Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Du « contre » au « pour »

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Les mobilisations de masse, les grands mouvements créent des rassemblements d’une nature nouvelle, qui dépassent les clivages et habitudes, qui « transcendent ». 

Jean évoque les mouvements liés aux “Soulèvements de la terre”. Il y voit énormément de jeunes  impliqués dans cette action politique  indépendamment de quelque parti que ce soit et  impliqués dans des formes de désobéissance civile, de désarmement, de renoncement à des structures officielles de représentativités ou de représentation. Martin a participé au rassemblement contre les bassines dans les Deux Sèvres. Ce regroupement de gens qui venaient d’horizons très différents de la gauche, l’a beaucoup impressionné : « c’est intéressant de les voir tous ensemble, ce fut un très beau week-end de lutte, pour dire non à quelque chose et c’est plus facile de rassembler du monde pour dire non à quelque chose ».

Vincent fait part de son expérience en zone rurale :  « Sur le plan syndical depuis des années, je suis amené à batailler contre des fermetures de classes, de divisions dans des collèges dans les zones rurales. Je me rends compte que ce sont les coins qui ont voté Le Pen dont je fréquente la population et forcément, il y a des gens qui sont venus à des rassemblements contre des fermetures de classe un jour ou l’autre et qui ont voté Le Pen, c’est mathématiquement obligé. Il y a là tout un tissu de gens qui à certains moments se mobilisent de manière défensive au départ, puis pour la défense des services publics de proximité en milieu rural. Dès qu’ils se mobilisent, quelque chose d’autre se construit qui tend à surmonter cette barrière ».

C’est dans ces mouvements que devient possible le passage du contre au pour, et qu’un processus de réappropriation de la politique peut se construire.

Vincent revient sur la lutte des Gilets Jaunes : «  Tout à coup, il y a des millions de types qui se rassemblent contre une hausse du prix du gasoil et alors une fois qu’ils sont rassemblés, c’est autre chose. Les rapports sociaux sont tels que les gens atomisés, avant qu’ils se soient réunis dans une lutte, ils peuvent difficilement avoir des propositions, ou du moins, s’ils en ont, c’est complètement éclaté, ou ils ne vont pas oser les dire. Donc les mouvements au départ sont des mouvements « contre » et puis ils deviennent des mouvements « pour » quand ça s’approfondit . Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas réfléchir à l’avance sur la visée évidemment, il faut  mener cette réflexion, mais à grande échelle c’est comme ça que ça se passe ».

Pour Martin ce passage du mouvement « contre » au mouvement « pour » ne se fait pas facilement : « Il faudra trouver des formules pour rassembler pour dire oui à quelque chose, cela a beaucoup plus de force que de dire non, mais effectivement le non rassemble plus facilement. L’équation est là, il faut trouver le même rassemblement pour des projets politiques communs ». Ainsi le projet de sécurité sociale alimentaire que Martin considère comme émancipateur, ne fait pas consensus au sein de la « gauche ».

Pour Jean il s’agit de : « redonner du désir dans la politique c’est-à-dire arrêter de déléguer systématiquement à des gens qui ne sont pas plus experts que nous. Ils en ont fait un métier, et ça c’est catastrophique. Le vrai problème, il se pose là. C’est comment on peut redonner du désir dans les luttes, comment faire pour que ces luttes ne soient pas seulement identitaires, même si, autrefois elles avaient une identité ».

Pour Bakoly, ce processus d’appropriation nécessite que les dominé.es puissent être acteurs, actrices de leur émancipation :  «Quand  on ne laisse pas la place à des gens au sein de nos mouvements sociaux pour qu’ils s’approprient eux-mêmes le combat,  forcément on a des idées toutes faites sur comment cela doit se passer la révolution, et c’est peut-être là où on se trompe vraiment ».

Pierre considère que les partis font obstacle à ce processus d’appropriation. Pour lui, « investir le champ des solutions implique de ne pas déléguer aux partis qui resteront sourds  et de viser à se transformer ensemble en force de pouvoir. Construire de vrais projets par les intéressé/es c’est comme un puzzle, personne ne peut prétendre tout savoir : chacun/e en a une pièce et on voit comment les rabouter. Cela ne veut pas dire qu’on sera tous d’accord mais dans ce cas le désaccord est fécond : il pousse chacune et chacun à réfléchir à pourquoi il y a désaccord et comment peut-il être dépassable ».

Pour Bakoly «  il y a comme un confit générationnel. Les partis en place, les grosses associations, les syndicats fonctionnent sur des schémas d’organisation qui sont issus de vieux concepts ou qui ne se réinterrogent pas, et ne prennent pas en compte toutes les avancées qui ont été faites dans des combats à la jonction d’énormément de dominations (ce qu’on appelle l’intersectionnalité).  Ce qui fait que par exemple quand je vais dans un syndicat ou dans un parti politique souvent j’ai envie de partir en courant, parce que je vois se répéter des formes d’organisation qui sont toujours les mêmes et ce n’est pas forcément sur des vieilles organisations, je le vois aussi dans les milieux autonomes qu’on a ici à Rennes, des formes d’organisation qui sont autour d’hommes qui prennent tout l’espace, qui ne donne pas envie de s’y inclure, parce qu’il y a besoin de se battre pour l’intégrer, alors que simplement on est là et on veut avoir notre place ».

Mais pour gagner les revendications, il est nécessaire de ne pas faire l’impasse des moyens, comme l’appropriation sociale des moyens de production.

Pierre pose la question « Qui doit tenir les rênes dont nous dépendons ? Les actionnaires du CAC 40 qui viennent de recevoir 100 milliards de dividendes ou la nécessité d’utiliser l’argent pour répondre aux besoins humains ? ».

Vincent lie la question du pouvoir et celle de la propriété. « La démocratie pour que les gens décident eux-mêmes réellement,  et que les élus ne soient pas des gens qui soient coachés par des cabinets d’experts. Lesquels ne font rien  puisque le vrai pouvoir est ailleurs. Les élus doivent être pleinement responsables et donc soit révocables, soit « mandatables ». Et en même temps il faut que les sujets sur lesquels intervient le pouvoir politique touche à la propriété.  Ça ne veut pas dire exproprier le boulanger du coin, ça fait longtemps que tout le monde est revenu d’une idée pareille, mais par contre, ça veut dire contrôle social des mouvements de capitaux, des grands investissements, et pour faire face aux questions écologiques, ça passe par des décisions collectives ».

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