Jean Louis Sagot-Duvauroux
A Bamako quand on entend les réprimandes d’Emmanuel Macron, cela provoque de gros éclats de rire. C’est significatif de quelque chose qui est en train de mûrir, c’est-à-dire le dépassement de la domination occidentale qui reste extrêmement puissante dans les représentations, dans les relations humaines et à travers les déséquilibres internationaux, mais qui a perdu sa puissance, militaire notamment.
Nous vivons le bout d’une guerre mondiale de 500 ans, celle qui a commencé avec la Renaissance, le ravage des civilisations des deux « Amériques », la déportation massive et la transformation en marchandise des habitants de l’Afrique, puis la conquête territoriale des diverses colonies ou protectorats, le tout au nom de la supériorité raciale supposée d’un Occident autoproclamé comme Blanc. Comme si le rapport de l’Occident « blanc » avec ses anciens sujets entrait dans une phase de sénilité, dans la calcification d’un imaginaire colonial lâché par la nouvelle réalité historique.
Cet échange prend comme point de départ Yalta, où n’était représentée qu’une toute petite partie de l’humanité. La grande partie des humains n’en était pas, soit qu’ils aient été massacrés, comme les premiers habitants des Amérique, puis anéantis politiquement, soit qu’ils aient été soumis de façon extrêmement cruelle comme pour la plupart des pays d’Afrique et d’Océanie. Même l’Inde. Même l’Indochine. Même la Chine.
Sortir de Yalta, c’est faire exploser ce petit cadre et même peut-être cette référence, qui fait des histoires humaines une histoire unique, avec la « modernité » à l’occidentale comme pointe de flèche et perspective indépassable. En ce moment au Mali, on entend la France nous dire : « Retour à l’ordre constitutionnel normal et à l’État de droit ». Je n’ai jamais vu, moi, d’État de droit au Mali ! Quant à l’ordre constitutionnel normal, je ne l’ai jamais vu non plus. Les institutions copiées-collées de l’Occident, personne n’y croit ni ne les respecte : élections et constitutions magouillées, administration privatisées par la corruption etc. Aujourd’hui, on est dans une situation de rupture et de recomposition des esprits. Cela peut s’accompagner d’effets très rétrogrades ici au Mali – par exemple le djihadisme – et évidemment en France, avec la montée de l’extrême droite. Mais en même temps quelque chose est en train de se passer, quelque chose d’encore flou, chaotique, mais réel. Dans les deux espaces.
Solder la guerre de 500 ans pendant laquelle une poignée de nations ou plutôt une poignées de pouvoirs autoproclamés blancs ont fait la guerre au monde entier au nom d’une supériorité raciale, est une urgence de premier plan. Et même pour nous, qui avons, dans notre histoire progressiste, communiste, marxiste, etc., emboîté le pas au fantasme d’une histoire unique avec une pointe de flèche à laquelle les autres devraient se référer.
On est aussi dans une situation où se forment d’énormes gouvernements privés, notamment les grands réseaux informatiques avec des milliards de gens, des milliards de nos frères et sœurs humains qui sont dirigés par une personne ou un petit conseil d’administration dans cette activité devenue très importante pour la vie des individus et des sociétés. Un monde décloisonné, sans centre ni périphérie se dessine. Le pouvoir pris sur cette évolution par ces gouvernements privés désorganise la pensée politique. Cela aussi, il faut qu’on l’empoigne et qu’on le traite : rendre commun ce qui nous est commun.
Aminata Traore
La décolonisation n’est, ni n’a été achevée, on nous a concocté la Françafrique ! … je ne vais pas m’étendre ! Lorsque cette guerre nous a été servie du terrorisme djihadiste, nous avons mesuré qu’on se moque littéralement de nous. On nous a promis une guerre rapide, pour éradiquer un mal, pour moi consubstantiel à la modernisation néolibérale qui n’est pas nommée ici.
La Palestine, ce qui s’est passé depuis le 7 octobre, éclaire davantage bien des aspects, des crises qui secouent le Sahel y compris le mensonge et le terrorisme d’État, les deux poids deux mesures, le racisme, tout y est !
Le Mali est pro palestinien, chacun et chacune ici parle de la Palestine en plus de ce que nous traversons. Les peuples n’en peuvent plus, ne veulent plus se laisser mener, au nom d’un développement extraverti, extractiviste, qui appauvrit, qui est synonyme de guerre. Les gens ont envie tout simplement qu’on leur reconnaisse le droit à la vie, à une vie décente.
Ensemble au sein des BRICS ? … pas d’illusions. Les gens attendent de voir ! A voir l’état actuel de l’Afrique du Sud, considérée comme BRICS… ! Le Brésil de Lula et les capitaux brésiliens voulaient investir ici, dans l’accaparement des terres, les OGM, et tout le reste…
Les BRICS d’en bas » ! La question que je me pose est la suivante : « comment l’Afrique peut-elle espérer à l’émergence sans les Africains ! ».
Les médias, les officiels français, restent dans le déni et le dénigrement, de tout ce qui touche l’Afrique, interprétant cette douleur, cette colère des peuples d’Afrique en termes de ressentiment antifrançais (…). Il s’agirait juste que de pulsions de bas étage sans socle idéologique. En réalité les gens ici ont gagné considérablement en maturité politique, et en capacité d’analyse de la situation. Mais manquent sur la table aujourd’hui, les alternatives.
Particularité : nous sommes du Sud global, mais c’est aussi des peuples noirs. Racisme anti-noirs, c’est l’une de mes questions : serai-je à l’abri du racisme anti-noirs, quand nous serons tous entre nous au sein des BRICS ? Je crois que nous voulons du capitalisme sans nos maîtres à penser, sans les capitaux… sans ceux qui nous ont embobinés !
Énorme problème avec lueur d’espoir : éveil des consciences, capacité des Africains à dire non à la France, mais… je ne sens pas encore une conscience aiguë des ravages du système.
Au Sahel nous savons depuis longtemps le prix du réchauffement climatique ! Tout ce dont on parle dans le nord du Mali, est en partie lié aux séquelles des grandes sécheresses dont on n’a pas médité les conséquences. S’y est greffé le programme d’ajustement structurel du FMI et de la Banque Mondiale. Comment les communautés locales à qui on ne dit pas la vérité peuvent se sortir d’affaire, comment voulez-vous qu’ils s’en sortent si ces questions gravissimes ne sont pas sur la table ?
Je me dis « il y a de l’espoir, il y a beaucoup à faire, nous nous sommes battus, mais à présent, il faut enfoncer le clou de la critique du système capitaliste, de l’impérialisme. Mais ici nous sommes toujours prompts à nommer, le colonialisme, le néocolonialisme, l’impérialisme, mais nous voulons quand même nous en sortir par les capitaux… et les ressources naturelles ce qui veut dire bonjour les dégâts environnementaux !
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