Sortir des marchés. C’est une question systémique. Nous avons des équations physiques complexes à résoudre. À tout moment, les électrons ne se stockant pas, la production doit être égale à la consommation dans une économie de réseaux. Cela nécessite que l’on « prévoie » les consommations et que l’on planifie les infrastructures en conséquence (réseaux de transport et distribution et moyens de production).
Avant que le marché – sous le dogme d’une inévitable concurrence voulue par l’Union européenne– ne s’impose et casse cette indispensable planification, les gouvernements successifs décidaient in fine de la politique énergétique de leur pays. C’est comme ça que la France sous l’effet des chocs pétroliers a décidé d’une relative indépendance énergétique à travers le programme nucléaire. EDF -entreprise intégrée- en était le levier opérationnel.
Le marché donne au mieux des signaux d’un prix sur une période de 2 à 3 ans pour des aménagements prévus pour un fonctionnement sur des dizaines d’années selon la filière retenue et mobilisant des capitaux colossaux. De quoi effrayer les financiers, « court-termistes » par nature, et refroidis par les risques industriels. En France, depuis que le marché existe, aucun moyen de production n’a vu le jour sans aide d’état y compris pour les producteurs privés. Nous faisons face à un déficit structurel de production qui va durer d’autant que le parc de production souffre de sollicitations accrues pour répondre à des signaux prix et stabiliser l’intégration des énergies intermittentes. Pourtant seule l’optimisation d’un parc de production dans son « mix énergétique » rationalise les investissements. Les modes de production sont complémentaires et les utiliser en fonction de leurs atouts spécifiques est une optimisation technique et économique permanente.
Deuxième évidence : la nécessaire transition énergétique qui passera par l’électricité pour décarboner les usages – par exemple produire de l’hydrogène pour les transports lourds, ou les divers process industriels – accroissant la dépendance à ce gaz dont la demande risque d’augmenter massivement sans que les moyens de production voient le jour. Ne pas anticiper cette demande, c’est aussi un frein pour l’atteinte de nos objectifs climatiques.
En ce sens, l’accès à ce bien de première nécessité est essentiel pour ne pas accentuer les inégalités. Ce qui se traduit par une maîtrise des prix grâce à un appel optimisé des moyens de production mis sur le réseau et une desserte équivalente y compris pour le monde rural. La question de l’efficacité et la performance énergétique est également cruciale. Actuellement ce dernier point se perd dans les méandres d’un autre marché – celui des certificats d’économie d’énergie- ou par des mesures traduites en subventions sans contrôle des objectifs fixés. Des efforts manifestement insuffisants et inefficaces. Mais qui d’autre qu’un opérateur public souhaite vraiment que la consommation diminue ?
Que reste-t-il comme levier pour l’État quand un marché déraille ? Pas grand-chose comme le montre la crise actuelle des prix de l’énergie. Alors qu’en France, nous avions la chance d’avoir une forme de souveraineté qui permettait d’avoir une électricité à prix stable et corrélé aux coûts de production, aujourd’hui ce sont les prix des marchés du pétrole et du gaz qui le font grimper ! Ce qui pose question pour promouvoir l’électricité bas-carbone relativement aux énergies fossiles… Il ne reste à l’État comme moyen d’action qu’une politique de guichet ou un ajustement des taxes. Difficile d’en corriger les causes. Pourtant l’économie toute entière dépend de l’optimisation de la politique énergétique : elle conditionne le nombre des précaires énergétiques, le pouvoir d’achat, l’industrie, sa nécessaire localisation et l’atteinte de nos objectifs climatiques.
A l’inverse, le système libéral fuyant toute gestion de risques – laissant les États ou les citoyens les couvrir – profite de la découpe des services et missions autrefois pleinement publics. Jetant son dévolu sur les seuls dont les revenus sont pleinement assurés (s’il y a une régulation c’est encore mieux !).
On privatise ce qui rapporte et on nationalise ce qui est risqué, abandonnant la mutualisation des risques entre les différentes activités, jusqu’à la gestion des situations de crises qu’elles proviennent d’aléas techniques, sanitaires ou climatiques. Le coût global de la privatisation est colossal pour la collectivité, avec un détournement de fonds vers des intérêts privés, avec le risque de constater un renforcement des inégalités sociales et l’impossibilité de faire face aux enjeux climatiques.
Karine GRANGER
Conseillère Énergies FNME- CGT
Administratrice salariée EDF.SA
Membre titulaire du Conseil Supérieur de l’Énergie
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