Du 24 au 26 juillet, le président de la République s’est rendu en Nouvelle-Calédonie. Cela faisait suite aux rencontres bilatérales organisées lors du trimestre précédent entre l’État français et des représentant∙es indépendantistes d’une part, entre l’État français et les partisan∙es de la Nouvelle-Calédonie française d’autre part. Autant dire que dans le deuxième cas, les convergences sont grandes, puisque les deux camps n’en font qu’un pour rechercher à priver les Kanak de leur droit à l’autodétermination, la Kanaky de son indépendance et de la reconnaissance des méfaits de 170 ans de colonisation.
Prolongeant les accords Matignon-Oudinot de 1988, signés après la grande révolte du peuple kanak sauvagement réprimée par l’État colonial français, l’accord de Nouméa, en 1998, prévoyait trois referendums. La montée en puissance, entre le premier et le deuxième référendum, du vote favorable à l’indépendance laissait présager une possible victoire lors du troisième.
En pleine période de confinement, le gouvernement français avait imposé que celui-ci se tienne fin 2021, rendant impossible les débats et échanges d’informations d’une campagne électorale ; c’était aussi l’affichage d’un grand mépris envers le peuple kanak, puisque celui-ci était alors en plein période de deuil, par suite de la COVID. Face à cette situation, unanimement, les mouvements indépendantistes appelèrent à une non-participation à cette mascarade.
Résultat, le 12 décembre 2021, l’État français, par la voix du président Macron, se glorifiait du « choix de la population de Nouvelle-Calédonie », alors que le taux de participation avait chuté de moitié, passant de 85,69% à 43,9% ; dans la province des Îles, il était de 4,5%, dans celle du Nord de 16,6%. Dans ces conditions, les 96,5% de Non à l’indépendance n’avaient guère de sens.
Ce 26 juillet 2023, Macron a répété « La Nouvelle-Calédonie est française parce qu’elle a choisi de rester française ». C’est un mensonge, et pour deux raisons :
D’une part, au vu de la manière dont s’est passé le troisième référendum : le peuple colonisé n’a pas participé. Le FLNKS a annoncé à l’ONU en juin dernier sa volonté de saisir la Cour internationale de justice (CIJ), pour lui demander de trancher si le droit à l’autodétermination avait été bafoué par la tenue de la consultation durant la pandémie de Covid.
D’autre part, parce qu’il ne s’agit pas de décider si ce territoire est français ou non : il ne l’est pas ; il a été colonisé et doit donc être décolonisé, c’est d’ailleurs reconnu et inscrit en processus de décolonisation par l’ONU. Ce processus est toujours en cours. Raisonner comme Macron, c’est légitimer une fois de plus la colonisation, toutes les colonisations : ce n’est pas aux États qui envahissent, qui annexent, qui colonisent de décider ensuite de l’avenir des populations !
Un an et demi après le troisième référendum volé au peuple kanak, l’État colonial s’attaque à un point essentiel et pour lequel les indépendantistes ont toujours été unanimes. Dès mars dernier, c’est avec mépris, lors de sa visite à Nouméa, que Darmanin affirmait que les élections provinciales de mai 2024 se réaliseraient avec une modification du corps électoral, et ce avant même toute discussion avec les représentants indépendantistes.
Or, le corps électoral est un enjeu crucial. Dans une lettre ouverte du peuple kanak au peuple de France, le 23 novembre 2021, les mouvements indépendantistes[1] rappelaient le contexte historique et politique :
« La prochaine consultation référendaire n’a aucune chance de clore la séquence politique ouverte par l’Accord de Nouméa. Cette séquence est bien plus ancienne. Plus ancienne que la signature de l’Accord de Nouméa le 5 mai 1998. Plus ancienne même que la double signature à Paris des Accords de Matignon-Oudinot en 1988. Cette séquence s’est ouverte en juillet 1983 avec la table ronde de Nainville-les-Roches présidée par M. Georges Lemoine. C’est en effet, au cours de cette réunion qu’ont été posés les deux grands principes fondateurs du contrat moral et politique sur lesquels, nous tous qui résidons en Kanaky-Nouvelle-Calédonie, vivons encore aujourd’hui. Ces deux grands principes doivent être constamment rappelés.
Le premier est la reconnaissance par l’État français d’un “droit inné et actif à l’indépendance” pour le peuple kanak, le peuple colonisé de ce pays. C’était la première fois que l’État français nous reconnaissait ce droit, alors même qu’il nous était reconnu officiellement depuis plus longtemps au plan international, depuis la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux des Nations Unies en 1960. Vingt-trois ans après cette déclaration onusienne signée à l’époque – rappelons-le – par l’État français, celui-ci daignait enfin nous reconnaître ce “droit inné et actif à l’indépendance” et ce n’était pas rien.
Le second grand principe était l’acceptation par le peuple kanak d’associer au futur processus de décolonisation et d’émancipation les membres des différentes communautés venues s’implanter dans le pays avec la colonisation. L’expression employée à l’époque était les “victimes de l’histoire”. Une expression pour dire que tous ceux qui s’étaient installés dans le pays depuis la prise de possession de 1853 n’étaient pas forcément arrivés de leur plein gré, avec l’intention de nuire au peuple kanak, que beaucoup parmi eux avaient connu la misère et la souffrance.»
Au fil de la colonisation, le peuple kanak est devenu de plus en plus en minorité sur ses propres terres, au profit de la colonisation de peuplement mis en place par l’État français. En 1998, dans l’Accord de Nouméa, les indépendantistes kanak ont réussi à faire intégrer la notion de gel du corps électoral. Au regard tant d’un processus de décolonisation que du droit international, c’était bien une largesse du mouvement indépendantiste : c’est au peuple colonisé seul de décider de son avenir !
La droite colonialiste veut noyer toujours plus le peuple kanak parmi un corps électoral élargi. Or, il ne s’agit pas de définir un corps électoral « dans l’absolu », où on serait tenté de dire « tout le monde doit pouvoir voter » (ce que par ailleurs l’État français refuse pour les personnes immigrées vivant en France) : il s’agit de définir quel est l’outil nécessaire pour aboutir à la fin de la colonisation. Dans ce cadre, il est inacceptable que l’État colonial français remette en cause le gel du corps électoral ; c’est clairement pour que n’aboutisse pas le « droit inné et actif à l’indépendance » qu’il avait reconnu !
Par ailleurs comme l’a déclaré Macron ce 26 juillet 2023, les objectifs du pouvoir français sont clairs : les élections provinciales de 2024. L’État y a comme ambition de contrer les indépendantistes, seul moyen également de renverser la tête du congrès local majoritairement tenue par les indépendantistes.
L’ouverture du corps électoral va à l’encontre du sens de l’histoire et serait un réel danger pour l’avenir du peuple Kanak à long terme. Le collectif Solidarité Kanaky se solidarise des courants indépendantistes qui s’opposent à toute modification du corps électoral. Nous nous mobiliserons en ce sens contre toute modification de la constitution en janvier 2024, annoncée par Macron.
Conformément à sa stratégie indopacifique, l’État français poursuit sa politique colonialiste et impérialiste dans le Pacifique avec la volonté d’avoir la main mise sur une partie de la Mélanésie. Cela se traduit notamment par l’annonce de 200 militaires de plus en Kanaky, et 18 milliards de francs pacifique d’investissement militaire. La position géostratégique de la Kanaky – Nouvelle Calédonie a toujours été l’une des raisons premières de cette colonisation : avoir un front de l’armée française planté au milieu du Pacifique au détriment des populations locales. Même sous les vols des rafales de l’armée française à Nouméa, non, ce ne sont pas des terres françaises !
Nous saluons la mobilisation indépendantiste des derniers jours en Kanaky, et dénonçons les interdictions de rassemblement que les organisations indépendantistes ont subi sur leurs propres terres !
Non au dégel du corps électoral en Kanaky – Nouvelle Calédonie !
Autodétermination pour Kanaky
Contre le capitalisme et le colonialisme, solidarité avec le peuple Kanak !
Le Collectif Solidarité Kanaky :
Nous nous rassemblons au sein du collectif Solidarité Kanaky afin d’appuyer les luttes du peuple kanak ; notamment, les mouvements associatifs, syndicaux ou politiques qui agissent pour le droit à l’autodétermination des Kanak, pour l’indépendance de Kanaky. Nous combattons le colonialisme. Notre objectif est de faire connaître et comprendre la situation coloniale qui est celle de Kanaky, d’informer sur les luttes menées sur place, de soutenir les mouvements indépendantistes locaux. Cette action s’inscrit dans un cadre internationaliste et anticolonialiste global.
Organisations membres du Collectif Solidarité Kanaky :
Mouvement des Jeunes Kanak en France, Union Syndicale des Travailleurs Kanak et des Exploités (en France), Union syndicale Solidaires, Confédération Nationale du Travail, Sindicatu di i Travagliadori Corsi, Ensemble !, Nouveau Parti Anticapitaliste, Parti des Indigènes de la République, Parti Communiste des Ouvriers de France, Pour une Écologie Populaire et Sociale, Union Communiste Libertaire, Association Survie, Fédération des Associations de Solidarité avec Tou-te-s les Immigré·e∙s
[1] Front de Libération National Kanak et Socialiste (FLNKS) – Le Comité Stratégique indépendantiste de non-participation (CSINP) – Le groupe UC-FLNKS et Nationalistes – Le groupe Union Nationale pour l’indépendance (UNI) – Le Parti travailliste (PT) – La Dynamique Unitaire Sud (DUS) – La Dynamique Autochtone (DA) – Les Nationalistes – Sénat coutumier – Union Syndicale des Travailleurs Kanak Exploités (USTKE).
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