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Crise constitutionnelle actuelle et crise de 1871 à 1879

Depuis le 2ème tour des législatives on vit une situation inédite, même sous la Vème République. Que ce soit Mitterrand et Chirac, lorsqu’ils perdent les législatives, ils appellent le parti majoritaire pour nommer un 1er ministre issu de la nouvelle majorité. Si la constitution de la Vème prévoit dans son article 8 la nomination du 1er ministre par le Président il est d’usage depuis la chute de Mac Mahon que le 1er ministre soit issu du parti de la majorité, où d’une coalition majoritaire.

Deux Républiques ont été qualifiées de régime d’assemblée, bien qu’elles soient caractérisées par un simple déséquilibre des pouvoirs au profit du législatif. Le 6 février 1879 devant l’assemblée, le Président de la République Jules Grévy déclare : « Soumis avec sincérité à la grande loi du régime parlementaire, je n’entrerai jamais en lutte contre la volonté nationale exprimée par ses organes constitutionnels ». Le droit de dissolution tombe en désuétude et on assiste à une appropriation du pouvoir par les parlementaires.

Le passage en 1958 à la Vème République, la pratique de l’élaboration des lois qui passe de l’assemblée aux gouvernements. Soutenu par la haute administration, l’élection du Président au suffrage universel et le quinquennat depuis 2000, maintenant suivi par les législatives, contribuent à renforcer le pouvoir monarchique du Président, au détriment de la démocratie parlementaire. Cet abus du pouvoir présidentiel est renforcé par l’utilisation du 49-3 qui a été largement utilisé par Macron et Elisabeth Borne, 23 fois entre 2022 et 2024. Le gouvernement Borne n’a été distancé que par le gouvernement Rocard sous la présidence de Mitterrand, 28 fois.

Mitterrand écrit au sujet de l’abus du pouvoir présidentiel, en 1965 : « En remplaçant la représentation nationale par l’infaillibilité du chef, le général De Gaulle concentre sur lui l’intérêt, la curiosité, les passions de la nation …  Qu’est ce que la Vème République sinon la possession du pouvoir par un seul homme… » (dans son ouvrage, Le coup d’état permanent).

Ces critiques non seulement ont concerné De Gaulle mais dans les faits s’appliquent à tous les présidents de la République sous la Vème, y compris Mitterrand lui-même. (L’utilisation systématique du 49-3, le tournant de la rigueur, le génocide du Rwanda, l’affaire du Rainbow Warrior) Sarkozy en 2008 a suivi (Traité de Lisbonne) et bien sûr le pouvoir jupitérien de Macron qui s’exerce encore après les élections de juin, par son refus de nommer un 1er Ministre issu du NFP, Mme Lucie Castets. C’est ce refus qui me conduit à une réflexion sur les débuts de la 3ème République quand Mac Mahon s’est opposé à la représentation nationale durant plus de 18 mois de 1876 à 1877 (Sa démission en 1879 confirme l’effacement des Présidents). Surtout comment c’est instauré suite à cette longue crise le fait que le Président nomme un Premier Ministre issu de la majorité même relative de l’Assemblée nationale.

L’instabilité de la IVème République est considérée par les Gaullistes comme une tare congénitale. Dès 1946, De Gaulle aurait souhaité un régime présidentiel, d’où son retrait. Après 1947 le parti communiste du fait de la guerre froide est exclu du gouvernement. Les gaullistes alliés objectifs des communistes vont manœuvrer pour augmenter l’instabilité des gouvernements. La 4ème République a 24 gouvernements de 1947 à 1958 la 3ème 107 gouvernements de 1871 à 1940. Malgré ces instabilités ces républiques vont résoudre, pour la 3ème, la paix de 1871, l’adhésion politique à la République, le boulangisme, l’affaire Dreyfus, la séparation de l’église et de l’État et surtout l’union sacrée. Pour la 4ème, la reconstruction, la décolonisation de l’Indochine, du Maroc et de la Tunisie, pour l’Algérie, je pense que l’alliance entre les ultras de l’Algérie Française et les gaullistes a largement contribué à l’échec de la 4ème, discours de De Gaulle du 4 juin 1958 (Je vous ai compris !)

La constitution de 1958 instaure un Conseil constitutionnel art 61 et 62 qui vérifie la conformité des lois à la constitution, Son autorité est encadrée d’une part par le Conseil d’État et la rédaction même de l’article 61 qui ne donne pas de compétence au conseil constitutionnel pour statuer sur l’élection à la présidence de l’Assemblée de Mme Braun Pivet décision du 31 Juillet 2024. Il est probable que le Conseil adoptera la même position dans le recours formulé par le RN.

Il faut aussi rappeler que tous les présidents historiquement sont irresponsables politiquement et pénalement depuis le début de la 3ème République (situation confirmée par la loi du 23 février 2007).

Sauf une mise en cause par haute cour CJR pourrait peut-être mettre en cause un Président (le fameux article 68 de la Constitution), mais elle ne s’est jamais réunie pour juger un Président. De plus aucune majorité à l’Assemblée, pour mettre en œuvre une saisine ne sera obtenue pour mettre en œuvre une procédure devant la CJR (d’autant que cette majorité devrait également être obtenue au Sénat).

On peut conclure que même très minoritaire le Président Macron peut exercer un pouvoir exclusif sans tenir compte des résultats électoraux des dernières législatives. Depuis mi-août l’on est entré dans une crise politique proche de celle qui s’est produite entre Mac Mahon et les assemblées de 1871 à 1879.

L’Assemblée nationale même à majorité royaliste dès de début de la 3ème République se méfie d’une présidence de la République trop puissante, cela est dû au coup d’état du 2 décembre 1851 par Napoléon Bonaparte. Ce coup d’état se traduit par environ 300 morts à Paris et plusieurs centaines en province (Il n’y a pas eu de chiffres établis) et 27 000 arrestations (essentiellement des républicains). L’État autoritaire est confirmé par l’instauration du Second Empire le 2 décembre 1852.

Napoléon III souhaite rétablir la puissance de la France comme du temps de Napoléon 1er. Il va développer une politique coloniale et d’interventions extérieures tout au long de ses 18 ans de règne : 1853 annexion de la Nouvelle Calédonie, prise de Saïgon et colonisation de la Cochinchine, 1853 Campagnes de pacification en Algérie et Kabylie (1854,1857). Guerre de Crimée (1853,1856), Campagne d’Italie 1859. Expédition en Syrie (1860-1861). Expédition au Mexique (1861-1867). Guerre de 1870. C’est cette volonté de puissance qui va le conduire à déclarer la guerre à la Prusse.

L’avènement de la 3ème République survient dans une période très difficile en pleine défaite avec la Prusse. La République est proclamée 2 jours après la bataille de Sedan le 4 septembre 1870 à l’Hôtel de Ville de Paris par Gambetta. L’armée allemande a un nombre de soldats bien supérieur (Le chemin de fer en Allemagne permet l’arrivée de plus de 400 000 hommes, face à 250 000 Français.) L’artillerie prussienne équipée de canons en acier provoque l’évolution stratégique qui conduit à la victoire, les canons bombardent les armées françaises à longue distance hors de vue des soldats.

Les armées professionnelles ont été battues, en particulier à Sedan et lors du siège de Metz. Les nouvelles armées levées par Gambetta (Armée de la Loire et de volontaires à Paris) Se font à partir de civils pas entrainés et mal équipés.

Le général Trochu gouverneur de Paris soutient la nouvelle République et souhaite la poursuite de la guerre du fait même que Bismarck demande dès la défaite de Napoléon, l’Alsace Lorraine. Trochu devient le président du gouvernement de défense nationale et Gambetta le ministre de l’Intérieur et de la guerre. Thiers n’entre pas dans ce gouvernement.

L’armée de la Loire levée par Gambetta échoue à lever le siège les 2 et 5 décembre 1870. La sortie de Buzenval, le 19 janvier 1871 pour rompre le siège est un échec. Le gouvernement de défense nationale demande un armistice le 28 janvier 1871. Gambetta démissionne le 6 février 1871, car il souhaite la poursuite de la guerre.

L’empereur d’Allemagne est couronné à Versailles, le 18 janvier 1871, c’est l’unification allemande sous l’égide de la Prusse.  

Il est demandé, à la suite de l’armistice, par Bismarck, la tenue d’élections (élection du 8 février 1871) d’une Assemblée nationale dont la fonction aux yeux des Prussiens est la signature de la paix. L’élection se déroule dans une France en guerre, 41 départements sont occupés et l’état de siège est proclamé dans plusieurs départements. Bismarck donne 3 semaines aux Français pour organiser les élections. La chambre élue est majoritairement royaliste. La paix est signée le 10 mai 1871. La France cède l’Alsace et la Lorraine et paie 5 milliards de francs or. L’Allemagne quitte les régions occupées en septembre 1873, par suite du paiement intégral des dommages de guerre.

Les élections de février 1871 donne les résultats suivants : monarchistes et bonapartistes 416 sièges, républicains 222 sièges sur un total de 638 élus. La possibilité de candidatures multiples fait que sur 768 sièges à pouvoir il manque 130 sièges. Des élections partielles sont organisées le 2 juillet 1871 dans 46 départements 112 sièges sont à pourvoir les républicains emporte 91 sièges, les conservateurs 10. il y a eu d’autres élections partielles entre 1872 et 1875 qui se traduisent par la victoire des républicains face à des conservateurs monarchistes et bonapartistes divisés.

Après l’élection de février 1871 l’Assemblée est favorable au retour de la Monarchie. Le comte Henri de Chambord est le prétendant à la couronne de France mais il souhaite le retour au drapeau blanc (signe de la Monarchie absolue) et s’oppose au drapeau tricolore signe d’une Monarchie constitutionnelle (souhaitée par les Orléanistes) de ce fait l’assemblée vote une 1ère loi constitutionnelle le 31 Aout 1871, par cette loi Thiers devient président de la République.

C’est cette chambre de février et juillet 1871 qui va voter la Constitution. C’est un régime parlementaire conforté le 25 et 26 février 1875 par 3 lois constitutionnelles et une loi électorale.

Auguste Thiers est le 1er Président de la République. Il est à la fois chef de l’État et du gouvernement. Il négocie des conditions de paix avec les Allemands en 1871. La paix est votée par 546 voix contre 107 le 1 mars 1871. Il réprime dans le sang la Commune de Paris.

Thiers, a été Président du conseil et ministre de Louis Phillipe, jusqu’en 1840 année durant laquelle il devient républicain conservateur libéral. Durant le second empire, il est dans l’opposition et n’exerce aucun mandat politique.

Il est élu à Bordeaux le 17 février 1871 Chef du pouvoir exécutif puis le 31 août 1871, Président de la République, il reste républicain face à une chambre monarchiste. Il est mis en minorité le 24 mai 1873, donc il démissionne.

Le Président de la République est élu par les 2 chambres réunies, députés et sénateurs.

Les lois électorales conforte le suffrage universel masculin c’est un scrutin uninominal à 2 tours.

Elles sont complétées par une loi constitutionnelle de 1884 interdisant tout membre d’une famille qui a régné d’avoir un mandat politique et de voter.

La commune de Paris dure 72 jours du 18 mars au 28 mai 1871, elle se termine par la semaine sanglante du 21 au 28 mai 1871 (entre 10 000 et 30 000 morts) et par la déportation de 4 250 communards dont Louise Michel. La Commune est le double résultat :

– d’un armistice, dictée par Bismarck, alors que Paris a subi un siège très dur de 4 mois et que l’Allemagne n’a pu vaincre Paris à l’issue du siège.

– d’une élection du 6 février, qui produit une Chambre royaliste dans laquelle les républicains sont minoritaires (222 sur 638 soit 34,7%), alors qu’à Paris les républicains sont majoritaires.

La défaite de la Commune conduit à l’instauration d’une République qui sera longtemps conservatrice, les radicaux et socialistes seront absents de tout gouvernement jusqu’en 1895 (Gouvernement Léon Bourgeois).

De Mac Mahon Maréchal de France Duc de Magenta Gouverneur général de l’Algérie de 1864 à 1870. Blessé, Mac Mahon est prisonnier en 1870 à la bataille de Sedan. Il est responsable de l’écrasement de la Commune en mars 1871, sous l’autorité de Thiers.

Mac Mahon est élu en 1873 Président de la République, royaliste, il est élu par les 2 Assemblées en attendant la restauration d’une monarchie. Son mandat est confirmé par le septennat (choix de compromis entre monarchistes et républicains). Les élections de 1876 confortent les républicains, Jules Simon républicain conservateur devient 1er Ministre. En mai 1877 les catholiques conservateurs souhaitent la primauté du pouvoir spirituel du Pape sur le pouvoir temporel de la République. Gambetta s’exclame devant la chambre « Le cléricalisme voilà l’ennemi ». Mac Mahon appuie la position (catholiques ultramontains) s’oppose à l’Assemblée nationale en provoquant la démission de Jules Simon en nommant le monarchiste Albert De Broglie 1er Ministre pour la 3ème fois. Gambetta et les républicains réagissent, ils refusent la confiance au gouvernement De Broglie. Mac Mahon ajourne les chambres pour un mois (mise en congé du Sénat et de l’Assemblée). Le 16 juin Mac Mahon demande son avis conforme au Sénat pour dissoudre l’Assemblée. Le 19 juin 1877 la défiance est votée par 368 députés contre 158, le 22 juin le Sénat donne son accord pour la dissolution de l’Assemblée.

Les nouvelles élections ont lieu en octobre 1877. La victoire des républicains est incontestable 323 sièges contre 208 aux conservateurs. Mac Mahon souhaite une nouvelle fois dissoudre mais le Sénat ne le suit pas. Mac Mahon nomme un « gouvernement d’affaire » (de nos jours on parlerai de gouvernement technique) hors des partis. La chambre refuse la confiance par 325 voix contre 208 le 24 nov. 1877. Ce gouvernement De Rochebouët dure du 23 novembre 1877 au 13 décembre 1877. Il est remplacé par le 5ème Gouvernement Dufaure, républicain de centre gauche. Mac Mahon démissionne en 1879 après les élections sénatoriales. Le Sénat devient républicain, Les républicains demandent une épuration des conservateurs monarchistes au sein des corps de l’État y compris parmi les États-majors (5 généraux) Mac Mahon s’y refuse il doit donc se démettre (“Se soumettre ou se démettre” parole de Gambetta en 1877).

Mac Mahon a été proche d’une tentative d’instauration d’une République autoritaire qui n’est pas sans rappeler le Coup d’État du 2 décembre 1851. Toutefois en reconnaissant sa défaite après une crise institutionnelle de 18 mois, il instaure le fait que le Président ne peut nommer un gouvernement hors de la majorité ou de la coalition majoritaire à la chambre des députés.

En 1958 sous prétexte d’obtenir une stabilité gouvernementale De Gaulle met fin à une pratique institutionnelle de 81 ans (hors Vichy). La crise actuelle de 2024 n’est pas sans rappeler celle 1876-77. Le 1er Ministre et le Gouvernement émanaient de l’Assemblée nationale et non du Président.

On peut dire que sans une réforme profonde des institutions de la Vème République, la Vème sera dans l’incapacité de résoudre le conflit entre la chambre des députés et le Président Macron. En particulier il serait bien de faire en sorte que le Conseil constitutionnel puisse statuer sur le fait que le Président doive nommer un 1er ministre issu de la majorité ou d’une coalition majoritaire.

Tant que : le Président quel qu’il soit, aura un pouvoir monarchique, au travers du 49-3 et de la nomination du Gouvernement, l’Assemblée sera ou impuissante ou une simple chambre d’enregistrement. De ce fait la démocratie et l’expression des citoyens sera niées et on assistera à une montée de l’abstention et des droites extrêmes.

En cas de dissolution dans 11 mois, on peut craindre que contrairement 1877, la majorité ne sera pas celle des défenseurs de la démocratie, mais celle du RN c’est-à-dire d’une république populiste autoritaire.

Si les élections ont lieu en Juin 2025 et que la droite républicaine (moins de 5,41% résultat 2ème tour 2024) et Ensemble pour la République sont encore plus minoritaires (moins de 23,15% résultat 2ème tour) Macron lui aussi devra se soumettre ou se démettre.

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