L’exigence de la gratuité – santé, IVG, éducation, premiers m³ eau ou kWh d’électricité… – vise l’égalité d’accès pour tou·tes. La revendication de la gratuité des transports en commun porte en plus, le choix écologique de privilégier les transports collectifs pour faire reculer drastiquement la voiture individuelle. Au-delà de cette double dimension sociale et écologique, les demandes de gratuité font écho au sentiment profond que ce qui est sans prix est plus important que ce qui est évaluable monétairement, que « ce qui compte vraiment ne peut pas toujours être compté ». La gratuité prend de front la logique du capitalisme qui transforme tout en marchandise. A la production de marchandises, elle oppose la production de valeurs d’usage. Au productivisme, au « toujours plus, plus grand, plus vite », elle oppose la vieille aspiration socialiste : « à chacun selon ses besoins ».
À la « main invisible du marché », elle doit substituer des mécanismes, qui ne peuvent être que radicalement démocratiques, pour définir les besoins à satisfaire, décider de ce qui doit être produit. C’est la délibération collective, l’autogestion à tous les niveaux, et non les directives bureaucratiques, par en haut, qui peuvent déconstruire les besoins artificiels et définir des besoins “universalisables”, c’est-à-dire non réservés à certaines personnes ou à certaines parties du monde. La gratuité est indissociable du commun qui substitue à la propriété, le droit d’usage et devoir de prendre soin et implique la construction d’institutions démocratiques.
La gratuité d’émancipation doit être financée par une fiscalité juste (par opposition aux impôts injustes comme la TVA et autres), par du salaire socialisé (Sécurité sociale, mais aussi Versement Mobilité). Elle n’est ni la fausse gratuité si bien résumée par l’avertissement : « quand c’est gratuit, c’est toi le produit », ni le travail gratuit. Ce dernier point est très important d’un point de vue féministe.
Le mouvement féministe a mis en évidence que le système de domination globale qu’est le capitalisme ne se limite pas à l’exploitation de la force de travail des salarié·es, qu’il requiert du travail gratuit/invisible pour reproduire cette force de travail à moindre coût. Ce travail étant dans son immense majorité assigné aux femmes, la dévalorisation des tâches reproductives et le statut social dévalorisé des femmes sont liés. Il convient donc de reconnaître la centralité sociale et économique du travail de soin. Concrètement, à l’opposé de la destruction systématique de la protection sociale (à coup de baisse des cotisations), nous avons besoin d’une augmentation du salaire socialisé pour financer des services socialisés, transformés, étendus, pour la santé, l’éducation, l’accueil de la petite enfance, la prise en charge de la dépendance des personnes très âgées et/ou dépendantes, des restaurants/cuisines collectives… Gratuits afin de garantir l’égalité, ces services doivent être autogérés conjointement par les usagèr·es, les salarié·es pour leur permettre enfin de “bien faire ” leur travail et en finir avec l’une des principales sources de souffrance au travail : l’empêchement du “travail bien fait”.
Autant de possibles que nous devons ouvrir ensemble en conjuguant la gratuité au féminisme.
Christine Poupin
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