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Les abîmes de l’abstention

Les élections régionales et départementales ont eu lieu. Elles sont l’objet de spéculations multiples, moins sur la réalité de leurs résultats que sur leurs conséquences possibles. En ligne de mire, bien sûr, la présidentielle de 2022…

Le fait le plus marquant restera fixé sur une abstention qui pulvérise les records : deux électeurs sur trois ! Plus l’abstention grandit, plus elle se fait complexe. Les données sociodémographiques sont certes limpides : la participation augmente avec l’âge; elle diminue avec la position sociale, le niveau de revenus et celui de la formation. Mais, si elle ne le fait pas pour tous à l’identique, elle augmente partout.

Il y a donc plusieurs abstentions. Chez les plus jeunes, elle peut exprimer un manque d’intérêt : à quoi sert de voter dans une élection dont on ne sait dire à quoi elle sert ? Chez des plus âgés éduqués, elle peut dire l’insatisfaction profonde devant l’offre : on ne sait pas trop comment faire la différence entre les listes concurrentes ni dire où est la plus attractive. Dans les catégories les plus populaires, l’abstention dit volontiers la colère : à quoi bon voter, dans une élection qui ne sert à rien, pour des politiques qui, à droite comme à gauche, nous ont méprisés et trompés ?

Les motifs d’abstention peuvent se juxtaposer ou se mêler. Ils convergent dans la même insatisfaction : le monde politique ne fait plus rêver, on ne peut plus lui faire confiance et il n’y a aucune raison de se faire représenter par lui. Si cela est vrai, rien ne sert de sermonner les abstentionnistes, ni de les menacer d’un vote obligatoire. Le problème se trouve entièrement du côté de la politique telle qu’elle s’est instituée. Il n’est pas du côté de celles et ceux qui ne votent pas, mais du côté de ceux qui ne donnent pas envie de voter. Noyés dans les combinaisons politiques ou dans les présumées « contraintes » du réel, ils ne contribuent plus à produire du sens partagé.

La distribution des votes

Globalement, le rapport des forces entre la gauche et la droite reste à peu près le même : un peu au-dessus de 35 % pour la gauche, autour de 60 % pour la droite. Ce qui change est la distribution interne de ces votes. L’extrême droite se tasse, tout comme le PS ; la droite classique fait un bond sensible et le centre y trouve une place un peu plus conséquente, même si la REM ne réussit pas son coup ; l’écologie politique gagne quant à elle gagne 7 points aux régionales entre 2015 et 2021.

Une élection à faible participation favorise les mobilisations militantes et les réseaux notabiliaires. Le RN n’est pas parvenu à « doper » ses forces, tendues vers la prochaine présidentielle, et il n’a pas la base de notabilités qui compte dans ce type d’élection (le poids des exécutifs sortants). Les Verts ont tiré leur épingle du jeu, mais n’ont pas surpassé le PS et restent fixés à un niveau modeste sur le terrain cantonal. Entre les forces classiques, c’est la mouvance LR qui a dominé le match. Dans ce champ largement occupé, le PCF et la FI ont joué les utilités, en solo ou en position de force d’appoint. Clémentine Autain et Sébastien Jumel sont les seuls à tirer leur épingle du jeu aux régionales.

Et maintenant ?

Il est donc incongru de faire la morale aux abstentionnistes ; ce n’est pas pour autant que l’élection est un piège à cons… D’une manière ou d’une autre, il faudra continuer obstinément de travailler à rattacher l’attente d’en bas et les projets politiques qui peuvent leur donner du sens.

Beaucoup ont ricané sur la fin imminente du match Le Pen-Macron et sur le retour aux formes politiques anciennes du conflit droite-gauche. C’est aller bien vite en besogne. La fonction de la politique est d’unifier les populations concernées autour de projets de société, de visions du monde et de grands récits. 0r à ce jour, il n’en est que deux pour structurer le champ politique institutionnel.

L’un est à la fois libéral, autoritaire et ouvert sur l’extérieur (l’Europe, le monde) ; l’autre est à la fois « illibéral », protectionniste et excluant. Le macronisme prospère sur la première cohérence ; le lepénisme sur la seconde. Chaque ensemble a son incarnation provisoire : si Macron et Le Pen repoussent plus qu’ils n’attirent, leur attraction est suffisante, au moins dans leur espace, pour arriver en tête au premier tour. Aucun des deux n’est majoritaire dans une opinion éclatée, à l’image de la société elle-même ; mais ils ont assez d’attraction pour atteindre le tour décisif.

Ni la droite classique, ni la gauche ne donnent l’impression de disposer d’une proposition au moins aussi attractive. Depuis dimanche, les sondages suggèrent que cela les laisse pour l’instant au tapis dans une présidentielle. Dans des scrutins jugés sans enjeu mobilisateur, le poids des organisations et des notabilités peut assurer des succès partiels. Dans des élections à participation plus forte, ce n’est plus suffisant.

À gauche, la démonstration est faite que ni la dispersion des forces, ni l’unité proclamée ne créent une dynamique suffisante pour rattraper le retard prix en 2017. Ou bien la gauche se refonde autour de projets clairs et d’une dynamique socialement rassembleuse : alors l’émancipation retrouvera la force que lui donnaient les aspirations égalitaires du mouvement ouvrier. Ou bien le marasme politique persistera : alors nous n’aurions le choix qu’entre la fade « gouvernance » et la logique excluante du ressentiment.

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