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Que sont les oligarques russes ?

par Patrick Le Tréhondat

Depuis le début du conflit en Ukraine, le terme oligarque revient souvent pour désigner la couche sociale au pouvoir en Russie. Y ajouter maffieux pour faire bonne mesure. Mais ce qualificatif ne nous en dit pas beaucoup sur la nature sociale de cette couche parasitaire, puisque le plus souvent on se contente de décrire leurs fastueuses dépenses ou leurs propriétés qui ne font pas pâlir de jalousie les milliardaires du CAC 40 ou de Wall Street.

La première génération d’oligarques est née dans les années 1990 dans le cadre du démantèlement de l’URSS pendant lesquelles ils ont acquis à bas prix l’appareil industriel russe. Cette accumulation primitive porte les mêmes traits que la vente des biens nationaux dont a profité la bourgeoisie française pendant la Révolution. Pour le chercheur Stanislav Markus « l’accession au pouvoir de Poutine en 2000 a permis l’émergence de la deuxième vague d’oligarques par le biais de contrats d’État. » Ilya Matveev, chercheur vivant à Saint-Pétersbourg, précise de son côté qu’il y avait un grand potentiel d’utilisation de toute cette capacité de production, et c’est ce qui s’est passé dans les années 2000. ». Pour lui, cette « classe de milliardaires a besoin d’un État fort, et de Poutine personnellement, pour les protéger sur le plan idéologique et organisationnel et leur garantir les conditions de vingt années supplémentaires d’accumulation de capital » mais, ajoute-il, « la confrontation accrue avec l’Occident ne profite pas aux milliardaires, principalement parce qu’ils font partie d’une classe capitaliste transnationale plutôt que de la simple bourgeoisie nationale. Cela signifie qu’ils ont besoin d’une intégration dense dans l’économie mondiale, et cette confrontation géopolitique empêche cette intégration ».

Cette précision est importante. Classe transnationale ou bourgeoisie nationale ? On a pu observer que les sanctions prises contre les oligarques ont frappé les biens qu’ils possédaient sur le « marché mondial capitaliste », bien que l’on puisse s’interroger sur la passivité de la City de Londres et d’autres dans l’effectivité des mesures décidées. De la même manière, avec les sanctions prises contre les oligarques, en tout cas c’est le sens indiqué, on a voulu « débrancher » ou en tout cas bloquer leurs activités de production qui sont totalement insérées dans le cadre de l’économie mondialisée capitaliste. Ajoutons que leur mode de vie, leurs loisirs, leurs lieux de résidence, l’éducation de leurs enfants, leurs consommations quotidiennes sont identiques à ceux de la bourgeoisie mondiale. Tout ceci pousse dans le sens d’une « classe capitaliste transnationale ».

Mais pour autant peut-on penser que cette classe pourrait s’affronter à Poutine et son aventure guerrière qui nuisent objectivement à leurs intérêts. Pour Ilya Matveev, la Russie est soumise à « un régime bonapartiste où la bourgeoisie est privée de pouvoir et où l’État agit dans l’intérêt des milliardaires. » Dès lors que ce même État n’agit plus dans leurs intérêts, ces oligarques auront-ils la capacité de s’émanciper politiquement ? La guerre constitue en Ukraine une épreuve de vérité pour cette couche parasitaire qui n’a pas à l’évidence les moyens politiques que requiert son statut de classe dominante.

Patrick Le Tréhondat

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