Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Un engagement tourné vers le concret

Cet article fait partie du dossier « Un communisme à usage immédiat » que vous pouvez retrouver en cliquant sur la pomme.

            Plusieurs motivations différentes, dans les témoignages des jeunes militants, qui sont intervenus avec une réserve sur la notion d’exemplarité. Armell nous l’explique : « On n’a pas pris le temps d’un échange collectif pour préparer notre contribution à Cerises. On parle depuis nos positions individuelles plus que d’une position collective, même si on va parler de ce que l’on fait collectivement. Je suis un peu gêné quand on parle de la jeunesse, c’est une catégorie assez large dans laquelle j’ai du mal à me placer. J’ai du mal à me placer dans cet endroit-là depuis que je ne suis plus vraiment étudiant. Si on représentait fidèlement le rapport à la politique de notre génération, ce serait vraiment super, on serait content, mais je ne crois pas que ce soit le cas. »

            Dans plusieurs cas, c’est un engagement de terrain qui a amené la réflexion politique, même si l’engagement familial joue aussi un rôle.

R2R, Réseau rennais de ravitaillement

Le réseau de ravitaillement se veut un outil au service des luttes émancipatrices (anti-capitalistes, anti-patriarcales, anti-racistes, etc.).
Il s’inscrit dans une perspective communiste, dans le sens d’une mise en commun de la production maraîchère ainsi que d’une participation de chacun·e à sa distribution, loin de toute logique entrepreneuriale ou salariale.
Chaque semaine est organisée une collecte des fruits et légumes auprès des maraîchers bio, solidaires du réseau, des alentours de Rennes. Ceux-ci sont ensuite distribués en différents points de l’agglomération, alimentent des cantines à prix libre et viennent en soutien aux luttes locales (apport de paniers sur les piquets de grève, préparation de sandwichs lors de manifestations).

Le réseau recherche  une certaine autonomie dans l’approvisionnement des cantines.
Pour cela, des oignons, des patates et des courges ont été plantés dans un champ collectif mis à disposition par un paysan.

Antoine : « Je travaille dans deux associations actuellement, une qui s’appelle L’équipage solidaire qui est organisée dans plusieurs villes et s’occupe de récupérer des invendus des nourritures qui ne sont pas périssables et de les distribuer aux étudiants de Montpellier en situation précaire. (…) C’est né en 2020 au moment de la crise Covid, comme c’était compliqué pour les jeunes d’aller dans les banques alimentaires ou dans les structures plus traditionnelles. Partager, aller vers l’autre quand on peut… c’est une association de bénévoles. J’ai milité aussi dans une association de prévention des risques et je vais dans les quartiers populaires pour discuter avec les jeunes pour que les fêtes se passent sans qu’ils prennent de risques inconsidérés. Ce sont des associations qui sont en lien avec mon engagement communiste transmis par mes parents. Je ne suis pas adhérent d’un parti politique mais l’idée de partage est importante pour moi, réduire les inégalités, réduire les risques. A propos du rapport aux institutions, si ce ne sont pas les institutions qui le font, c’est au peuple de le faire, de s’organiser et de pallier le manque de l’Etat. ».

            Armell met en valeur le rôle d’inspiration de la ZAD de Notre Dame des Landes.

« Sur la question de notre rapport au communisme le réseau ravitaillement vient d’une histoire qui est plus celle de l’autonomie politique, notamment des squats. On est nombreux à avoir forgé notre imaginaire par ce qu’il s’est passé à la ZAD de Notre Dame des Landes (… ) Nous, au réseau ravitaillement on a décidé de choisir de prendre la question de l’autonomie par la question de l’alimentation. Comment répond-on à nos besoins en termes de nourriture à la fois individuellement mais aussi dans les luttes. Le moment où on s’est constitué, c’est en faisant des cantines, des distributions pendant la Loi Travail, en fait c’est une histoire plus ancienne que ça, parce qu’on avait déjà fait des cantines à la ZAD en 2012 ou sur des contre-sommets. On a choisi de se spécialiser sur la question de la nourriture pour essayer de répondre au besoin pour les grévistes de se nourrir quand il y a des grosses grèves, et nous, dans ces espaces où on ne comptait pas se salarier,  on a cherché des moyens de se mettre en solidarité avec les gens qui se mettaient en grève. A partir de là, on a décidé de faire de la récupération pour faire des distributions, de faire de la récup auprès des plateformes, d’aller voir des maraîchers, de transformer la nourriture, faire des repas de soutien. Concrètement ça fait qu’on a soutenu les cheminots et aussi les postiers en grève pendant plusieurs mois, les fossoyeurs à Rennes qui étaient en grève. J’ai du mal à parler de communisme sans faire de lien avec la question des luttes. La question du communisme dès à présent ne doit pas se séparer de cette question-là. On ne se pense pas trop en rupture générationnelle, on a été inspiré de ce qui a été fait en 68, quand il y a eu la question des solidarités entre les paysans et travailleurs, de l’histoire des Maisons du Peuple au début du 20e siècle. On a plutôt le sentiment d’utiliser des choses qui étaient déjà présentes dans le mouvement social. ».

            La difficulté à s’engager dans un parti, pour les jeunes, pourrait venir d’un besoin de concret, mais aussi d’un refus de la « discipline de parti ».

La question du communisme ne doit pas se séparer de la question des luttes

Armell : «  La question du rapport aux partis ou du rapport au syndicat, bon je n’ai pas beaucoup lu sur comment les choses se déroulaient dans les années 60-70 mais j’ai l’impression qu’aujourd’hui c’est extrêmement compliqué pour des gens de notre génération d’arriver à se dire je vais m’investir dans un syndicat, dans un parti. Je pense que ce n’est pas par refus de la politique, je pense que c’est en parti par un refus d’une certaine forme d’aliénation, d’être englobé dans quelque chose dont on n’a pas envie. Je pense que les jeunes n’ont pas envie de discipline de parti. Bon, il y a beaucoup de choses qui sont fantasmées par rapport à ce qu’est un parti, à quoi ça sert, à quoi sert un syndicat. Et pour autant en même temps prendre sa carte dans un syndicat, aller à des réunions de syndicat, ce n’est pas très compliqué, il y a beaucoup de jeunes qui militent dans des asso mais qui ne s’investissent pas dans des espaces plus partisans. J’ai l’impression que cela vient du fait que les jeunes ont besoin d’actions concrètes, pour la plupart ils n’ont pas envie de juste s’engager en se disant qu’on va changer les choses plus tard. Il y a quelque chose en termes de temporalité, il y a besoin d’engagement et de choses qui se passent tout de suite. Je le vois au réseau de ravitaillement mais aussi dans les espaces politiques. On a attiré des gens qui ne seraient jamais venus dans un espace politique, leur objectif n’était pas tant de parler théorie ou d’être dans quelque chose de l’ordre de la description du monde ou de la stratégie politique, mais surtout d’agir ici et maintenant pour changer les choses. Il y a quelque chose qui m’a beaucoup marqué, qui m’a beaucoup touché, moi qui évolue beaucoup dans des milieux squat parfois assez radicaux avec beaucoup de prise de risque et de mise en jeu de soi, par rapport à l’organisation politique plus traditionnelle : il y avait 50 % de femmes dans ces espaces, ce qui n’était pas du tout le cas dans les espaces type syndicat étudiant. Et pour moi c’est lié à la possibilité de faire des choses concrètes. On théorise depuis ce qu’on fait, depuis ce qu’on produit, notre pratique et pas inversement partir de la théorie pour aller vers la pratique. »

            Pourtant, il ne s’agit pas seulement de mener des actions ponctuelles  dans sa petite association.

Distributions du R2R

« Cette vision là, ce n’est pas juste des actions au cas par cas, ce n’est pas chacun dans son coin fait quelque chose. Cette vision-là, elle porte des valeurs. Il ne suffit pas de dire : «Voilà nous ne sommes que quelques associations », la question c’est de valoriser cela et d’essayer de dire : « Voyez ce qu’on peut faire, quand on est 20 étudiants, qui venons pour aider les autres et avec plaisir. La notion de plaisir est importante. (Antoine

            Clément arrive à un constat similaire sur le besoin d’aider les gens concrètement, mais élargit la réflexion : il s’agirait aussi de rencontrer d’autres gens qui partagent les mêmes valeurs, de trouver une sorte d’oasis dans un monde hostile.

« Moi, j’ai peut-être un parcours un peu inverse puisque j’ai d’abord considéré que j’étais communiste à partir de lectures ou d’approches théoriques, dans mes études. Je suis prof de SES, du coup, c’est des sujets que je consulte régulièrement et qui m’intéressent depuis longtemps. Donc cela m’a fait conscientiser, rechercher des rapports opposés à ceux que prône la société capitaliste (…) et j’ai trouvé un mode de vie appliqué à des valeurs opposées, disons, qui m’a convenu. Je participe aussi à des collectifs à Rennes, de profs principalement mais je participe aussi au Collectif Anticapitaliste. On s’est rencontré avec Sylvie dans des mouvements de profs, avant avec Armell, des gens comme ça, un petit milieu, quoi ! Dans ces milieux là, on rencontre des rapports humains, des pratiques, des modes d’organisation, qui me correspondent, dans lesquels je me sens bien. Alors que quand je suis dans la société où règne le monde du travail, la loi bourgeoise, je me sens moins bien. C’est ça la motivation, directement pour moi. Quand je prends plaisir à ces rapports alternatifs, pour moi, je le vois comme une sorte d’oasis dans un monde hostile.

            Un engagement apporterait donc aux jeunes une forme de plaisir, un bien-être et une sensation d’utilité immédiate. Les actions peuvent être ponctuelles, on peut rester peu de temps, mais chacun a le pouvoir de se rendre utile, pour pallier les manques du système.

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