Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Réarmement ! disent les uns, Paix ! disent les autres

Les slogans ne font pas une politique, et surtout pas la cosmopolitique dont nous avons besoin. Pour une partie de la gauche radicale, la guerre est un prétexte pour durcir les politiques austéritaires, et pour l’extrême droite européenne et états-unienne, elle résulte de la volonté des « élites mondialistes » de s’en prendre coûte que coûte à la Russie de Poutine. Regardons les choses en face. Le problème réel que nous ne pouvons nier c’est la coalition des impérialismes conquérants tous prêts à s’emparer par la force de territoires et de ressources pour augmenter leurs puissances économiques et militaires au mépris des principes élémentaires du droit international et sur le dos des populations. Et ces États sont tous également prêts à détruire tout ce qui peut ressembler à de la démocratie, même la plus minimale. En d’autres termes, la question urgente est de savoir que faire devant l’accélération de la destruction de ce qui reste de démocratie et de libéralisme dans les différents pays du monde ?

Soyons concrets. Faut-il abandonner non seulement l’Ukraine, mais aussi la Géorgie, la Moldavie, la Roumanie et les pays baltes aux désirs impérialistes de Poutine parce que la guerre est toujours mauvaise ? Faut-il abandonner le Groenland, Gaza, le Canada et le Panama à ceux de Trump parce que nous n’avons rien à lui opposer sinon la morale et la loi internationale ? Bien sûr que non. Qui serait assez fou pour dire que devant les guerres offensives et devant toutes les nouvelles menaces des puissances impérialistes il faudrait s’exclamer : « paix à tout prix », « ne soutenons pas la défense militaire des pays menacés », « ne ripostons pas aux agressions de conquête ». Lénine, on peut au moins lui reconnaître ça, savait que le socialisme commençait avec le droit à l’autodétermination des peuples[1]. Ce qui en est résulté en URSS est une autre affaire. Ce droit, il se défend par des rapports de force, hélas. La paix à tout prix, dans ces circonstances, n’est qu’une capitulation devant les États ennemis des peuples.

La contradiction à laquelle il faut tenter de se soustraire est la suivante : comment combattre le nationalisme quand on sait combien les nationalismes et les impérialismes sont contagieux. Le mimétisme est de rigueur dans l’histoire des États. Les populations agressées ou menacées n’y échappent généralement pas. Et les gouvernants sont les premiers à instrumentaliser ces agressions et ces menaces pour alimenter le nationalisme et le militarisme sans parler de toutes les formes d’embrigadement idéologique.

Aussi, convient-il de développer un contre-poison, que l’on appelle l’internationalisme. Il commence par les coalitions entre forces sociales prêtes à défendre les principes démocratiques partout dans le monde et les alliances entre pays destinées à s’opposer aux menées de tous les impérialismes. Question difficile : faut-il compter sur l’aide d’un pays impérialiste pour se défendre contre un autre impérialisme qui a déclenché une guerre de conquête ? La Résistance française aurait-elle pu libérer le pays du nazisme sans l’aide extérieure ? Le Vietnam en lutte pouvait-il se passer de l’aide soviétique ? Pas de dogme en la matière, l’efficacité de la lutte est à ce prix. L’internationalisme pratique, c’est aussi unir tous les mouvements qui se battent dans le monde contre leur propre État impérialiste, c’est aider les opposants russes, états-uniens, chinois, et israéliens, et bien d’autres qui se battent pour la démocratie et refusent les guerres de leurs gouvernants.

Mais cela doit aller plus loin. Les impérialismes qui se déchaînent aujourd’hui sont des pathologies étatiques, des exacerbations des logiques souverainistes. Il n’est plus question ici d’urgence de la défense des populations contre les agressions, mais de perspective à plus longue échéance, celle de l’éradication de la domination étatique sur les populations. L’internationalisme organisé du passé n’est plus suffisant. Il importe de commencer à miner ou à miter la domination étatique en développant toutes les formes politiques qui dessinent déjà des institutions d’autogouvernement. C’est ce que Pierre Dardot et moi-même avons appelé « la cosmopolitique des communs ». Elle seule, dans le temps long, pourrait être capable d’arracher les racines institutionnelles de la guerre, à savoir les États fondés sur le principe de la souveraineté. Et comme toujours, la question pratique consiste à articuler les temporalités, l’urgence de l’autodétermination et l’horizon de l’autogouvernement.

Christian Laval

[1]. Lénine « La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes », 1916, https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/01/19160100.htm

 

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