Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Coup de toit

« Un coup de toit consiste en un rapprochement brutal du mur et du toit du chantier… le toit et le mur en se rapprochant se referme sur les mineurs au travail… la cause de l’accident : un réajustement brusque des tensions du toit. »

C’est ainsi que le directeur de la mine explique la catastrophe aux journalistes. ON est en pleine période des trente (dites) glorieuses à Brassac, quelque part au sud d’Issoire dans le Puy de Dôme. Déjà 10 corps remontés et le bilan risque d’être beaucoup plus lourd.

Les journalistes attendent la suite attablé au restaurant du coin réfléchissant à voix haute à leurs articles. Le journaliste du plus grand journal local, genre Play boy aux mains baladeuses avec la serveuse, annonce qu’il ferait « un chapeau d’ambiance, en citant Zola : Eux au fond de leur trou de Taupe, sous le poids de la terre n’ayant plus de souffle dans leur poitrine embrasée… du littéraire pompier pour faire pleurer dans les chaumières. ». Parle moins fort lui glisse son collègue. Il ajoute « il ne faut pas que j’oublie le couplet philosophique genre : Le destin vient de frapper une nouvelle fois les hommes pour leur rappeler l’humilité etc. »

Plutôt l’effet que les faits lui glisse un collègue. Car les faits n’ont semble-t-il pas grand-chose à voir avec le destin.

Le journaliste du patriote, le journal « coco », raconte à ses collègues son entretien avec le délégué à la sécurité : le boisage des galeries est insuffisant à Brassac et le bois utilisé de qualité inférieure. A signaler également que le nombre de boiseurs a été réduit de moitié depuis l’année dernière et les contrôles de sécurité ont été considérablement espacés…

Les syndicats étaient d’ailleurs sur le point de déclencher une grève pour protester contre les économies de bouts de chandelle préjudiciables à la sécurité des mineurs et alerter sur les dangers grandissants d’un coup de poussière. Plus tard on apprendra que la direction de la mine achète du bois de qualité inférieure et partage la différence avec le fournisseur. Mais aucun journaliste, sauf celui du patriote, n’en parlera : « laisse tomber petit, ce genre d’information n’est pas pour nous » dit le plus vieux d’entre eux.

C’est d’ailleurs ce que le sous-préfet leur a demandé en les réunissant dans le bureau du directeur de la mine : « que peuvent par exemple quelques madriers de bois, fussent-ils du meilleur chêne, contre un coup de toit ? Rien. Je compte sur vous messieurs, pour faire comprendre au public combien nous sommes parfois désarmés, malgré toute notre science, toute notre technique, toute notre prudence, devant certaines manifestations intempestives de la nature ».

Le bilan sera de 39 morts dont 2 sauveteurs.

Alain Lacombe

Coup de toit, Jean Sanitas, 1975, « Les Éditeurs Français Réunis »

Cet article fait partie du dossier :

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