La vague Me Too a eu la mérite de mettre en lumière le comportement d’une engeance masculine, qui pensait que les femmes étaient des objets à leur disposition. La première campagne Me Too est lancée en 2007 par Tarana Burke, militante féministe afro-américaine pour dénoncer les violences sexuelles. Dix ans plus tard éclatent des scandales de violences sexuelles dans le milieu du cinéma ou de la politique. Entre temps l’affaire Strauss-Kahn a défrayé la chronique.
Dans ce contexte, il y a une violence encore plus terrible : celle qu’on fait subir aux enfants et très fréquemment dans le cadre familial. L’inceste provoque des dégâts considérables. Et selon un sondage IPSOS de novembre 2020 près de 10% de la population, majoritairement féminine déclare avoir été victime de violence sexuelle pendant leur enfance. Encore plus cruel : un nombre important de victimes avaient moins de 4 ans au moment des faits !
Triste Tigre raconte avec beaucoup de sobriété l’inceste qu’a subi Neige Sinno par son beau-père pendant son enfance. Dès la première page Neige Sinno donne le ton : « portrait de mon violeur ». L’autrice explique qu’il est assez facile de se mettre à la place de la victime. Alors elle fait le choix de se mettre à la place du bourreau pour tenter de comprendre l’indicible : « car au fond de moi, ce qui me semble le plus intéressant c’est ce qui se passe dans la tête du bourreau ».
Je trouve que la force du livre est de ne pas être dans le ressentiment, mais de dire ce qui ne peut plus être tu. En lisant ce récit j’ai pris toute la mesure de l’horreur que représente les violences sexuelles sur un enfant et des traces indélébiles que ça laisse toute une vie. Au travers de son itinéraire personnel, ce récit de vie prend une dimension universelle et soulève beaucoup de questions à la fois morales, juridiques et politiques.
Il faut savoir que les révolutionnaires de 1791 ne considéraient pas l’inceste comme un acte criminel. Entré dans le code pénal en 1791 le viol n’a été défini et véritablement puni qu’à la fin des années 1970 après le procès retentissant où Gisèle Halimi avec deux consœurs était l’avocate de 2 plaignantes belges. Une évolution du droit et des mœurs qui doit beaucoup à la campagne menée par les féministes du MLF. Le Code pénal reconnaît, depuis la loi du 3 août 2018, l’inceste en tant que qualification pour les viols et agressions sexuelles.
Le livre de Neige Sinno sort après les livres de Camille Kouchner et Vanessa Springora et la société prend toute la mesure de ce crime et de ses conséquences pour l’enfant devenu adulte et aussi pour l’entourage. L’autrice essaie de reconstruire sa vie à 8000 km de la France. Elle conclut « le pays des Ténèbres……. Trébucher, mais encore une fois, ne pas tomber. Ne pas tomber. Ne pas Tomber ».
Un récit très fort qui ne laisse pas indemne …
« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil. » René Char
Daniel Rome
Triste Tigre, Neige Sinno, Éditions P.O.L, août 2023, 288 pages, 20 €
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