Comité de
soldats, objection de conscience, insoumission, désertion, les désobéissances
au Service militaire furent multiples. Si celui-ci fut suspendu en 1997, le
gouvernement entend relancer un Service national, destiné aux jeunes de 15/16
ans. Est remis en avant l’argument de la « cohésion nationale », du
« brassage social ». En quoi
un mois d’expérience commune permettrait-il cela, alors qu’il y a des millions
de personnes sans ressources, sans logement, sans droit à la santé, à
l’éducation, aux transports ? Alors que toute une partie de la jeunesse
est discriminée et cible de violences policières ? L’égalité
sociale, ce n’est pas se retrouver au même endroit quelques semaines dans toute
la vie ; ça passe par la fin des discriminations et des inégalités, la
reconnaissance des méfaits du patriarcat, du colonialisme, des racismes et
exclusions, de la captation par une minorité des moyens de production et
d’échanges et de l’exploitation de la majorité qui en résulte, etc. Pas
vraiment le programme du SNU (ni de l’ex-Service militaire) !
Le Service national universel ne
répond à aucun besoin social ; c’est une arme idéologique.
Une opération de soumission de la
jeunesse : il
s’agit d’inculquer un esprit d’obéissance aux règles, un respect absolu des
normes… Règles et normes qui, pour la plupart, ne visent qu’à perpétuer les
inégalités et injustices inhérentes à l’organisation actuelle de la société.
La remise en cause des droits des
travailleurs et travailleuses : Avec le SNU, chaque année, 800 000 jeunes seront
utilisé.e.s pour remplacer des emplois aujourd’hui occupés par des employé.e.s
qui ont un salaire, une convention collective, la possibilité de s’organiser
syndicalement, des droits individuels et collectifs. Ils et elles seront
vivement encouragé.e.s à poursuivre par un service civique, dans les mêmes
conditions de précarité.
Des dépenses considérables : 6 milliards €/an, selon un
rapport sénatorial de 2017. 1,5 à 2 milliards dit aujourd’hui le gouvernement.
Ces milliards seraient plus utiles pour le service public de l’Éducation par
exemple !
Le renforcement de la militarisation : encadrement militaire, levée
du drapeau, chant guerrier, uniforme, parcours du combattant, raid commando,
etc. contribueront à l’endoctrinement des jeunes. La propagande visera à
banaliser le rôle de l’armée, alors que celle-ci est en pointe dans la
répression, sur le territoire français, dans les colonies et diverses régions
du monde.
Pas besoin de l’Etat pour que les
jeunes s’engagent ; ils et elles le font déjà pour lutter contre le racisme, pour que cesse
la destruction de la terre, pour défendre leur droit à étudier, pour le partage
des richesses, pour l’égalité des droits et contre les discriminations, etc.
Des organisations associatives,
syndicales, politiques se sont rassemblées dans un collectif Non au SNU (nonsnu@lists.riseup.net), des comités locaux sont créés dans plusieurs villes.
Soutenons les jeunes qui désobéiront !
Christian Mahieux
C’est ce qu’écrivent les spécialistes de tout et de rien qui pullulent
dans les médias. Celles et ceux qui ne l’ont pas vu venir ; qui n’ont pas
compris qu’il allait durer ; qui ont passé des semaines à pronostiquer SON
déclin ; bref des avistologues de haut niveau. Mais dans la vraie
vie ?
A la RATP et à la SNCF, la grève reconductible, historique, a
cessé ; elle se poursuit dans d’autres secteurs moins médiatisés et/ou qui
l’ont commencé plus tard. Grèves, débrayages, manifestations, rassemblements,
interpellations directes de responsables patronaux ou gouvernementaux,
assemblées générales : il y a une multitude d’initiatives. Elles sont
ancrées dans les territoires, au désespoir de celles et ceux pour qui « le
débouché » passent par « une grande manifestation nationale à
Paris » …. Qui aiderait les « personnalités » à, enfin,
reprendre les choses en mains, se montrer, déposséder de leur mouvement tous
les anonymes qui le construisent depuis deux mois !
Bien sûr, il y a le projet de loi contre les retraites, mais nos
colères sont multiples : de l’hôpital aux établissements scolaires, des
pompiers aux égoutiers, des retraité.es aux lycéen.nes, des quartiers
populaires aux avocats, des personnes au chômage aux victimes de l’auto-entreprenariat…
Et les revendications féministes, antiracistes, égalitaires traversent et
imprègnent (encore insuffisamment) tout cela. Fédérer nos refus et résistances,
les dépasser : voilà l’enjeu. Il dépasse sans doute le temps d’une seule
grève, mais se construit. Lois travail, gilets jaunes, retraites, nous sommes
dans une séquence longue de la lutte des classes ; l’épisode en cours est
important, bien sûr, mais non unique.
Jets d’outils de travail (des robes noires aux blouses blanches, en
passant par les livres scolaires ou le matériel du personnel du Mobilier
national), chœurs de l’Opéra à Bastille, ballerines en tutu devant le palais
Garnier, pompiers escaladant la Gare du nord, ne sont que quelques exemples
d’une créativité qu’on retrouve dans toutes les manifestations, les piquets de
grève, les collectifs en lutte. A propos des retraites, ignorant la discussion
piégée sur le seul financement (sans rien remettre en cause du système !),
monte l’idée qu’avant tout « la Sécu, elle est à nous, pas aux patrons ni
au gouvernement ; c’est à nous d’en décider ! »
Le mouvement se termine ? Continuons de le terminer ! C’est
passionnant et utile.
Christian Mahieux
… ou Qu’est-ce la grève?
Alors que des
milliers de salarié.es, quasi-exclusivement de la SNCF et de la RATP, en sont à
bientôt un mois de grève, la question de la solidarité financière occupe une
place de plus en plus importante dans les débats et les publications
militantes. D’une certaine manière, c’est bien normal puisque ce sujet est de
plus en plus d’actualité pour les camarades directement concerné.es. Mais
justement, ce qui serait vraiment d’actualité serait de pouvoir verser maintenant
une somme qui corresponde à une aide substantielle à chacun et chacune, sur des
bases connues de tous et toutes ; et non d’annoncer des sommes globales sans
effet concret pour l’immense majorité des grévistes ; et non de discuter
aujourd’hui de comment faire pour avoir les caisses de grève que nous n’avons
pas mises en place malgré les bilans des précédentes luttes.
Car il en est de
la solidarité comme de tout ce qui touche à la grève : c’est bien avant le mouvement, dans la durée, que ça se
prépare et se construit. Vouloir la grève générale mais ne (re)découvrir les liens
interprofessionnels qu’au moment de la grève, c’est prendre les moyens de ne
pas réussir. Il en est de même pour les caisses de grève : ne se (re)poser
la question de leur existence, et des montants disponibles, que lorsqu’arrive
un mouvement manque d’efficacité. Pourquoi ? Très pragmatiquement, parce
qu’il n’est plus temps de récolter les sommes qui seraient nécessaires à un
minimum de solidarité partagée, accessible à tous et toutes les grévistes.
Il y a deux types
de caisses de grève. Tout d’abord, il y a celles mises en place à l’occasion d’un
conflit, dans un périmètre relativement restreint : une entreprise locale, un
service d’une entreprise plus vaste, une localité, etc. Ce type de caisse présente
plusieurs aspects positifs. Le contrôle en est assez aisé, réalisé via l’assemblée
générale des grévistes qui en ont acté la création (et/ou le comité de grève,
et/ou les syndicats). Outre le contrôle, la répartition des fonds peut être décidée
par les grévistes eux-mêmes et elles-mêmes. L’aspect local permet aussi une
dynamique autour de la caisse de grève : collectes publiques,
sollicitations du voisinage, repas solidaires, etc. A toutes les étapes, les
grévistes prennent ainsi leurs affaires en mains ; la caisse de grève est,
de fait, autogérée. Les sommes restent souvent assez limitées mais peuvent
permettre une aide non négligeable parce que le nombre de grévistes est aussi
relativement réduit. L’aspect négatif, non anodin, est que, s’agissant
uniquement d’initiatives locales, cela laisse de côté les grévistes qui sont
dans des endroits où ce n’est pas fait. Autre point faible : les sommes collectées
seront très différentes selon la notoriété de la grève ou le niveau de rémunération
du milieu. Par exemple, l’entourage de nettoyeurs et nettoyeuses en grève
amènera probablement moins d’argent que celui de chercheurs et chercheuses en
lutte. Pour être plus clair : cela fonctionnera d’autant mieux pour chaque
caisse que celles-ci ne seront pas nombreuses : un même conseil municipal,
un même commerçant du coin, la même personne sollicitée sur le marché, etc., ne
donneront pas dix fois plus s’il y a dix caisses de grève qui les sollicitent
au lieu d’une. C’est évidemment un souci dès lors qu’on veut s’attaquer à la
question de manière globale.
L’autre
possibilité est d’avoir une caisse dans la durée. Que ce soit sur le plan local,
régional ou national, qu’il s’agisse de structure professionnelle ou
interprofessionnelle, chaque collectif syndical constitué peut se doter d’un
tel outil solidaire. Une part de la cotisation syndicale de chaque membre du
syndicat est affectée à ce fond. En France, la seule organisation qui dispose d’une
telle caisse pour l’ensemble de ses membres est la CFDT[1].
Sa Caisse nationale d’action syndicale (CNAS) a été créée en 1974. Au fil des
années, et des évolutions de la politique de la CFDT, sa dimension « caisse
de grève » a été réduite, au profit de prestations diverses (aides
juridiques, actions de proximité, frais de conseils et expertises, etc.). Il n’en
reste pas moins que l’indemnisation partielle des grèves demeure : le taux
était journalier jusqu’en 2014 (c’était alors 19 euros) ; depuis, il est
horaire (actuellement, 7,30 euros pour une heure de grève). Pour un mois complet
de grève à l’appel de son syndicat, un adhérent ou une adhérente CFDT
toucherait 1107,16 euros. Bien entendu, l’exemple parait fort improbable
aujourd’hui ; il le fut moins dans les années 1970, 80, disons jusqu’en
1995. Si on se réfère à un texte de 1978[2],
on voit que la CNAS a alors « trois objectifs : soutenir les
adhérents engagés dans les conflits du travail (grèves) ; soutenir les
victimes de la répression syndicale ; aider les syndicats engagés dans des
actions judiciaires pour la défense du droit syndical ». On s’en
tiendra ici au point 1 de ce même texte : « la solidarité pendant les
grèves et lock-out ». La règle est simple : seule la première
journée d’une grève n’est pas indemnisée (« sauf si le précédent
conflit date de moins de trois mois » est-il précisé). Bien sûr il
faut être syndiqué.e depuis au moins six mois et ne pas avoir plus de trois
mois de retard de cotisations. D’autres situations entrainant le non-paiement
de l’indemnité de grève peuvent être source de réflexion au sein de nos
collectifs syndicaux contemporains, par ce qu’elles révèlent d’un engagement
collectif librement accepté : « reprise du travail par l’adhérent sans
décision du syndicat (ou de la section) ; non-respect des consignes données
par le syndicat pour le pointage de la carte de grève, l’assistance aux
réunions d’information et assemblées générales du syndicat ».
Des
camarades craignent une caisse confédérale, car ce pourrait être un outil pour
distribuer, ou non, les ressources, selon l’alignement, ou non, sur la ligne
majoritaire ; là encore, paradoxalement, l’exemple de la CFDT et de sa
CNAS de 1974 permet de comprendre comment éviter cela. Il faut des règles
claires, comme celles évoquées plus haut (ou d’autres) et, surtout, tout doit
passer par le syndicat. Vis-à-vis de la caisse de solidarité, c’est la
structure syndicale de base qui déclare la grève, qui recueille et donne la
liste des membres grévistes à indemniser et le nombre de journées concernées pour
chacun et chacune, qui reçoit les fonds et les répartit. Ce n’est pas « la
confédération » qui décide que telle grève est indemnisable ou non. Et ce
mode de fonctionnement permet aussi aux adhérent.es du syndicat de décider, par
exemple, que les fonds reçus pour les « indemniser[3] »
ne leur seront pas remis individuellement mais reversés dans une caisse locale
créée spécifiquement à l’occasion d’un conflit. C’est ce que firent des
syndicats CFDT lors de la grève des cheminots et cheminotes de décembre 1986 –
janvier 1987 ou en décembre 1995[4].
La mise en place
d’une caisse de solidarité accessible à tous et à toutes suppose qu’elle soit
alimentée dans la durée, régulièrement. Le plus simple, et le plus juste
politiquement, est qu’une part de la cotisation soit affectée à cela[5]. Ainsi, chaque membre de l’organisation
syndicale contribue selon ses moyens, puisque le montant de la cotisation est
en général proportionnel à celui du salaire ; chaque membre de l’organisation
syndicale bénéficie de la caisse selon ses besoins, puisque cela dépend de son
nombre de journées de grève. De chacun.e selon ses moyens, à chacun.e selon ses
besoins… Au fil du temps, une masse importante d’argent peut être accumulée.
Car il y a un effet de seuil qui joue, dans la mesure où on parle bien de
syndicalisme de classe mais aussi de masse : forcément, sur une longue
période, il y a une différence entre le nombre de cotisant.es et le nombre de personnes
à potentiellement « indemniser ». Le raisonnement ne vaut pas si on
appelle « syndicat » un groupe affinitaire qui, par exemple, se
considérerait comme une avant-garde devant être le plus souvent possible en
grève, indépendamment des choix de la grande majorité des collègues ; dans
ce cas, les cotisations des membres du « syndicat » à la caisse de solidarité
seraient, toutes, immédiatement réinjectées pour leur propre indemnisation et
il faudrait alors, sans cesse, compter sur les autres.
Dans le même ordre d’idées,
il est absurde d’exiger aujourd’hui que « l’intersyndicale nationale CGT/FO/FSU/Solidaires
organise d’urgence un appel aux dons auprès de ses membres » pour
renflouer les caisses de grève : en premier lieu, parce que, même si ce n’est
pas exclusif bien entendu, les grévistes se retrouvent très majoritairement
parmi ces syndiqué.es ; il faudrait donc sommer les grévistes de donner d’urgence
aux caisses de grève ! Et quand les mêmes réseaux, soit disant « radicaux »,
voient là l’action prioritaire du moment parce qu’ « il y a mille raisons
pour lesquelles on peut ne pas souhaiter se mettre en grève », le
ridicule est atteint. Car c’est cela que nous devons combattre, qu’il y en ait
mille ou pas : les raisons de ne pas faire grève. Si le soutien financier est
pensé comme une dispense de faire grève, alors nous ne construirons pas un puissant
mouvement social ; raisonner ainsi est logique pour tout « réformiste »,
pas pour toute personne qui prétend contribuer à une rupture avec la société
actuelle. La grève, le mouvement social, l’action directe des travailleurs et
des travailleuses créent une dynamique collective émancipatrice que la seule
solidarité financière ne peut absolument pas remplacer.
Pas de grève par procuration. Mais cela ne signifie pas qu’il faille ignorer les difficultés à faire exister la grève dans nombre de milieux.
Sans s’attarder
sur les bêtises précédemment citées, il faut insister sur le fait que vouloir créer
une ou des caisses de grève à vocation nationale, qui plus est
interprofessionnelle, au moment où la grève démarre ou a démarré, tient en
réalité de la propagande, sans effet concret à la hauteur des enjeux. La caisse de grève gérée par la
CGT INFO COM et le syndicat Sud Ptt 92[6]
dispose aujourd’hui de plus d’un million ? Notons tout d’abord que la
différence avec une multitude d’autres caisses lancées depuis le 5 décembre
provient du fait que celle-ci perdure depuis le mouvement contre la loi
Travail, en 2016. Mais qu’est-ce qu’un million pour une caisse nationale
interprofessionnelle ? Si on se rappelle qu’il y a, grossièrement, 180 000
salarié.es en cumulant SNCF et RATP, même en comptant un quart d’entre eux et
elles, soit environ 45 000, le million permet d’offrir à chacune et chacun
22 euros au bout d’un mois de grève et en asséchant totalement la caisse. En
sachant qu’aux salarié.es de la SNCF et de la RATP, il faut ajouter celles et
ceux d’autres secteurs qui sont aussi en grève ; ce qui réduit encore les
22 euros annoncés. Mais peut être que 25% de grévistes est un chiffre trop
important ? Prenons alors 10%[7] ;
toujours en se concentrant uniquement sur la SNCF et la RATP, en « oubliant »
les autres grévistes et en asséchant totalement la caisse, on arrive à un
soutien unique de 55 euros pour celles et ceux qui ont perdu un mois de salaire.
La solution consiste alors à ne rien donner à la grande majorité pour concentrer
sur quelques collectifs, parce que les plus proches politiquement et/ou un peu
plus médiatisés que d’autres. Si tous les syndicats de cheminots devaient recevoir
proportionnellement à leurs effectifs l’équivalent des 40 000 euros versés
au seul syndicat CGT des cheminots de Versailles (membre de la Fédération
syndicale mondiale), il faudrait plusieurs millions. Choisir à qui on donne ou pas
correspond à une orientation politique et à une pratique syndicale qu’on peut
approuver ou non mais à considérer comme telles ; si c’est caché pour donner
l’illusion d’un soutien égal pour tous et toutes, ce n’est pas honnête.
Mais les caisses
de grève doivent-elles servir uniquement à « indemniser » les
grévistes ?
Si on considère que le don aux grévistes est un acte solidaire, destiné à aider
la poursuite de la grève, alors il faut assumer que l’utilisation est du seul
ressort des grévistes : ce sont elles et eux qui décident de leur grève !
Il n’y a rien de scandaleux à ce que ces sommes servent, peut être à un secours
financier pour une partie, mais aussi à couvrir d’autres dépenses tout aussi
utiles et nécessaires pour la grève : le charbon de bois du barbecue, les
banderoles, etc.
Les propos ici tenus
ne visent pas à rejeter toutes les initiatives de soutien financier. Mêmes très
partielles, elles sont toujours très utiles. Et s’il faut lever toute ambiguïté :
oui, verser de l’argent pour les grévistes, c’est mieux que l’indifférence ou l’hostilité
vis-à-vis du mouvement ! Les caisses de grève permettent une solidarité effective de
celles et ceux qui, par définition, ne peuvent faire grève, comme les personnes
en retraite ou sans-emploi ; ou encore de personnes et de collectifs d’autres
pays qui marquent ainsi un soutien politique fort[8].
Mais ce n’est pas cela qui est en débat ; c’est l’efficacité pour la
réussite de la grève, plus exactement l’efficacité pour gagner, faire reculer
le gouvernement et le patronat, faire aboutir les revendications, avancer vers un
changement radical de société. De ce point de vue, il faut le dire et le redire :
ce qu’il faut avant tout, c’est généraliser la grève. Les caisses de grève ne
doivent pas être conçues, présentées et vécues comme l’outil de « celles et
ceux qui ne peuvent pas faire grève ». Parce que les camarades qui
assument la grève, en réalité, elles et eux non plus « ne peuvent pas
faire grève », ils et elles n’ont pas de ressources financières cachées et
(sur)vivent, comme les autres, avec leur salaire ! Réaffirmer ceci, permet
également de ramener à leur juste valeur les propos des politiciens et
politiciennes qui, au nom de la réussite du mouvement en cours, ont comme
proposition centrale de soutenir financièrement les grévistes : n’y a-t-il
pas lieu de relativiser l’utilité de ces gens qui avouent ainsi être incapables
de participer à une grève, tout simplement parce qu’ils et elles ne travaillent
pas et/ou ne sont pas partie prenantes du mouvement autonome de la classe
ouvrière qu’est le syndicalisme ? C’est la grève reconduite depuis le 5 décembre,
préparée par le mouvement syndical, décidée et organisée par les grévistes, qui
permet les quelques reculs gouvernementaux et patronaux enregistrés (très
insuffisants car ne répondant pas au problème de fond).
Priorité à la
grève donc. Pas de grève par procuration. Mais cela ne signifie pas qu’il
faille ignorer les difficultés à faire exister la grève dans nombre de milieux. C’est à cela qu’il faut s’atteler ;
non pas en interpellant « les directions syndicales » (qui n’ont guère
d’influence dans ces secteurs), mais en reconstruisant nos capacités collectives
d’action, c’est-à-dire en mettant les moyens nécessaires à une présence
syndicale dans les entreprises où il n’y en a plus, dans les secteurs (TPE, « auto-entrepreneuriat »,
« indépendants ») où cela n’existe quasiment pas ; en faisant du
syndicalisme interprofessionnel local une priorité, dans les faits. Ce n’est
pas l’objet de la présente contribution que de revenir en détail sur cet aspect,
déjà développé dans plusieurs textes[9].
Il sera utile de reprendre ces réflexions ultérieurement, dans le cadre d’un bilan
du conflit en cours.
Présentement, il s’agissait
des caisses de grève, des moyens à mettre en œuvre pour qu’elles soient le plus
utile possible dans la perspective émancipatrice qui nous anime, de leur apport
et de leurs limites. Les deux types de caisse mentionnés plus haut jouent des rôles
assez différents. Celle qu’on peut qualifier de « locale » est un des
moyens de faire vivre la grève sur le terrain, de faire en sorte que les grévistes
s’emparent de leur grève. En cela, elle est irremplaçable. Locale, elle n’a pas
d’effet structurant en vue d’un mouvement général, national (ou plus !). Si
on veut disposer d’un outil à la hauteur d’un tel enjeu, la seule solution est de
le créer et le rendre pérenne ; c’est le second type de caisse de grève. Y
travailler concrètement, pourrait être une des tâches prioritaires du
syndicalisme de luttes, dans la foulée de ce mouvement. Voilà aussi l’occasion
d’avancer concrètement dans la reconstruction unitaire : CGT, FO, Solidaires,
FSU, CNT-SO, CNT, etc., faut-il y travailler chacun et chacune dans son
organisation ou inventer une solution commune ? Commencer séparément, mais
dans une perspective unificatrice ? C’est aussi l’opportunité de remettre
le syndicalisme, en tant qu’outil d’organisation et d’autonomie de notre classe
sociale, au centre des pratiques : toutes celles et tous ceux qui veulent
contribuer à bâtir des caisses de grève efficaces pourront le faire en payant
leur cotisation syndicale dont une part servira à cela. C’est moins médiatique
que de grandes déclarations surfant sur un mouvement construit et supporté par
d’autres, mais bien plus efficace pour contrer le gouvernement et le patronat, gagner
et avancer vers l’émancipation sociale.
CHRISTIAN MAHIEUX MILITANT SUD RAIL (SOLIDAIRES)
[1] Ce qui ne signifie pas que le soutien financier
aux grévistes se limite à la CFDT ; loin de là ! Fond de solidarité
ou caisses locales existent dans d’autres organisations, mais il ne s’agit pas
de caisses nationales, interprofessionnelles et dotées de règles de
fonctionnement propres.
[2] Extrait du livre Le syndicat, CFDT, Collection
pratique syndicale, 1978.
[3] Le terme « indemniser » est celui
utilisé dans les documents relatifs à la CNAS CFDT ; il semble indiquer que
la grève est une sorte de préjudice à réparer ; nous ne partageons
évidemment pas ce point de vue.
[4] « 1995, Victoire, défaite, perspectives… »,
Christian Mahieux, Les utopiques n°12, hiver 2019/2020, éditions
Syllepse ; « La grève des cheminots 1986/87 vue de l’agglomération
rouennaise ; une expérience d’auto-organisation », Les utopiques n°3,
septembre 2016 ; « La grève des cheminots 1986/87 à Paris Gare de
Lyon : le bilan de la section syndicale CFDT en janvier 1987 », Christian
Mahieux, Les utopiques n°3, septembre 2016
[5] Pour reprendre l’exemple de la CFDT, 8,6% de
chaque cotisation syndicale sont affectés à la CNAS ; de la même manière
qu’il existe une part pour la fédération, pour l’union interprofessionnelle,
etc. La CNAS dispose aujourd’hui de 126 millions d’euros.
[6] Elle est souvent présentée comme gérée aussi par
la CGT Goodyear : l’usine Goodyear d’Amiens est fermée depuis 5 ans.
[7] Les écrits des groupes qui parlent le plus de
caisses de grève mentionnent des chiffres de grévistes bien au-delà des 10 ou
25% ici pris comme exemples.
[8] Bien sûr, la généralisation de la grève au-delà
des frontières doit être un objectif de notre pratique internationaliste ;
mais ce que nous avons construit ne nous permet pas cela pour l’instant ;
il faut donc continuer dans cette voie et, pour l’heure, adapter notre
internationalisme à nos réalités.
[9] Notamment : « Les vertus de l’échec »,
Pierre Zarka et Christian Mahieux, Les utopiques n°8, été 2018 ; éditions
Syllepse ; « Les lois travail dans leur monde », Christian
Mahieux, Les utopiques n°6, novembre 2017 ; « Invoquer l’unité, oui
… La faire, c’est mieux », Théo Roumier et Christian Mahieux, Les
utopiques n°4, février 2017.
Dossier “Territoires et alternatives démocratiques”
De 1995 (avec le contrat de plan
SNCF/Etat combattu par les cheminots et cheminotes, notamment parce qu’il
supprimait 6000 kms de lignes) aux Gilets jaunes (avec la question de l’accès
au train dans les zones rurales), le chemin de fer est au cœur de bien des
luttes sociales. Ce souci du service proposé aux usagers n’est pas absent des
mouvements les plus actuels à la SNCF : que ce soit après l’accident TER
en octobre ou la grève de décembre. Par ailleurs, on ne compte plus les comités locaux créés pour
sauvegarder une gare ou une ligne. Sur ce dernier point, il ne serait
pas inutile de travailler à la création d’un collectif national véritablement
pluraliste, rassemblant tout en respectant les diversités ; un mouvement
fédératif, dans lequel nous pourrions aussi, à partir des vécus de salarié.es
et d’usager.es du secteur ferroviaire, réfléchir à sa possible autogestion[1].
On ne compte plus les comités locaux créés pour sauvegarder une gare ou une ligne.
A la création de la SNCF, le 1er
janvier 1938, le réseau ferroviaire français comptait 42 700 kms. En 2017,
il en restait 28720… Un tiers en moins[2] !
Même s’il n’est pas question de nier certaines transformations depuis 80 ans,
dont l’essor du transport routier, il n’en reste pas moins que, d’une part le
transport ferroviaire est très nettement préférable aux points de vue sécurité,
écologique et social, d’autre part il joue un rôle important dans l’aménagement
du territoire ; quand il n’y a plus de gare, de train ou de ligne, c’est
une entrave souvent irrémédiable au besoin de transport pour aller travailler,
étudier, se soigner, se cultiver, rencontrer d’autres personnes. Alors le
territoire concerné se désertifie et s’appauvrit.
L’organisation interne de la SNCF
amplifie ce processus : la gestion par activités facilite la mise en place
d’horaires incompatibles entre TER d’une part, Intercités ou TGV d’autre part.
La multiplication des entreprises intervenantes qu’entraînera dans un premier
temps[3]
« l’ouverture à la concurrence » du trafic voyageurs renforcera
encore cette absurdité.
CHRISTIAN MAHIEUX RESPONSABLE NATIONAL DE SUD RAIL
[1] Voir à ce sujet : « Sur la
voie (ferrée) de l’autogestion », Francis Dianoux et Christian Mahieux, Les
utopiques n°10, Editions Syllepse, printemps 2019
[2] En réalité, la différence est même
plus importante car sur les 28 720 kms actuels, il y a 2 757 kms de
Lignes à grande vitesse (LGV), qui n’existaient évidemment pas en 1938 et dont
le rôle en matière d’aménagement du territoire est très différent. A ce propos,
il faudrait aussi parler des « gares nouvelles », excentrées, qui
effacent un des atouts majeurs du train desservant le cœur des villes et
obligent … à prendre la voiture pour s’y rendre et en revenir.
[3] Avant la traditionnelle phase de
re-concentration, toujours constatée dans ce genre d’opérations, qui se fait
autour d’une seule entreprise … privée.
La grève qui
a débuté le 5 décembre a été construite, à des rythmes divers, dans et par les
organisations syndicales parties prenantes. L’élément fédérateur fut l’appel
unitaire UNSA/CGC/FO/SUD/Solidaires à la RATP, renforcé par la CGT
ensuite : lancé dans la foulée de la très forte grève du 13 septembre,
donnant plus de trois mois pour construire une grève reconductible. Oser
prendre l’initiative de l’élargissement a demandé un temps plus ou moins long
selon les collectifs militants, mais ce fut fait. La jonction avec les Gilets
jaunes, au-delà de quelques exemples locaux, demeure compliquée. L’indéniable
reflux de ce mouvement est une des raisons : mais combien de luttes durent
ainsi, plus d’un an ? La difficulté d’une bonne partie du mouvement syndical
à se situer vis-à-vis de ce mouvement en est une autre. Être ouvert à
l’inattendu est pourtant une nécessité pour qui veut inventer une nouvelle
société…
Le mouvement
de grève porte sur la énième contre-réforme des retraites. Là où la grève est
forte, elle repose aussi sur des revendications sectorielles, locales, voire
catégorielles. Ce n’est pas un problème : que les personnes en grève
définissent leurs revendications à partir de leur vécu quotidien, quoi de plus
normal ? Le moment de grève, avec les assemblées générales quotidiennes,
les occupations de locaux, les discussions informelles, est celui où le lien
entre la situation concrète de tous les jours et la rupture avec le système se
fait. Marre du chefaillon et des ordres idiots ? Mais à qui et à quoi sert
la hiérarchie, comment la remettre en cause et s’en passer ? Plus facile
d’en parler à partir de là où on est, avec celles et ceux avec qui on bosse
chaque jour, ensemble, plutôt que d’imaginer cela de manière abstraite !
De même pour plein d’autres sujets : qu’est ce que c’est que cette
« concurrence » dont on nous parle dans plein d’entreprises ?
Puisqu’il y a des millions de chômeurs et chômeuses, pourquoi ne pas réduire le
temps de travail de chacun et chacune ? On ne peut pas financièrement ?
Et les milliards de cotisations sociales et d’impôts volés par les grandes
entreprises et les plus riches ? Et les profits des actionnaires qui
récompensent celles et ceux qui ne travaillent pas ?
Les retraites ? Un débat de technocrates ? Ou un choix politique qui pourrait consister à mettre en avant que les retraites de demain sont financées par les cotisations des travailleurs et travailleuses d’aujourd’hui (et d’hier) et donc que c’est aux travailleurs et travailleuses de décider de l’utilisation de ces fonds : pas aux patrons, pas aux institutions qui les servent ? La fin des régimes spéciaux ? En alignant par le haut parce qu’on peut le faire si on le décide et l’impose ! Nous sommes tous et toutes des régimes spéciaux !
Christian
Mahieux
Telle est la question qu’auraient dû poser tous les commentateurs et commentatrices médiatiques à propos de la réaction massive des cheminotes et cheminots travaillant dans les trains, après l’accident survenu à Vence (Champagne-Ardenne), le 16 octobre. Agents de conduite et personnels de bord de la SNCF ont cessé le travail, considérant que cet accident, venant après bien d’autres avec le même matériel ferroviaire, confirmait une situation de danger grave et imminent, pour eux et pour les usagers. Que l’agent de conduite soit le seul cheminot à bord des trains, est un danger dans l’absolu ; quand il s’agit de rames particulièrement vulnérables aux chocs, comme les Autorails à grande capacité (AGC), c’est bien un danger grave et imminent ! Car il faut secourir les usagers, mais aussi prendre les mesures de sécurité pour arrêter de suite les autres circulations ferroviaires susceptibles de heurter le convoi accidenté. Qui mieux que celles et ceux qui bossent chaque jour dans ces conditions peuvent en juger ? En tous cas, pas celles et ceux qui n’y connaissent rien et n’ont qu’un souci faire monter l’audimat à coups de « prise d’otages des voyageurs » ; pas la direction de l’entreprise qui décide sciemment de faire travailler les cheminotes et les cheminots dans ces conditions dangereuses ; pas les représentant.e.s du gouvernement qui donnent les ordres aboutissant à ces situations. Si personne ne travaille pour nous, que personne ne décide pour nous ! En matière de sécurité, mais pas seulement. Dans les chemins de fer, mais pas seulement.
Christian
Mahieux
L’intersyndicale de la RATP (UNSA, CGC, FO, SUD, Solidaires et une
semaine plus tard CGT) a décidé d’appeler à la grève reconductible à compter du
5 décembre. C’est la suite de la très forte mobilisation du 13 septembre.
Piquets de grève et assemblées générales avaient réapparus à cette occasion à
la RATP, participant à créer le bouillonnement qui règne depuis dans
l’entreprise. Se donner plus de deux mois pour préparer une lutte
d’ampleur : ce n’est pas du luxe ! Mais le personnel de la RATP ne
gagnera pas seul l’abandon de la nouvelle contre-réforme des retraites.
Heureusement, d’autres forces syndicales ont compris qu’il ne s’agissait pas
seulement de les soutenir, mais bien de construire un mouvement d’ensemble.
D’où les appels de SUD-Rail dans le ferroviaire, de l’UNSA dans les transports,
de Sud éducation, de Sud Santé sociaux, du comité confédéral FO, du comité
national Solidaires… Appel syndical à la grève reconductible, assemblées
générales décisionnelles, mouvement interprofessionnel ancré dans les réalités
de chaque secteur, 8 semaines pour préparer l’action : pas la peine
d’inventer d’autres échéances, pas utile d’épuiser les forces avant. Syndicats,
Gilets jaunes, associations, collectifs … Calons-nous toutes et tous sur le 5
décembre !
Dhofar, Oman, Bahreïn, Yemen, Beyrouth, Front de libération du golfe Arabique occupé, Mouvement révolutionnaire d’Oman, Front populaire de Bahreïn, etc. : autant dire que l’Histoire que nous raconte Abdulnabi Al-Ekry (Hussein Moussa dans ses longues années de clandestinité) est peu connue dans les milieux militants français. D’ailleurs, en ce sens, la courte préface de Bernard Dréano complète fort bien l’ouvrage par l’éclairage qu’elle apporte. Ce livre témoigne d’une génération de révolutionnaires arabes dont le cadre d’action s’étendait « de l’Atlantique au Golfe ». La solidarité internationale aux luttes de libération, l’exil, sont également évoqués. Après les années 1960/1970, le reflux progressif amènera l’auteur à militer essentiellement dans des organisations de défense des droits humains ; au début des années 2000, de retour dans son pays, le Bahreïn, il a aussi participé à la création du Waad (National democratic action society), parti d’opposition dissous par le pouvoir il y a un an.
Abdulnabi Al-Ekry, Du Dhofar au Bahreïn ; mémoires de luttes et d’espoirs
(1965-2011), Éditions Non Lieu, octobre 2018, 19 euros.
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