Culture.

PArce qu’on ne peut pas s’émanciper sans aile !


Une « Tournée théâtrale à vélo » pour que « le jour se lève encore ».

(A la compagnie « Le pas de l’oiseau »)

Avec le Covid, la crise écologique, la désertification des territoires sans services publics, le jour peut-t-il encore se lever ? Bâtir son couple, son avenir ici dans le Veynois-Dévoluy, territoire microscopique oublié par la République, en résistant à l’air du temps pour des « jours heureux », n’est-ce pas une gageure impossible ? Pourtant, l’âme du spectacle tient entier dans cette envie de rebâtir les liens perdus de la sociabilité, de « faire village » en quelque sorte.

Écrire un spectacle avec une dizaine de personnages joués par un seul acteur pour une tournée en vélo en tirant tentes et matériel, essentiellement l’éclairage, dans une zone montagneuse aux pentes arides, il faut avoir l’imaginaire et les mollets bien résistants. Il faut avoir foi dans un public qui, peut-être n’a pas vu de « pièce théâtrale » depuis plusieurs années et peut-être, jamais. La capitale locale, Gap, est loin, et le Covid a fait son œuvre de désertification des liens sociaux.

L’auteur de la pièce, Laurent Eyraud-Chaume, a tissé, lutte syndicale, histoire sociale, volonté de changement radical de vie pour trouver du sens à l’existence, paroles savoureuses des ancien.nes, propos détonants des jeunes, une société pleine de saveurs se parle, se cherche, se perd et se trouve, tout au long de la soirée. L’engagement pour l’égalité, la liberté, est vif de la part des « personnages » mais l’histoire défait les plus belles victoires. Les barrages électriques, leur fierté d’être d’EDF malgré ses changements de statut, les activités de la CCAS et des colonies de vacances disparues : ce monde solidaire, durement construit et défait par la concurrence capitaliste. Le ressort, à peine esquissé mais qui vous frappe en plein visage, est cette lutte des classes, pensée ou souterraine, qui peut désarticuler les femmes et les hommes. Le récit théâtral nomme et éclaire, le dur de la peine et des joies des hommes et des femmes.

Promener à vélo de tels sujets devant des spectateurs qui sont loin d’être toutes et tous en accord avec le propos, et cela dans de minuscules villages ou hameaux, c’est une vraie machine à remonter le temps pour éclairer le présent et sans doute jeter en pâture, pour le futur, le sens de l’engagement possible pour un monde de liens véritables.

Entre 50 % et 70 % des « villageois et des villageoises » ont répondu présent.es. Pour eux et pour une soirée, le théâtre était là, dans un pré, un coin de place, un bout de rue, et non sur un écran. Le monde vivant du théâtre n’est pas qu’une ombre hertzienne.

Je connais cette magie, elle appartient à mon enfance quand dans un village perché de l’arrière pays niçois où je vivais, les saltimbanques arrivaient. La joie nous prenait et nous tirait, curieux et curieux, pour admirer la montée du chapiteau… le spectacle commençait déjà. Ici, aussi, même si le chapiteau est la nuit étoilée, il fallait installer les lumières, les chaises et les bancs et se faire beau pour venir voir le saltimbanque s’engouffrer dans les temps passés sous l’immensité des montagnes avoisinantes.

L’unité des habitants regroupé.es entourent la « scène », « font village ». Le lendemain « le jour qui se lève encore » a un goût de bonheur.

Jean-Paul Leroux




                                                                                 

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