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D’une dynamique politique populaire comme ferment de l’Union populaire

De Makan Rafadjou

4 mai 2022

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La séquence présidentielle a livré quelques enseignements majeurs :

A/ la fin d’une période historique des partis pris dans la nasse institutionnelle, soit qu’ils aient parfaitement endossé cette posture dans le conformisme de l’alternance pour des variantes d’une même politique (LR-PS), soit qu’ils se soient montrés incapables de dégager des idées-forces nouvelles en phase avec les grands défis sociaux et écologiques, démocratiques et politiques et des marges de manœuvre réels sources de transformations nécessaires en phase avec les mouvements sociaux et les attentes citoyennes (PC-EELV),

B/ un nouveau paysage politique marqué par quatre ensembles disruptifs, plus ou moins hétérogènes, porteurs et portés par des cohérences plus ou moins fortes :

1-Macron et LRM : ensemble fortement personnifié, machine électoralo-institutionnelle par essence conjoncturelle, sans assise locale, peu organisée, n’ayant pas nécessairement vocation à durer, mais occupant une position dominante soutenant et soutenue par les puissances financières, et caractérisé par une lutte des places acharnée entre tout ce que le néo-libéralisme et sa façade extrême-centriste compte d’adeptes tant à droite qu’à la fausse gauche,

2-JLM et LFI : mêlant personnification à outrance et organisation forte dont les velléités hégémoniques et le comportement parfois sectaire sont passés au second plan de réelles valeurs humanistes de transformation sociale et écologiques. Sa capacité à redonner à une politique de gauche une vraie crédibilité rompant avec les démissions politiques, les atermoiements face aux défis climatiques et les impuissances face aux inégalités sociales, a mobilisé une partie des couches populaires, et l’absence d’une volonté affichée de rupture avec le capitalisme a fédéré des couches moyennes, urbaines et intellectuelles progressistes par adhésion ou par nécessité,

3- MLP et RN : réussissant élection après élection à étendre une assise locale et une présence médiatique, que l’émergence sur-médiatisé d’un dégueulis ultra-haineux et ultra-droitier de Zemour et un discours faussement et honteusement social ont réussi à masquer sa matrice inchangée d’extrême droite raciste, xénophobe, proto-fasciste et profondément ultralibéral, et qui lui a permis de continuer à focaliser une partie de la colère des couches méprisées, invisibilisées et broyées, tout particulièrement dans un milieu rural en quasi abandon,

4-Enfin, une grande partie de l’électorat, profondément marquée par une défiance politique, une méfiance citoyenne, voire une rage démocratique, cumulées depuis des décennies a radicalement refusé de prendre part à ce spectacle ou de se prononcer en faveur de l’un ou l’une des candidats et candidates. C’est peut-être là le fait politique le plus marquant ! Enfin, depuis le second tour tout le monde est obligé de reconnaitre l’importance du cumul des abstentions et votes blancs et nuls. On ne compte plus les analyses qui, partant de cette dimension devenue structurelle quelles que soient les élections et durable par manque de réponses pertinentes et crédibles, relativisent les scores des candidats par rapport aux inscrits, prônent la nécessité de profonds changements politiques, voire l’urgence de véritables refontes institutionnelles pour tenter de surmonter la fracture démocratique.

Dans ce contexte, la phase des législatives revêt une dimension totalement nouvelle :

  • L’éventualité d’une alliance inédite des forces de transformation sociale et écologiques rend possible sinon une majorité progressiste face à Macron, en tout cas l’évitement d’une majorité absolue le rendant tout puissant et incontrôlable, et le détournement du vote de barrage en adhésion politique !
  • Entre Macron nouvelle mouture (« M. Obligé ») cherchant à enrober sa brutalité politique par une « délicatesse » politicienne consistant à élargir sa majorité en débauchant encore à droite et à « fausse gauche », et la tendance actuelle à réaliser l’union des formes partidaires de la « vraie gauche » (posture conjoncturellement obligée ? nécessité vitale ? volonté profonde ?…) il peut y avoir de véritables fractures de clarification dans le ventre mou de la « gauche » (flagrante au PS et possible à EELV),
  • Mais la possibilité de cette majorité reste presque totalement dépendante des accords programmatiques (mais aussi distributif de places et financiers !) certes importants mais entre appareils et en vase clos. Voir une partie du PS d’accord pour voter l’abrogation des lois El Khomry ne relève pas seulement d’une délectable revanche politique, mais d’un renversement de rapport de force bien plus important ! Mais nous savons qu’en toute logique le compromis possible ne sera pas à la hauteur du programme nécessaire !
  •  Donc on peut estimer que, face aux attentes sociales, cet accord comme une première riposte à la déferlante néolibérale depuis des décennies et à l’hégémonie macronienne est une avancée réelle et une chance à saisir.  Mais pour qu’il ne demeure pas un « accord statique » porteur à la fois des risques de blocages (au regard des différences somme toute assez logiques des différents accords d’après ce que l’on peut en savoir) et surtout d’illusions et déceptions historiquement éprouvées (à d’autres occasions d’union de la gauche), et qu’il soit véritablement à la hauteur des impératifs climatiques et urgences sociales, des nécessités politiques et exigences citoyennes, il faut qu’il constitue une impulsion pour:
    • que cette « union populaire » procède d’un véritable « élan populaire » indispensable à sa concrétisation comme majorité électorale (re)donnant d’ores et déjà au parlement une fonction de gouvernementalité réelle dans un régime présidentiel,
    • que cette majorité portée par un élan se prolonge par une véritable « dynamique politique populaire » sur la base de luttes écologiques et mouvements sociaux à même de construire et porter plus haut et plus loin les exigences démocratiques d’une rupture systémique avec l’ordre existant qui n’est pas (encore ?) à l’ordre du jour des programmes concernés. (à titre d’exemple ce n’est pas pinailler que de relever dans l’Huma du 04/05 que le député S. Peu s’enthousiasmant de cet accord historique parle « d’alternance de gauche » et non d’alternative de gauche ! et que dans un article plus loin on nous dit qu’à cette occasion on distinguera entre « la gauche de rupture » (ce qui devrait relever d’une tautologie !) et « la gauche d’accompagnement libéral » ce qui devrait relever d’une négation dans les termes !)

Pour créer ces conditions une fenêtre de tir historique s’est ouverte : celle pour qu’une majorité inédite pour une nouvelle politique s’engage à fonctionner, voire gouverner, totalement autrement, un engagement sur un contenu de progrès doublé d’un engagement sur une manière de faire bien plus démocratique ! Aujourd’hui, rien n’empêche les candidates et candidats de s’engager sur une « Charte politique » qui, à titre d’exemples, peut porter sur un certain nombre de points dans le cadre même des lois existantes :

  • Mandat exclusif sans aucun cumul avec un autre mandat exécutif (présidence ou vice-présidence de Région, de Département, de Métropole, d’Agglomération, ni de maire et d’adjoint au maire de commune),
  • Mandat impératif ne votant que ce sur quoi et pour quoi les citoyens mandants ont mandaté le ou la mandataire, et donc consultation citoyenne impérative sur les sujets imprévus ou questions émergentes, voire de démission en cas de désaccords de fonds
  • Mandat unique de principe, renouvelable une fois dans des cas exceptionnels à la demande des mandants
  • Présence personnelle impérative lors des séances de débats et de vote,
  • Transparence totale avec mise à disposition et information immédiates des débats, prises de positions et votes,
  • Réunions locales impératives avant chaque session autour des sujets et enjeux à traiter, et élaboration des positions avec les citoyens mandants, les acteurs sociaux et les élus locaux concernés,
  • Volonté d’engager en amont et avec l’ensemble des acteurs concernés des grands débats à toutes les échelles sur les grandes questions ou les réformes structurelles à engager en lien avec les aspirations des citoyens, le travail des associations, les exigences des syndicats
  • Bilans annuels de mandat avec entre autres une transparence sur les budgets de groupes et personnels, leurs usages et affectations,

La signature de la charte manifestera la volonté des signataires de faire la preuve en acte qu’il est nécessaire et possible :

 -de subvertir dès à présent les cadres institués par des pratiques et manières de faire inédites à même d’initier et préfigurer une refonte démocratique à toutes les échelles de la Commune à l’État !

-d’investir de suite le champ des possibles (que rien n’empêche légalement !) des changements significatifs avec l’ensemble des intéressés et acteurs concernés à toutes les échelles comme source d’un nouvel agir citoyen et politique, un nouveau pouvoir-faire et d’une nouvelle hégémonie idéologique et culturelle.

Dans un monde où toute transformation structurante et structurelle, réelle, profonde, efficace et durable n’est possible que dans un rapport de force, l’action législative doit s’irriguer de tous les mouvements et luttes dans leur diversité, et la mobilisation citoyenne et politique doit être ni un obstacle ni même un appui mais le principal ferment politique que cette action doit être capable d’alimenter :

-c’est l’assurance d’une démocratie continue qui n’est pas réduite au spectacle des élections et suspendues et malmenées entre elles,

-c’est faire prévaloir les mandants sur les électeurs, le mandat sur la représentation, le mandatement sur les élections, les mandataires sur les élu-e-s,

-c’est garantir aux citoyens-mandants non pas un simple contrôle mais un pouvoir-agir permanent par un mandat dont la principale force ne réside pas dans sa cohérence initiale mais dans sa capacité à être évolutif, sollicitant et libérant les imaginaires et la maîtrise créatrice d’un faire-ensemble permanent,

-c’est la reconnaissance progressive d’un « temps citoyen » consubstantiel à la démocratie et à la vie en société, cassant et surmontant la dichotomie mortifère entre temps de vie (réduite à la consommation et reproduction de la force de travail) et temps de travail (réduite à une productivité contrainte et exploitée) dans une nouvelle unité maitrisée des emplois du temps, permettant de commuer les citoyens spectateurs passifs ou consommateurs politiques en des transform/acteurs joyeux et co-responsables facteurs d’une intelligence collective faisant de toute transformation une transform/action assumée en générant consensus et dissensus vecteurs de sens commun.   

Une telle « charte » peut être initiée et portée par des forces, organisations ou associations comme ACU, les Fédérés…. (Ensemble?) à élargir sans modération aucune tant cette aspiration me semble largement partagée!) et proposée (par voie de presse ?) à la future coalition partidaire sinon comme une condition collective sine qua non, de moins comme preuve d’un engagement personnel des candidates et candidats qui le souhaitent (mais du même coup leur choix devenant de fait un marqueur politique de positionnement démocratique et de visée politique !).

Cette « charte » peut, le cas échéant, et suivant son succès, donner lieu à un véritable « pacte alter-politique » : faire radicalement autre chose suppose de faire radicalement autrement, et faire radicalement autrement est la garantie la plus solide et durable de pouvoir faire radicalement autre chose ! Une « alter-politique » jetant aux poubelles de l’histoire toute la tradition de la « politique-pour » (versions charitable ou autoritaire, experte ou élitaire, suiviste ou avant-gardiste…) au bénéfice d’une « politique-avec » où tout reste à inventer avec chacune et chacun.

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