Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Néo-colonialisme, captation et fuite des cerveaux

Le peu d’analyses consacrées aux migrants les plus qualifiées (diplômés, cadres, professions supérieures, intellectuelles et artistiques, chercheurs et étudiants…) convergent sur plusieurs points essentiels : absence de données fiables et d’études corrélées (y compris auprès des grandes institutions : Organisation Internationale pour les Migrations, Division population des Nations-Unies, Programme des Nations-Unies pour le Développement, OCDE, FMI, Banque Mondiale…) ; un phénomène systémique en amplification; des conséquences économiques, sociales, scientifiques, culturelles et politiques désastreuses pour les pays d’origine ; de grands bénéfices pour les pays d’accueil…

Outre les situations d’extrême urgence (environnementales, famines, guerres…) ce phénomène, dit de ” fuite des cerveaux “, a des causes récurrentes bien identifiées : répression politique, absence de liberté et de considération, discriminations, insécurités et instabilités, conditions socio-économiques rendant très difficile la vie et le travail quotidiens… Mais on oublie trop souvent que ces ” fuites ” sont aussi suscitées et exacerbées depuis très longtemps par de véritables politiques systématiques de ” captation des cerveaux ” mises en place par les pays riches et tout particulièrement occidentaux. Des appels et des offres permanentes accompagnées de facilités d’accueil et d’installation largement déniées aux autres migrants procèdent d’une volonté délibérée d’attirer toujours plus les meilleurs pour attiser l’innovation et la créativité au service de la compétitivité économique, de profiter de hautes compétences à moindre coût, voire plus corvéables, au moment où un tassement, voire un tarissement, des budgets de recherche, développement et d’investissement au profit des spéculations financières peut susciter contestations, protestations et résistances, et enfin, pour pallier un vieillissement chronique des populations. 

Cette politique aussi agressive que séductrice d’extraction de compétence provoque un exode massif d’actifs hautement qualifiés et d’une jeunesse vivier d’une excellence à venir. C’est un véritable néo-colonialisme aussi soft intellectuellement que socialement pervers et économiquement déstructurant. Les discours mielleux de ruissellement ” gagnant-gagnant ” d’un supposé échange équitable et mutuellement fécond où les pays riches formeraient les futurs élites sensées booster à leur retour le développement culturel, économique et social de leur pays d’origine n’est en l’état qu’une illusion mortifère. La fondation de familles mixtes, les conditions de liberté, d’avantages financiers, de stabilité sociale, de qualité de vie et d’activité, et la prégnance culturelle des modes de vie, d’habitat et de relation occidentaux, ainsi que la perduration des situations localement difficiles, voire conflictuelles et liberticides sont autant d’obstacles conjugués qui réduisent les retours à une infime minorité, et rend leur réinsertion très problématique.

Ce rapt qualitatif constitue une violence économique et politique et une emprise symbolique et idéologique qui au mieux vassalisent les pays victimes, et au pire obère durablement les possibilités d’un auto-développement endogène. Cet extractivisme intellectuel peut concerner plus des trois-quarts des élites des pays les plus pauvres et fragiles. Il demeure très actif même lors des embargos et boycottes de certains pays comme l’atteste le cas iranien, où le nombre des étudiants a doublé en 25 ans atteignant 10% de la population adulte en âge de travailler, soit 5 millions dont 60% de filles (70% des diplômés supérieurs!), et où, selon les chiffres avancés par des officiels, plus de 400.000 d’entre eux ont réussi à migrer rien que ces dernières années, très majoritairement vers les pays occidentaux et les USA ! Mais le phénomène n’épargne pas l’Europe et selon des estimations concerne plus du tiers des diplômés supérieurs de Bosnie-Herzégovine et d’Albanie, un quart pour la Bulgarie, la Croatie et la Roumanie, 20% pour la Pologne et la Hongrie. Et les USA applique ce captage y compris sur les autres pays occidentaux. Si seulement 1,5% des actifs français sont expatriés, cela concerne 55% des post-doctorants dont 30% vers les USA! 

Un rapport sénatorial tirant une sonnette d’alarme dès 2000 sur cette question est d’ailleurs resté sans aucun effet ! Cet impérialisme intellectuel montre que si économiquement l’Occident doit faire face à de redoutables concurrences sur la scène internationale, la suprématie idéologique occidentale et tout particulièrement américaine demeurent sans rival et cannibalisent toute la diversité du monde pour mieux l’homogénéiser à son profit. 

Makan Rafadjou

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