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Quand les articles du journal font réagir.

Boycott ou pas ?

Dans Cerises n°30  nous avons publié un dossier intitulé Présidentielles que faire ? Nous  poursuivons ici le débat.

Boycotter l’élection présidentielle une « fausse bonne idée » !

par Henri Mermé

La gauche politique toutes sensibilités confondues est à la ramasse alors que les aspirations sociales, démocratiques, féministes et écologistes sont toujours largement majoritaires dans la société. Dans ces conditions les choix pour l’élection présidentielle se réduisent largement au seul « possible ».

Boycotter au nom de la juste critique de la « monarchie républicaine » qu’est la V° République c’est refuser un champ permettant d’exprimer à une échelle de masse des propositions alternatives. Alors qu’en Kanaky l’appel à la non-participation au referendum était initié par l’ensemble des organisations indépendantistes et a eu un grand succès, il n’en sera probablement pas de même pour le boycott de la présidentielle. En l’état ce n’est porté que par des milieux largement minoritaires voire contradictoires, et sera de fait confondu avec l’abstention par habitude ou résignation et sans doute largement invisible. Qui plus est c’est contradictoire si on pense que boycotter la Présidentielle pourrait être un moyen favorable pour une appropriation citoyenne des élections législatives.

Aussi il semble préférable de s’associer aux efforts unitaires souvent animés par des éléments jeunes pour arriver à une candidature unique de la gauche sur un socle de mesures fortes et plébiscités par le peuple de gauche notamment en raison des risques que représente l’extrême droite. Même si la lucidité est de reconnaitre qu’une issue favorable de ces démarches est faible. Surtout que contrairement aux autres élections c’est lors de la présidentielle que les milieux populaires, les femmes et les jeunes votent le plus. Et cette fois-ci sans doute les citoyen.nes issu.es de l’immigration inquiet.es de la montée des thèses racistes.

Une forte poussée pour l’unité à gauche en particulier avec l’initiative de C Taubira se manifeste mais dont on ne peut pas juger, à ce stade, si cela pourrait (ou non) changer la donne. 


En appelant au boycott constituant, voilà où je place les prochaines élections,

Pourquoi après de lourdes réflexions  je me détermine au boycott constituant

par Danielle Montel

–          Après une longue expérience militante dans une grande entreprise, la big pharma Sanofi,  qui a détruit le 2ème centre de recherches du pays  malgré une lutte de 5 ans de ses salariés tous métiers rassemblés qui voulaient que leurs compétences utiles à la santé soient utilisées, développés pour tous

–          et après avoir séjourné pendant des années  dans un département où les habitants ont su construire et se rassembler pour mieux vivre

où j’ai appris le partage, la solidarité, l’ouverture, l’accueil  ici et dans le monde

où j’ai appris   et apprends avec des femmes, des hommes, des jeunes, des moins jeunes, qui m’ont donné accès à leurs cultures, leurs rêves, leurs vies,

où peu à peu tout cela est détruit depuis des années par des obsessions de pouvoirs et d’argent de quelques uns sans humanité, de soumissions et d’ambitions pour ceux qui disent s’en affranchir.

J’en ai marre .

Le monde que je souhaite n’est pas celui là.  Il ne se fera pas avec eux. Il ne se fera qu’avec les femmes et les hommes qui croient, aiment, respectent  les humains

qui veulent poursuivre la sortie de l’esclavage, l’émancipation de chacun et tous.

Mon boycott est un besoin d’agir dès maintenant et dans la continuité sur  cette visée.

Je veux sortir de la dictature du marché qui me fait vomir,

Je veux construire une société vraiment communiste faite de liberté, à partir des rêves, des envies,  des projets exprimés  de chacun.

Une société qui  rejette  toutes les inégalités, condamne  toutes les injustices.

Mon boycott constituant est positif, s’inscrit dans une volonté que se développent partout des comités, des assemblées populaires, des initiatives concrètes donnant de la force à chacun, et à tous,

Il s’inscrit dans le prolongement des gilets jaunes, des nuits debout,  des constructions concrètes d’habitants des villes, des  villages, des salariés des entreprises,

Il s’inscrit dans la lutte pour le droit à la parole et à l’action

Il s’inscrit dans la volonté d’émancipation vis-à-vis des institutions existantes autoritaires et aliénantes, 

Il s’inscrit dans la visée de construire dès maintenant et en permanence de l’humanisme, du communisme.


Election présidentielle : faut-il perdre du temps et se diviser ?

par Christian Mahieux

L’élection présidentielle est l’apothéose de la non-démocratie de la 5ème République. La chose est entendue, même pour les multiples candidates et candidats de gauche qui s’y sont présenté∙es depuis plus d’un demi-siècle et s’y présentent encore. Par ailleurs, l’abstention est un phénomène politique qu’on ne peut ignorer. Mais les raisons de celle-ci sont multiples. Les campagnes abstentionnistes ne sont pas une nouveauté. Pour une partie du mouvement anarchiste, c’est une longue tradition. La présente et courte contribution n’a pas pour objet défendre l’électoralisme, moins encore s’agissant des présidentielles. Elle vise à interroger sur l’intérêt pour « notre camp » de se diviser à propos de cette élection. Par « notre camp », on entend ici toutes celles et ceux, individus et organisations, qui agissent pour l’émancipation sociale. Il en est qui votent, leurs choix portent sur des candidatures différentes, une partie pense qu’il n’en faut qu’une, beaucoup considérant que ce doit être celle qu’ils et elles préfèrent, d’autres ne votent pas. Mais puisque tous et toutes s’accordent sur le fait que cet « évènement » n’en n’est pas un dans la marche vers l émancipation, pourquoi se diviser ? Adoptons comme principe la diversité des tactiques face à cette échéance, n’y accordons pas plus de temps que cela, priorisons vraiment l’action collective directe contre l’exploitation, les discriminations et pour l’émancipation, les mouvements sociaux et la politique qu’ils créent. Les périodes électorales tendent à nous diviser ; et si l’urgence était de ne pas tomber dans le piège ?


Arrêtons d’élire nos futurs bourreaux

par Jean-Blaise Lazare

La Ve République a été écrite par un patriarche pétri de bonnes intentions dont les figures bibliques nous renvoient l’écho. Animé par des préoccupations bienfaitrices et protectrices à l’égard d’un bon peuple démuni et égaré, cherchant un guide. Un esprit des plus classique, qu’on pourrait croire universel si ce n’est que de telles postures relèvent de choix politiques qui ont fait leur temps. C’est, sans doute, ces mêmes convictions qui ont mis ce même personnage en perdition quand il s’est heurté de plein fouet au vent de “mai 68”, incapable de comprendre que c’est précisément ce paternalisme aristocratique et autoritaire qui était remis radicalement en cause. Une contestation qui n’a cessé de croitre malgré les résistances réactionnaires. Le refoulé fait toujours retour dit-on.

Les différents scrutins qui ont jalonné cette Ve République montrent qu’elle était et reste taillée pour habiller toujours les mêmes présidents. Les quelques aménagements qu’elle a subis n’ont fait que renforcer son rôle de “machine à gagner” pour les oligarques qui nous gouvernent.

Les candidats éligibles sortent tous du sérail. Ils sont scrupuleusement éduqués et choisis, pour répondre aux attentes de l’élite dominante.

Miraculeusement, ce sont ceux-la, de droite ou à gauche de la droite, qui apparaissent au second tour. Si vous êtes vraiment de gauche, il ne vous reste plus qu’à choisir entre la peste et le choléra.  Bien sûr, vous voterez pour l’horreur du choléra pour éviter la catastrophe de la peste.  

Pour les progressistes de la vraie gauche, c’est une torture incessante et les maigres espoirs entretenus douloureusement tous les cinq ans finissent toujours broyés dans cette machine.

Déjà galoppante, l’abstention n’attendait plus que d’être reconnue et portée par un projet politique pour exister sur l’échiquier politique sous forme de boycott. Dès lors, comment un élu qui représenterait moins de la moitié des électeurs pourrait se revendiquer légitime si cette moitié s’est préalablement présentée comme la voix de ceux qui refusent ce jeu de dupe et qui appellent à une constituante pour refonder ce système ?

Alors, allons-nous continuer à alimenter cette machine infernale à produire du paternalisme autoritaire encore longtemps, ou allons-nous l’enrayer une bonne fois pour toute ?


Combattre le système et voter : pourquoi choisir ?

par Laurent Eyraud-Chaume

Nos échanges prouvent qu’une analyse commune peut aboutir à des choix différents. Sans s’étendre sur le constat, force est de constater que le temps électoral dessaisit les citoyen-ne-s de leur pouvoir plutôt que l’inverse, qu’il personnifie là où il devrait créer du commun, qu’il simplifie les débats là où il devrait aider à comprendre la complexité du réel. Oui, la démocratie dont nous rêvons est tout autre. Est-ce une nouveauté ?

C’est un long combat que nous menons pour mettre ces enjeux autogestionnaires et ceux d’un anticapitalisme radical au cœur des révolutions à venir. Il faut pourtant admettre que si nos convictions sont fortement partagées, bien au-delà de nos rangs, personne dans le champ électoral, tellement séparé des luttes quotidiennes, ne portent avec assez de cohérence ces urgences démocratiques. Devons-nous donc refuser d’aller voter et aller vers une campagne de boycott ? Et si cette campagne fonctionne nous réjouir d’une forte abstention ?

Je ne le crois pas. Depuis plusieurs décennies, la montée de l’abstention a été théorisée (et favorisée) par tous ceux qui souhaitent que rien ne change. La question : “à qui profite le crime?” reste toujours centrale dans les questionnements stratégiques. L’abstention pèse sur le rapport de force mais jamais en notre faveur. Si les élections ne peuvent seules changer le réel, quelle autre issue proposons-nous autour d’une campagne de boycott ? Ouvrir le débat ? Certes, c’est important… mais ensuite ?

Je crois pour ma part que l’heure est à construire un “village commun” à tou-te-s ceux et celles qui agissent, dans un même mouvement, pour construire des îlots de communisme et penser une nouvelle cohérence post-capitaliste qui sache mêler nos luttes émancipatrices. Ce village sera notre nouvelle organisation, nous saurons agir et penser ensemble. Le temps électoral retrouvera sa place, un outil (parmi d’autres) pour libérer de nouveaux espaces mis en commun. Il est urgent d’inventer en positif des issues de secours, des issues joyeuses et mobilisatrices !


Quelques mots

Vincent Présumey

Le boycott des élections présidentielles de 2022 surprend les divers militants de gauche. Il va contre leurs habitudes. Pourtant, ce à quoi ils veulent croire aujourd’hui – victoire de leur candidat, émergence d’une ou un candidat « sauveur », réalisation de l’unité si possible sur un bon programme … – leur est utopique et désespéré. Est-ce parce que la société est à droite, raciste, réactionnaire, que Zemmour/Le Pen/Ciotti sont majoritaires ? Mais c’est vers l’abstention que partent les voix de l’ancien électorat « de gauche », pas vers l’extrême-droite.

Des mouvements sociaux d’une ampleur sans précédent depuis mai 68, et dépassant largement cet ancien électorat, ont déferlé tout au long de ce quinquennat, à commencer par les Gilets jaunes. L’aspiration démocratique spontanée s’est explicitement dirigée sur le renversement du président de la Ve République, sans en proposer un autre. Voilà la réalité.

C’est pourquoi le regroupement qui s’engage pour le boycott est en même temps réaliste et porteur d’espoir : il veut donner un contenu explicite à ce qui, déjà, est. Le rejet de l’institution présidentielle devient le choix politique le plus clair du moment, à condition justement de l’expliciter. Contre l’existant, – et singulièrement d’ailleurs contre l’extrême-droite – il est en somme déconstituant, mais par là même il ouvre – seul à le faire – le champ du possible, le champ du constituant – et de tout son contenu social.

Bonne année 2022 !

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