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Crise au Sri Lanka

Les derniers événements au Sri-Lanka, la fuite et la démission du dernier représentant de la famille qui met le pays en coupe réglée depuis des décennies en aura surpris plus d’un. Nous publions ici un éclairage de Jean-Joseph Boillot, économiste, auteur  de « Chindriafrique » et de « Utopies made in monde  » (editions Odile Jacob). Nous le remercions d’avoir autorisé CERISES à publier un extrait de son interview à l’IRIS. 

Patrick Vassallo

Est-ce que cette crise signifie selon vous la fin de la dynastie politique des Rajapaksa, une des plus puissantes d’Asie du Sud-Est ?



Les systèmes politiques dynastiques sont une caractéristique forte de l’Asie du Sud-Est : la dynastie Bhutto au Pakistan, la dynastie Gandhi en Inde et les deux partis dynastiques qui se partagent le pouvoir en alternance depuis la chute du régime militaire en 1990 : le Bangladesh Nationalist Party (BNP) et l’Awami League. La particularité de ces régimes politiques réside dans le lien très fort qu’ils attribuent aux castes et lignées familiales issues du système féodal foncier et religieux. À partir de cette structure féodale se déroule le tapis de réseaux d’influence très profonds sur lesquels se fonde le pouvoir. De ce point de vue, il n’est pas si évident que le clan Rajapaksa disparaisse même si l’incapacité de Rahul Gandhi à revenir au pouvoir en Inde montre qu’il peut y avoir des changements profonds de donne à l’occasion de crises politiques. Tant que le radicalisme religieux bouddhiste se porte bien, le clan Rajapaksa devrait pouvoir alimenter son discours populiste. Les prochaines élections ont lieu dans deux ans et le parti Samagi Jana Balawegaya est la plus importante formation d’opposition. Celle-ci est menée par le potentiel Premier ministre Sajith Premadasa, fils de Ranasinghe Premadasa, homme politique majeur, assassiné par les Tigres de libération de l’Îlam tamou en 1993, et à ce titre prétendant à la formation d’une nouvelle dynastie charismatique. Cependant, ce parti n’a pas l’envergure économique du réseau de la famille Rajapaksa et s’appuie actuellement plutôt sur la révolte de la jeunesse et des paysans pauvres. Or on sait qu’une capacité de révolte ne se traduit pas nécessairement par une capacité d’alternative au pouvoir.

Si le Premier ministre Mahinda Rajapaksa a démissionné, le président Gotabaya Rajapaksa est resté au pouvoir et il est toujours à la manœuvre en jouant de son image de glorieux militaire à qui on doit la victoire sur les Tamouls. Sur le plan économique, il est en négociation avec le FMI pour un plan de sauvetage très ambitieux. Cela signifie indirectement que les États-Unis lui tendent une perche tandis que les relations avec l’Inde se sont tout à coup nettement améliorées. New Delhi a tout de suite compris le parti qu’il pouvait tirer de cette crise qui met en lumière le piège de la dépendance vis-à-vis de la Chine. L’Inde est ainsi le premier pays à avoir secouru le Sri Lanka en lui apportant son aide pour un approvisionnement en pétrole et en denrées alimentaires. Il y a donc une sorte de glissement géopolitique de la famille Rajapaksa qui n’a du reste pas beaucoup le choix.

Il sera assez intéressant de suivre dans les deux ans à venir la façon dont va évoluer la rivalité politique entre la famille Rajapaksa et l’opposition ainsi que leur alignement géopolitique. Est-ce la fin de la parenthèse populiste religieuse ? Est-ce le retour à une neutralité géopolitique à la pointe sud du sous-continent indien ?

De quels leviers pourrait bénéficier le Sri Lanka pour sortir de cette crise sans précédent ?


C’est une crise finalement assez classique dans le monde émergent, en tous cas sur le plan économique, car le cas srilankais se complique du fait de la conjugaison de facteurs endogènes et de facteurs exogènes. La crise économique est, elle, liée à cet enchaînement classique en forme de cercle vicieux : trappe d’endettement, déficit budgétaire, inflation forte, chute du taux de change, sur fond d’un sous-emploi massif préexistant lié à la crise du tourisme et du monde rural. L’objectif du plan du FMI semble assez classique : cure d’austérité, réformes d’ampleur et notamment pour démanteler les réseaux d’influence dans la sphère publique. Cela suppose un fort consensus politique, on le sait, et le retour au pouvoir des technocrates. Pas simple.

L’expérience montre que la moitié des programmes d’ajustement du FMI échouent en raison des capacités de résistance des structures politiques ou sociales contre lesquelles on applique ce type d’ajustement douloureux. Le parti d’opposition n’est pas opposé à ces mesures, car lui-même est assez lié au FMI et à la Banque mondiale et il voit d’un bon œil le ménage dans les écuries d’Augias. En contrepartie, il pourrait perdre le soutien du peuple qui va largement faire les frais de cet ajustement. L’hypothèse d’un consensus fort me paraît douteuse connaissant les passions pour le pouvoir dans cette région du monde et alors que les élections sont dans deux ans à peine. Sur le plan géopolitique par contre, l’hypothèse d’un rééquilibrage entre la Chine, l’Inde et les États-Unis semble crédible.

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