Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Une nouvelle opportunité pour le capital 

L’IA n’est-elle qu’un simple outil ou dessine-t-elle un bouleversement fondamental de l’être humain et de nos sociétés ?

De quoi parle-t-on exactement ?

L’intelligence Artificielle est de toutes les discussions depuis la sortie de chat GPT et son million d’utilisateurs en moins d’une semaine. Son contemporain Dall E a suscité lui aussi son lot d’inquiétude et de fantasme lorsque le monde a découvert une photo plus vraie que nature du pape dans une doudoune blanche à la dernière mode.

Les sommes investies par Microsoft et ses concurrents face à ce succès interpellent elles aussi, l’industrie (au sens large) s’anime, les experts se répandent dans des médias friands d’informations sur ce nouvel eldorado, promesse d’une nouvelle ère aussi bien financière que culturelle. Si les perspectives sont généralement présentées de manière positive, cette nouvelle technologie inquiète également. L’impact sur nos emplois, sur nos libertés individuelles et plus généralement sur notre quotidien interroge.  

Mais de quoi est-il question exactement ? Quelle réalité se cache derrière le flou entretenu par un imaginaire savamment entretenu ?

Le manière de définir ce qu’est l’IA, de tracer ses limites sémantiques et ses champs d’application vont influer, sur les contours des analyses mesurant les impacts sociologiques, politiques, éthiques et économiques et donc sur les conclusions.

On choisira ici le parti pris d’une définition technique et précise plutôt que d’une définition trop englobante dont il serait difficile d’identifier les composantes historiques.

Une définition plus englobante consisterait à considérer toute fonction ou toute tâche humaine pouvant être réalisée par une machine comme étant partie prenante de la longue évolution de l’intelligence artificielle. Cette définition a le mérite d’imposer un temps long durant lequel le remplacement de l’intelligence humaine par un système autonome intelligent serait progressif. Cette définition permet également de visualiser concrètement les différentes étapes de cette longue évolution qui conduira une entité logicielle, potentiellement avec une représentation physique humanoïde tel le Terminator de James Cameron, être capable de réaliser à peu près au moins aussi bien tout ce que l’homme cognitif et physique peut réaliser. 

La définition que nous considérons ici est plus restrictive dans son champ d’application. Il s’agit d’un ensemble de méthodes mathématiques basées sur la récupération de données, son traitement et son analyse. Ces méthodes mathématiques dite d’apprentissage ont vu le jour dans les années 90, à contre-courant des méthodes analytiques jusque-là utilisées. Elles ne se sont démocratisées à grande échelle que récemment grâce à l’augmentation des capacités informatiques.

C’est de l’utilisation de ces méthodes à grande échelle qu’il est principalement question lorsque l’on évoque l’IA. Ce sont ces outils qu’utilisent les IA génératives comme  ChatGPT et ses concurrentes. L’IA, que l’on appelle aussi « machine Learning », c’est à dire l’apprentissage par la machine, requiert donc de la puissance de calcul importante et surtout doit s’appuyer sur des données en grande quantité afin de pouvoir modéliser les phénomènes étudiés pour pouvoir les reproduire.  

Cette définition nous apprend plusieurs choses sur ce qui est en jeu.

Tout d’abord l’IA s’appuie sur les données existantes et donc passées pour reproduire un phénomène, un système. Si l’a priori cognitif peut être discuté, par reproduction, la question de la créativité ou de l’autonomie semblent encore loin d’être évidente.  

On comprend également la centralité de l’enjeu sur les données. Le besoin de mener un combat permanent pour que les sociétés civiles et politiques reprennent la maîtrise des données au détriment des entreprises privées, est essentiel. 

Simple outil technologique ou grand bouleversement sociétal ?

Les méthodes d’apprentissage actuelles, « machine Learning » en anglais, qui constituent le cœur de la séquence médiatique contemporaine sur l’intelligence Artificielle (IA), sont les nouveaux outils d’une société mondialisée et ultra connectée qui vise à automatiser toujours plus les différentes tâches qui constituent le quotidien humain.

L’apport de l’IA ne constitue cependant pas une révolution technologique d’ampleur comme a pu l’être la grande révolution industrielle. Elle semble plutôt s’inscrire dans la grande révolution du numérique et de l’informatique qui transforme, depuis 30 ans déjà, nos sociétés politique, sociale et culturelle avec l’avènement des télécommunications, de l’informatique et des réseaux sociaux. 

L’exagération du phénomène tient probablement au fait de la thématique technologique en cours, puisqu’elle touche aux fantasmes du remplacement de l’être humain par l’humanoïde et ouvre des perspectives à la fois anxiogène et excitante.

Le second élément d’exagération, le plus important, est plus maîtrisé. Il est celui impulsé par le capital et sa chute de productivité qui voit dans cette nouvelle technologie une opportunité. Les sommes investies par les géants du numérique sont colossales, aussi bien dans la recherche que dans la publicité ou dans le lobbying. Les experts du numérique sont invités dans les grands médias pour expliquer et convaincre que les changements sont inévitables, partie prenante d’une évolution prédestinée et que les perspectives sont des plus réjouissantes. Ne pas adopter cette nouvelle technologie c’est prendre le risque d’être relégué au banc de l’histoire du marché.

La réalité est plus contrastée, les méthodes d’apprentissage ont leur limites, technologiques, physiques, leur apport n’est pas systématique et ne s’applique pas à tous les domaines. 

La résistance culturelle joue son rôle, retarde l’adoption de l’IA et limite son application à tous les champs de la société. Cette résistance culturelle semble plus le fruit d’une volonté de conserver emplois et savoir-faire existants que la crainte de la nouvelle technologie.

En conclusion, si l’IA en tant qu’outil numérique ne représente probablement pas une révolution en soit, elle s’inscrit comme partie intégrante de l’ère du numérique, véritable révolution technologique. Affirmer que l’IA n’est pas cette grande transformation fantasmagorique, ne doit pas faire oublier les luttes qui agitent nos sociétés et qu’il faut mener sur les questions politiques, sociales, économiques ou culturelles. Ceci d’autant plus que la maîtrise de l’IA et des données, appartient aux très grandes entreprises (GAFAM principalement), et donc au capital mondialisé, et qu’il est donc un outil de plus dans la main de ce système en crise de productivité qui cherche à préserver ses intérêts, à creuser les écarts sociaux, à influencer les politiques et à affaiblir nos démocraties.

Pierre Dubois, ingénieur 

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