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Porteur de paroles

Ce dimanche-là (avant l’élection présidentielle) il faisait beau, ce qui est déjà presque gagné pour un porteur de paroles ! Lors de notre installation sur le marché de Liffré, nous rencontrons des porteurs de tracts, venus faire l’exact inverse de nous en cette occasion.

Nous posons notre pancarte : voter ça suffit… point d’exclamation ou point d’interrogation. Et nous proposons aux personnes qui passent, un échange autour de cette question. Question mûrement réfléchie deux jours avant, pour permettre à chacun·e de s’exprimer, et ne pas fermer le débat. Et ça marche.

Alex, novice en la matière : C’est toujours effrayant, une première fois. Certes, on s’était vu pour préparer. On avait une belle question, de belles affiches, de jolis crayons. Mais parler à des inconnus dans la rue, c’était tout nouveau pour moi.

Du coup, c’est aussi plein de questions. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir dire ? Serai-je à la hauteur, petit Socrate du marché de Liffré, aidant, par mes questions envolées, à mettre au monde des idées claires, à faire naître l’étincelle du changement ? Comment couper court si de socratique, ma réflexion se fait pré-chrétienne ? Et surtout, fondre en larmes est-il une défense efficace en cas d’engueulade ?

Bon. D’une, personne ne m’a agressée. Comme on n’oblige personne à venir causer, on ne dérange pas. Et donc, ne viennent que ceux qui sont curieux. De deux, notre question était suffisamment large pour permettre à tous de donner un avis, sans avoir l’impression d’être jugé. Et ça, c’est indispensable. De trois, argumenter est quand-même difficile quand on n’a pas de « bonne parole » à apporter.

En fait, Socrate, quand il arpentait la place publique après une bonne soirée de beuv… – pardon, un symposium philosophique – avait en tête une question ET la réponse qu’il souhaitait apporter. Il cherchait la discussion en sachant qu’il aurait raison. Sur « Voter, ça suffit ! », j’étais plutôt en recherche de discussion, puisque je me voyais mal aborder le boycott. Il s’agit d’une réflexion récente, trop incertaine. En revanche, réfléchir à « Voter, ça suffit ? », aborder l’engagement dans une politique de terrain, à valeur plus concrète que le simple fait de déposer dans une urne un bulletin qui ne sera pris en compte que s’il va dans le sens de la majorité, là, oui. Parce que discuter sur ces sujets-là, c’est ça, le « pouvoir du peuple ».

Corinne, habituée des porteurs de parole : C’est toujours avec joie que je participe à un porteur de paroles. S’offrir mutuellement un temps de parole sans jugements, sans volonté de propagande, pour partager une pensée, s’enrichir de celle de l’autre, affronter nos différences, faire du conflit un temps démocratique, c’est finalement pas si fréquent. Et le sujet du boycott et de l’abstention n’est pas si aisé à porter en période électorale, qui plus est présidentielle. Il semble tellement admis que l’accomplissement de ce geste « citoyen » est l’alpha et l’oméga de la démocratie, le moyen de renverser un pouvoir en place, d’exprimer son choix et/ou de se faire entendre que la possibilité de ne pas voter ne peut s’énoncer sans désapprobation et la nécessité de justifier ce choix.

Nous avions pensé aux crispations possibles posées par ce sujet, et pour éviter les tensions, le choix de la question du porteur de paroles se fixa sur « Voter, ça suffit », suivi de points d’interrogation et d’exclamation, laissant ainsi ouverts les échanges.

Sylvie, plutôt habituée des diffusions de tracts : J’ai apprécié ces échanges à bâtons rompus, tout en poursuivant mon idée que chacun·e se sente légitime pour décider, ce qui nécessite de contester le système actuel qui nous dépossède. Ce qui est commun dans les discussions : le décalage entre la vie réelle et le monde politique. Paroles entendues « Ceux qui décident ne prennent pas en compte la réalité de terrain », « Personne ne me représente », «  Voter, ça ne sert à rien », « Si voter permettait de changer les choses, il y a longtemps que ce serait interdit », «  Souvent on vote contre, on ne vote pas pour, ou on vote utile »…

Des doutes : «  Je ne suis pas sure d’aller voter », «  Je ne sais pas comment faire, mais il faut faire autrement », «  Je ne sais pas pour qui voter », «  Je n’ai pas la solution, et vous ? », « Les promesses, il y en a beaucoup qui ne sont pas tenues », «  Avant pour moi c’était clair, en 1981 par exemple, aujourd’hui je ne sais plus ».

Et des certitudes : «  Il faut interdire le cumul des mandats, inverser le calendrier des élections présidentielles et législatives », « Il faut faire sans demander l’autorisation », « Les politiques ne sont pas prêts de donner le pouvoir au peuple », « Il faut moins de candidats »…

Alors comment reprendre du pouvoir ? Comment faire démocratie ensemble ?

Le système représentatif est à bout de souffle. On le perçoit dans les échanges, mais cela ne permet pas en soi de dégager des solutions. Regagner du pouvoir, c’est se sentir légitime pour décider, et cela va mieux en le disant. L’échelle locale paraît déterminante, mais comment décider à d’autres échelles ?

Et pourquoi pas boycotter l’élection présidentielle qui donne un blanc-seing à un homme ou une femme pour 5 ans, et qui oblige à se ranger dernière celle-ci alors que nous sommes si divers, et que nous avons besoin de débattre ensemble des choix politiques à l’échelle locale, mais aussi à l’échelle nationale et mondiale ? Si cela ouvre des perspectives, certain·es sont prêt·es à l’envisager.

Corine :Les échanges furent très denses, parfois difficiles à démarrer car le sujet est sensible. Y furent évoqués la nécessité citoyenne de voter, la conscience que cela ne suffit pas mais comment faire autrement, le lien avec le local plus proche et rassurant, l’absence de confiance dans les élu·es, la place de l’abstention dans le résultat, l’espoir de voir quand même changer les choses, l’indécision sur son choix au premier tour, l’absence de croyance dans la révolution par les urnes….ce fut alors possible pour moi de parler du boycott et de prendre conscience que le mot est porteur d’une position politique qui ne transparaît pas avec le mot « abstention » tellement dénigré médiatiquement.

Cette position politique argumentée autour de l’absurde maintien d’un système voué à l’échec et de la nécessité de penser dès maintenant d’autres modes de prises de décisions collectives le rendait alors audible voire parfois partageable, en tout cas, compris de mes interlocuteur·es… ; une nouveauté à un mois des élections, presque une voie qui s’ouvre pour penser d’autres mondes possibles. Cette voie, ouverte par l’usage dévoyée de la démocratie à des fins électoralistes des politiques en place qui ont rendu le vote inepte et accessoire, semble soudain possible. Une guerre des récits se fait alors jour, celle qui pourrait éviter que le « tous·tes pourri.es » nous entraîne dans un régime fascisant, et permettre peut-être de se réapproprier un pouvoir politique dont nous nous sommes auto exproprié·es en espérant sincèrement que les mandats confiés le seraient en notre nom. Une voie pleine d’utopie ?

Depuis, l’élection a eu lieu. Macron est le président qui a la légitimité la moins forte de tous les présidents élus depuis le début de la 5ème République. Et maintenant que faire ? Ce pourrait être l’objet du prochain porteur de parole…

Alex, Corinne, Sylvie

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1 réflexion sur “Porteur de paroles”

  1. mourereau michel

    A voir comment les “affaires” sont enterrées ou amoindries dans leur exécution par la “Justice” ( violences policières, massacre génocidaire au Rwanda, de corruption(s) plus nombreuses que jamais et aux plus hauts degrés de responsabilité politique ( Sarko’ ,3 ans ci-devant Président !!!) Cahuzac , C. Lagarde, A. Juppé, H. Guénot, et fraude(s) fiscale(s) Balkany, Bolloré etc…etc…il convient de constater que les ” L’Indépendance de la magistrature” atteint un niveau qui oblige à s’interroger sur la réalité de “Séparation des Pouvoirs”, chère à Montesquieu. La mise en place du Totalitarisme se poursuit. Comme le droit de vote ( non inscription massive, charcutage électoral etc…

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