans le 1er arrondissement, seul arrondissement acquis à la gauche opposée à Gérard Colomb à Lyon en 2014, je ne conçois pas mon travail d’élue sans les habitant.e.s de ce territoire. D’abord parce qu’ils n’auront de cesse de me le rappeler si je tente de les ignorer. Au cœur des pentes de la Croix-Rousse, le 1er est l’un des territoires les plus denses d’Europe, et malgré sa « boboïsation » galopante, l’un des plus mixte socialement. Encore récemment « quartier prioritaire », il a une tradition du mouvement social bien à lui : les coopératives et les habitats collectifs autogérés sont présents depuis les années 70, les anarchistes dans toutes leurs acceptions depuis encore plus longtemps, mais aussi de très nombreuses associations, collectifs, lieux culturels. Dans ce contexte privilégié, les élu.e.s que nous sommes se doivent d’une part de rendre compte de leurs actions régulièrement et surtout des moyens employés même lorsque les résultats ne sont pas là, car un arrondissement a peu de pouvoir vis-à-vis de la Ville ou de la Métropole, comme peut aussi l’être une petite ville ou un village dans une communauté d’agglomérations ou une métropole. Outre les formes classiques comme les réunions de quartier ou les publications sur internet et les réseaux sociaux, il y a aussi la banderole au fronton de la mairie !

Les élu.e.s sont des passeurs autant que des politiques et je préfère faire en sorte que les personnes se rencontrent plutôt que de monter une énième « écurie » acquise à la cause, comme cela a pu être le cas dans le passé. Lyon consacre moins de 0.1 % de son budget à la démocratie participative, et le 1er arrondissement, avec seulement 60 000 € de budget d’action locale pour 30 000 habitant.e.s, consacre plus de 40% de celui-ci à la participation (instances, concertations, revue participative). Les conseils de quartier ne peuvent plus être les classes prépa des partis politiques et je me réjouis, même si ce n’est pas mon bord politique, quand un collectif de commerçants indépendants bouscule le microcosme feutré de la presqu’île lyonnaise pour dénoncer l’implantation du énième « resto à burger » tout en présentant « en même temps » un nouveau plan de développement économique et urbain ! Car les temps changent, et là où le foisonnement de collectifs et de pétitions était une particularité du 1er, c’est devenu un moyen pour nombre d’habitant.e.s de Lyon de se mêler de la vie de la cité, passant du « je rale » au « nous voulons ». Aujourd’hui, ces collectifs (Collectif Part-Dieu, La Fabrique de la Ville, Collectif Mazagran, « La Guillotière n’est pas à vendre », « La Croix-rousse n’est pas à vendre » etc…) produisent des contributions saluées dans les enquêtes publiques, en particulier le PLU-H[1] et sont rejoints par des professionnels urbanistes, architectes, promoteurs ou encore s’associent à des travaux universitaires.

Le foisonnement de collectifs et de pétitions, un moyen pour nombre d’habitant.e.s de Lyon de se mêler de la vie de la cité.

Les élu.e.s se doivent de leur donner une voie indépendante. Dans le 1er arrondissement, celle-ci est portée par le conseil territorial, instance où siègent de droit les associations, collectifs, conseils de quartier, fédérations, syndicats de l’arrondissement et qui désignent des rapporteurs qui siègent au côté des élu.e.s à chaque conseil d’arrondissement pour porter des questions, dont le contenu, les débats et les réponses sont publics et publiés. Grâce à cela, la force collective habitant.e.s, élu.e.s, a permis d’empêcher la fermeture de l’école publique Levi Strauss dans le centre-ville, mais aussi de modifier sensiblement le projet immobilier de l’ancien collège Truffaut ou encore d’éviter la vente d’une salle de spectacle municipale.

Les conseils de quartier, de développement, citoyens, sont à Lyon des comités Théodule sans réel pouvoir et du même coup vidés de force vive. Mais leur efficacité, qui pourrait être meilleure avec un vrai budget de fonctionnement, nécessite aussi la réorganisation des services, trop verticalisés ou qui ont fait la part belle à l’organisation par projets urbains, au détriment des services de proximité, sous-dotés, moins reconnus et qui ont même du mal à recruter, alors qu’ils disposent d’une grande expertise de terrain. Les grands projets, utiles et inutiles, concentrent aujourd’hui les compétences et dépendent de calendriers et de modes de fonctionnement incompatibles avec le temps nécessaire à l’inclusion des habitant.e.s. Des inventions pourraient bien sortir de ces échanges pourtant.

L’expertise des habitant.e.s, dans ces métropoles éduquées, peut être encouragée et développée. Rêvons qu’elle puisse même remplacer des études privées auxquelles nous faisons appel régulièrement, parfois même conduites par les mêmes agences qu’on cherche à évaluer. Le secteur marchand déjà omniprésent n’a pas autant besoin des collectivités pour se développer, par contre les expérimentations, dans le monde associatif ou l’économie sociale et solidaire a besoin d’un coup de pouce, car c’est dans ces modèles que se trouvent bon nombre d’innovations de demain. En outre, même pour les plus grands projets d’infrastructure ou de construction, nous devons (re-)inventer le « faire avec ». Ré-inventer comme le vieux Lyon, aujourd’hui à mon sens un genre de grand musée touristique à ciel ouvert, a échappé à la destruction grâce à ces habitants et rénover avec eux par des bailleurs sociaux et des promoteurs à la fin des années 70. Dans ce grand Monopoly que sont devenues les grandes métropoles, c’est d’autant plus important que les promoteurs ou constructeurs nationaux voient leur échapper à eux-aussi une bonne partie des opérations immobilières qu’ils ont pourtant contribué à laisser au marché privé puis à la spéculation. Alors gageons que nous trouverons les bonnes méthodes, les Lyonnais.e.s en sont conscient.e.s de plus en plus des enjeux, et sont prêts à s’investir.  A nous de ne pas leur laisser seulement « la couleur des bancs ».

Laurence Boffet


[1]               Plan local de l’urbanisme et de l’Habitat

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