La logique voudrait que les six Agences de l’Eau, dont les activités sont pilotées pour chacune par un Comité de bassin, répondent prioritairement aux besoins des citoyens en eau potable et de qualité. En effet le financement des agences provient en totalité du paiement de la redevance que chaque usager d’eau potable acquitte quand il règle sa facture. La Cour des Comptes fait apparaître que les usagers d’eau potable financent les Agences à hauteur de 72 à 75 % alors que la production d’eau potable représente moins de 10 % des masses d’eau consommées. En revanche la représentation des usagers d’eau potable dans les Comités de Bassin qui pilotent les Agences est très faible : moins de 10 %. De plus, les associations et les structures agréées par les Agences et par le Préfet de Région ont rarement des connaissances et des compétences en matière d’eau (ressource, potabilisation, distribution, qualité). Seule FNE, présente dans tous les Comités de Bassin, est capable d’intervenir valablement de par ses capacités environnementales et techniques.
A l’opposé, les comités de Bassins accueillent des représentants de l’industrie, de la pêche, des loisirs mais surtout de nombreuses structures agricoles (syndicats, Chambres d’agriculture, irrigants). Ces divers représentants du monde agricole sont surreprésentés dans les Comités de Bassin. Or l’apport financier du monde agricole aux Agences de l’eau ne représente que 12 à 13 %, alors que sa consommation représente autour de 66 % des masses d’eau disponibles. Pour mémoire, un bovin nécessite 100 à 120 litres d’eau par jour. Et la production d’un kilo de bœuf (élevage, traitements, abattoir) requiert environ 15 M3 d’eau. De fait les Comités de bassin, décideurs de la politique de l’eau, sont sous la coupe du monde agricole. Aussi ne faudra-t-il pas s’étonner si beaucoup d’argent public, issu de la redevance, contribue à financer les « bassines » si joliment appelées « retenues déconnectées », car non alimentées par un cours d’eau. Il y a quelques semaines, lors d’un débat dans le cadre d’une fête agricole organisée par la FNSEA du Gers, un dirigeant national de ce syndicat a déclaré qu’il fallait faire des retenues car l’argent pour ce faire était disponible. Il ne s’agit pas ici de critiquer brutalement la FNSEA et les Chambres d’agriculture mais de montrer que, depuis des décennies, les politiques n’ont pas réussi à créer une représentation démocratique dans les instances et structures de gestion de l’Eau.
Or il est important de savoir que depuis une quinzaine d’années, l’État, sans vergogne, ponctionne des millions d’euros dans la caisse des Agences de l’Eau. En 2022 le montant prélevé était de 330 millions d’Euros, autant d’argent qui manque au fonctionnement des Agences, entraînant des diminutions d’effectifs et pénalisant ainsi une gestion vraiment au service des usagers d’eau potable. Les Agences ont pour mission essentielle d’élaborer les SDAGE[1] qui doivent répondre aux exigences de la DCE. En effet, si l’on s’en tient à la Directive Cadre Européenne, les priorités dans l’usage de l’eau s’établissent comme suit : en premier lieu les besoins humains (Eau potable), en second, les besoins du vivant animal – terrestre et aquatique – et des végétaux, et enfin, avec ce qui reste, l’industrie et l’économie. Vu ainsi, comment justifier une culture de maïs, irriguée à grand frais et destinée à la fabrication de bio-carburants, puisque la finalité de cette culture est essentiellement économique ?
La France est en retard quant au respect des règles européennes et paie donc des amendes en matière d’Eau. Les plus lourdes concernent la pollution des cours d’eau bretons par les élevages porcins. Ces deux exemples, maïs irrigué et élevage intensif de porcs illustrent des choix politiques et économiques aussi désastreux pour la protection de la ressource en eau, que les intrants chimiques, les pesticides, les désherbants, utilisés en agriculture. A ce propos, notons que l’Europe, qui souffle le chaud et le froid en matière d’eau, vient tout juste de ré-autoriser pour 10 ans le glyphosate dans les cultures ! Si la France n’y met bon ordre, Monsanto aura encore le droit de nous intoxiquer dix ans de plus et les lobbies auront encore eu le dernier mot.
Mais, de plus, la ressource en eau subit désormais de plein fouet le réchauffement climatique. Jusqu’alors la masse d’eau douce sur la planète était à peu près constante, mais le réchauffement a conduit à la fonte progressive des icebergs et des glaciers qui, d’eau douce sont devenus eau salée, diminuant ainsi nos réserves d’eau douce qui aujourd’hui sont estimées à seulement 1,5 % des masses d’eau sur la planète. Cette rareté relative de notre bien commun vital a poussé les capitalistes américains en décembre 2020, à Chicago, à coter l’Eau en bourse, comme si elle était une marchandise, ce qui est intolérable puisqu’elle est un bien commun vital car, sans elle, nulle vie n’est possible.
Mais revenons aux Agences. Elles sont six, une par grand bassin versant, Adour-Garonne, Artois-Picardie, Loire-Bretagne, Rhin-Meuse, Rhône-Méditerranée-Corse, Seine-Normandie. Elles emploient 1600 salariés seulement pour tout le territoire français. Une fois les SDAGE établis avec leur PDM[2], ils se déclinent en SAGE[3] où l’on trouve des structures plus ouvertes comme les EPTB[4] où les élus départementaux côtoient les associations et quelques citoyens avertis.
Les SAGE et leurs EPTB gèrent des territoires limités à un cours d’eau, par exemple l’Adour qui irrigue 4 départements : le Gers (32), les Landes (40), les Pyrénées atlantiques (64) et les Hautes-Pyrénées (65). Les SAGE ont pour mission de mener une gestion fine, adaptée à la vie d’un cours d’eau et de son bassin. Ils contribuent à créer des CLE[5] que des citoyens motivés et avertis peuvent intégrer. Pour cela les animateurs d’associations comme FNE[6], les Amis de la Terre, ou Attac, doivent pousser à l’engagement de leurs adhérents dans ces structures de base afin d’y introduire une veille citoyenne, déconnectée des lobbies. Les échanges avec les institutionnels et avec les techniciens de rivière permettent d’acquérir des compétences et des savoirs qui sont indispensables pour un engagement fort dans la gestion de l’eau en Régies publiques, les recensements et la protection des zones humides, pour la création de captages d’eau potable, pour la réutilisation des eaux usées (REUSE) ou des eaux traitées (REUT).
Dans le bassin de l’Adour, sous l’impulsion d’ATTAC 65, des réunions publiques sur le thème du PARTAGE de l’Eau ont rassemblé, depuis novembre 2022, des syndicats agricoles, FDSEA et Confédération Paysanne, des associations (FNE, Amis de la Terre) et des partis politiques tels que LFI, EELV, Générations, ainsi que parfois le PCF, beaucoup moins impliqué. En tant que membres d’ATTAC 65 nous gardons cette volonté d’échange et nous continuerons à essayer de rassembler les citoyens sur le thème de l’eau bien commun vital et à introduire de la démocratie là où il y en a encore trop peu.
Pour conclure je citerai Riccardo Petrella, l’un des plus grands défenseurs de l’Eau, qui écrivait en 1998[7] : « En tant que « source de vie » fondamentale et non substituable de l’écosystème Terre, l’eau est un bien vital qui appartient aux habitants de la Terre, en commun. Aucun d’entre eux, individuellement ou en groupe, ne devrait avoir le droit d’en faire son appropriation privée. L’eau est un bien patrimonial commun de l’humanité. ».
Michel Sanciaud
Président Attac 65.
[1] Schéma Directeur d’aménagement et de gestion des Eaux…
[2] Plan de mesures (financières)
[3] Schéma d’aménagement et de Gestion des Eaux.
[4] Etablissements publics territoriaux de bassin.
[5] Commissions locales de l’Eau.
[6]France Nature Environnement.
[7] Manifeste de l’Eau pour un contrat mondial.
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