Pourquoi ce poème, Cap’tain Zombie ? … parce que Depestre a selon moi une volonté acharnée de nuire à la violence des puissants à l’asservissement à la dépendance à la domination au bannissement.
Ses poèmes sont écrits en une belle langue très belle encore quand ce sont les créoles qui la disent. Dans ce grand poème Cap’tain Zombie, il faut entendre le zombie en son sens propre extrêmement présent en Haïti. Depestre est fier de ce zombi-là. Aussi le glisse-t-il de dans ce long poème.
Il se trouve par ailleurs qu’enfin la ville de Pointe-à-Pitre, s’est doté d’un musée, inauguré en 2015. C’est le premier musée de France né sous la revendication populaire. Il a été le premier musée français à traiter correctement le souvenir de la traite négrière de l’esclavage et des abolitions. Il se trouve que parmi les esclaves dont le nom est indiqué il y a celui de mon arrière arrière-grand-mère née esclave décédée libre en 1895… probablement ! Alors lorsque je lis pour la énième fois ce poème de Depestre je ne sais quel plaisir j’ai de le partager…
Manifestement pour ce que je sais de l’œuvre poétique ou romanesque de Depestre il y a toujours un moment où il ne résiste pas aux besoins de célébrer la vie à dire comme il faut la défendre, à repousser violence oppressions exclusion, maltraitance fondamentale de l’humanité.
Le zombie bien maltraité dans le français de métropole, est considérablement important dans son sens propre. Dans nombre de ses textes romans ou poèmes, Depestre dit comme les millions de noirs opprimés usés assassinés privés de vie et de mort comme les humains ont, sur toute la planète surent et savent célébrer l’humanité en inventant 1000 formes d’enterrement. C’est ainsi que pour Depestre les millions de noirs opprimés privés de sépulture sont métaphoriquement réduits à l’état de zombie. Et pour rendre l’humanité aux millions de nègres assassinés Depestre inverse l’image inquiétante du zombie en en faisant un hommage à la célébration de la vie envers et contre tout, manière de dire que l’art du poète c’est de redonner vie au zombie de la vie.
Catherine Destom-Bottin
Cap’tain Zombi
De René Depestre
Je suis Cap’tain Zombi
Je bois par les oreilles
J’entends avec les dix doigts
J’ai une langue qui voit tout
Un odorat-radar qui capte
Les ondes du cœur humain
Et un toucher qui perçoit
À distance les odeurs
Quant à mon sixième sens
C’est un détecteur de morts
Je sais où sont enterrés
Nos millions de cadavres
Je suis comptable de leurs os
Je suis comptable de leur sang
Je suis peuplé de cadavres
Peuplé de râles d’agonies
Je suis une marée de plaies
De cris de pus de caillots
Je broute les pâturages
De millions de morts miens
Je suis berger d’épouvante
Je garde un troupeau d’os noirs
Ce sont mes moutons mes bœufs
Mes porcs mes chèvres mes tigres
Mes flèches et mes lances
Mes laves et mes cyclones
Toute une artillerie noire
À perte de vue qui hurle
Au cimetière de mon âme !
Écoutez monde blanc
Les salves de nos morts
Écoutez ma voix de zombi
En l’honneur de nos morts
Écoutez monde blanc
Mon typhon de bêtes fauves
Mon sang déchirant ma tristesse
Sur tous les chemins du monde
Écoutez monde blanc !
Le sang nègre ouvre ses vannes
La cale des négriers
Déverse dans la mer
L’écume de nos misères
Les plantations de coton
De café de canne à sucre
Les rails du Congo-Océan
Les abattoirs de Chicago
Les champs de maïs d’indigo
Les centrales sucrières
Les soutes de vos navires
Les compagnies minières
Les chantiers de vos empires
Les usines les mines l’enfer
De nos muscles sur la terre
C’est l’écume de la sueur noire
Qui descend ce soir à la mer !
Écoutez monde blanc
Mon rugissement de zombi
Écoutez mon silence de mer
O chant désolé de nos morts
Tu es mon destin mon Afrique
Mon sang versé mon cœur épique
Le pouls marin de ma parole
Mon bois-d ’ébène mon corossol
Le cri des arbres morts en moi
L’écho de leur sève dans ma voix
Ma race tel un long sanglot
Qui cherche ma gorge et mes eaux
Qui cherche en moi le bras de mer
Où l’Afrique arrache son cœur
Écoutez monde amer monde blanc
Mon chant d’agonie ma vie ce chant
Qui marie en mon corps le vent
Et la vague, le ciel et l’enfer !
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