Si les mouvements sociaux des retraites, des Gilets Jaunes ou contre la Loi Travail ont été des explosions permettant l’entrée massive de pans du prolétariat dans les luttes, ce sont les mobilisations pour les droits des minorités qui aujourd’hui redynamisent le plus, tant dans les moments de forte intensité que dans les périodes d’accalmie.
En particulier, ce sont les mouvements féministes, LGBTI, antiracistes qui, avec le mouvement écolo, attirent aujourd’hui la majorité des jeunes générations militantes. Si cela a pour effet de bouleverser des pratiques, des habitudes, de questionner les rapports de dominations et de violences, ce renouveau ne s’est pour l’instant pas accompagné d’un changement dans le rapport de force global. Deux éléments semblent principalement faire défaut à ces espaces de lutte pour leur permettre cela : qu’ils s’inscrivent clairement et pleinement en tant que sujets de la lutte des classes ; qu’ils se dotent de structures qui leur permettent d’élaborer des stratégies et de créer du commun.
Pour le premier point, il suffit de regarder ce qui se passe ailleurs pour s’en convaincre.
Ainsi, si les grèves féministes ont bouleversé le monde, ont transformé les espaces nationaux dans lesquelles elles se sont déployées, c’est parce qu’elles ont été l’expression de l’hégémonie d’une perspective de classe dans le féminisme, une hégémonie si forte que même les femmes de la petite-bourgeoise se sont emparées de l’outil qu’est la grève.
En France, pour l’instant cette inscription de classe des nouveaux espaces de lutte est timide. Ils ne sont pas uniformes, ni politiquement, ni socialement. Il y a une bataille pour l’hégémonie. Le principal obstacle est que si majoritairement ils sont composés de personnes issues de la classe ouvrière élargie, il y a des difficultés pour beaucoup à se penser subjectivement comme y appartenant, à cause du poids du néolibéralisme, mais aussi des mauvaises relations entretenues avec le mouvement ouvrier traditionnel qui ne permet pas de faire le lien entre les générations militantes.
Trop souvent encore il y a du mépris ou de la méfiance, de l’hostilité de la part du mouvement ouvrier traditionnel qui se refuse à comprendre pourquoi des mouvements sont autonomes, qui refuse aussi à considérer sérieusement les propositions politiques de ces espaces. Or, cela est dramatique, puisqu’à mesure que le temps avance, la crise du mouvement ouvrier traditionnel s’accélère et elle ne semble pas être prête à se résoudre à coup de sectarisme.
En résulte des absences de dialogue, de confrontation, mais aussi de plus en plus une non-influence du mouvement ouvrier traditionnel sur les nouveaux espaces de lutte. Il ne reste donc souvent plus que l’influence générale de la société, par le néolibéralisme, qui a tendance à construire de réelles barrières, à masquer les rapports d’exploitation, préférant que chacun-e se sente privilégié-e par rapport à l’autre et cherche à déconstruire sa position plutôt que de construire des solidarités pour inverser le rapport de force global. En résulte aussi des politiques de l’éphémère, qui ne construisent pas dans le temps.
Face à cela, le principal défi qui se présente aux militant-e-s anticapitalistes qui participent aux nouveaux espaces de luttes est de construire dans la durée des cadres organisationnels qui permettent de regrouper, de fédérer, d’unifier et de repenser stratégiquement. En ce sens, des espaces comme Les Camps Climats ou La Coordination Féministe, bien que très différents dans leurs structurations et objectifs, sont des endroits pouvant aider à cette unification. La construction de coordination interne aux nouveaux espaces de luttes devrait être par ailleurs généralisée.
Il faut que cette unité se pense et se construise depuis la pluralité,
depuis le tout multiforme et non depuis des centres autoproclamés
Et finalement, il faudrait aller vers la construction d’espace commun et de coordination entre ces mouvements et les mouvements ouvriers traditionnels. Mais pour cela il faut que cette unité se pense et se construise depuis la pluralité, depuis le tout multiforme et non depuis des centres autoproclamés qui se font concurrence et ne peuvent prétendre représenter l’unité de notre classe en action.
Il faut prendre au sérieux ce qu’implique le fait qu’aujourd’hui il y ait une multiplicité de centres de luttes dynamiques : à l’organisation unique d’une classe ouvrière militante quasi-exclusivement blanche et masculine, s’est substituée une multitude d’espaces. On peut y voir une division historique. On peut aussi considérer que si de nouvelles unifications s’opèrent, pensées et construites depuis cette multiplicité, elles permettront d’atteindre plus de composantes de notre classe que jamais auparavant. Il faut prendre cela au sérieux, et toutes les tâches qui en découlent.
Arya Méroni
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