Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

Culture, luttes, émancipation

La pandémie a dévoilé, s’il le fallait, le cynisme et la violence des forces du capital. La culture n’est pas essentielle ! C’est ainsi qu’ont été considéré.e.s celles et ceux qui nous racontent le monde avec leurs mots, leurs images, leurs sons, leurs notes, leurs couleurs… Pendant plusieurs mois ils/elles ont occupé des lieux de spectacle et se sont réapproprié leur outil de travail. Cerises leur consacre le dossier de Juillet.

Dans les luttes, une autre vision de la société ?…

Suite : quid de la culture ?

Les 5 février et 8 avril dernier le réseau AAAEF, l’équipe de rédaction de Cerises, et un groupe de militant.es du Npa avaient proposé de participer à une réflexion et des échanges sur le thème des mobilisations et des pratiques alternatives dans différents domaines, de l’antiracisme au féminisme en passant par le climat, la santé, l’activité des Gilets Jaunes ou encore les nouvelles pratiques citoyennes, marquées par l’auto-organisation et l’autogestion, dans les quartiers populaires de Marseille. Le dossier de Cerises du mois d’avril avait rendu compte des grands thèmes du débat.

Dans le prolongement de ces rencontres, des militant.es de la culture qui, pendant plusieurs mois, dans tout le pays, avaient occupé les théâtres, les opéras, les lieux culturels, ont accepté notre invitation à débattre de la dimension auto-organisée et autogestionnaire de cette lutte et des questions posées dans cette mobilisation sur les enjeux culturels pour la société que nous voulons.

Nous avons posé deux questions :

Quelle est votre appréciation sur le mouvement en cours, ses origines, sa dimension auto-organisée et autogestionnaire et ses objectifs ? 

En quoi ce mouvement porte-t-il une interrogation fondamentale sur les enjeux culturels, sur ce qu’est la culture, dans une perspective anticapitaliste et alternative ? 

En plus de nos invité.es, d’autres occupant.es ont participé à ce débat. Qu’elles/ils en soient ici à nouveau remercié.es.

  • Florian Baron, musicien, occupant du TNB à Rennes
  • Magali Braconnot, comédienne, organisatrice de festivals jeune public, occupante du théâtre du Merlan à Marseille, militante au SFA-CGT-Spectacle
  • Laurent Eyraud-Chaume, comédien, responsable d’une compagnie en milieu rural, militant au sein de “l’occupation itinérante 05”
  • Yves Frémion, écrivain,  animateur du SELF syndicat des écrivains de langue française
  • Emmanuelle Gourvitch, administratrice d’une compagnie et organisatrice d’un festival en PACA, présidente du SYNAVI
  • Roxane Isnard,  comédienne, occupante du théâtre de la Criée à Marseille 
  • Martine Ritz, comédienne, occupante de l’Opéra Graslin à Nantes, CGT-Spectacle
  • Olivier Roussin,  technicien, coordination des intermittent.tes. et précaires de Bretagne, occupant du grand théâtre de Lorient
  • Laurent Voiturin, comédien, délégué régional Bretagne du syndicat SFA-CGT-Spectacle

Bonne lecture

L’équipe de rédaction


Culture, occupation, autogestion

© Serge d’Ignazio

L’occupation des lieux de culture a ouvert la lutte à d’autres luttes que les seules problématiques culturelles : convergence des luttes ?

Nous sommes des travailleurs et des travailleuses précaires comme les autres

Magali  Braconnot. J’ai fait partie des occupantes et occupants du théâtre du Merlan à Marseille … c’est un choix que nous avons fait en décidant d’aller dans les quartiers populairesnous n’étions pas seulement en lutte pour défendre nos intérêts personnels mais pour parler de tous les droits sociaux en général et même des questions de société. On a participé à toutes les manifs du moment contre le tout sécuritaire, pour le climat, la santé…

Emmanuelle Gourvitch. Pendant les occupations le SYNAVI était présent dans certains lieux et les liens ont toujours été forts avec les occupant.es. Nous avons participé à la rédaction de certains textes dont l’un en date de Mai dernier s’appelant « Du ruissellement à l’irrigation par la racine pour un nouveau paradigme de politique publique ».

Olivier Roussin. Assez vite nous avons pris contact avec l’ASBFM une fonderie qui travaille pour Renault et qui va fermer avec 200 personnes sur le carreau.  On a participé à des manifestations avec eux.  On a contacté les gens des hôpitaux, de l’éducation et même des chefs d’entreprise sont venus nous visiter. Enfin des brasseurs de bière. Parmi la CGT chômeurs il y avait des gens qui ont travaillé à Pole Emploi et on a pu faire un gros boulot sur la « réforme » chômage.

Laurent Voiturin. Notre première revendication portait sur la réforme de l’assurance chômage car nous sommes des travailleurs et des travailleuses précaires comme les autres et il ne faut se faire aucune illusion : notre régime particulier est en danger. Et cette revendication a été partagée.

Jacques Thomas. Il y a eu un lieu qui a été occupé, c’est le théâtre, ce qu’on appelle le Grand Théâtre, municipal, de Dijon. Moi j’ai le sentiment (de ce que j’ai vu à Dijon) que l’intégration de la lutte des intermittents dans l’ensemble du mouvement social s’est faite assez naturellement.

Roxane Isnard. Je participe à l’occupation du théâtre de La Criée à Marseille. On a été rejoint par des gens qui n’étaient pas du tout du milieu de la culture, des gens travaillant dans la restauration et des saisonnier.es notamment. Ce qui fait que les premières AG ont porté sur la fameuse question de la convergence des luttes.

Magali Braconnot

Magali Braconnot. On a eu des rencontres assez passionnantes,  avec les militant.es du Mac’Do qui a été transformé en centre social, qui va être racheté et qui finalement est un lieu autogestionnaire. On a été soutenus dans notre lutte par les Fralib, avec les thés 1336, qui, eux, ont récupéré leur entreprise ; et certains copains connaissent bien cette situation là, et on a même été faire une manifestation à Carrefour Port-de-Bouc où ils sont en train de lutter pour faire de ce magasin un lieu autogéré .

Les occupations ont permis de poser la question de l’autogestion dans les lieux   de culture et dans le champ culturel en son  entier

Magali Braconnot. Ce qui m’a intéressé c’est la façon dont on s’est organisé, de façon horizontale avec pas mal d’AG pour prendre les décisions. La mise en œuvre de ces pratiques de type autogestionnaire n’allait pas de soi mais ça s’est retrouvé dans tous les lieux occupés et ça s’est aussi installé assez vite dans la coordination nationale.

Le théâtre c’est à nous

Laurent Eyraud-Chaume. Parmi les textes qui sont sortis à la Criée, il y en a un sur la propriété des théâtres… Pour pratiquer l’autogestion, il faut forcement être propriétaire des lieux. Et beaucoup de participante.es et en particulier dans les jeunes générations se sont rendu.es compte que ce n’était pas du tout le cas et qu’il n’y avait aucun pouvoir sur la façon dont ces outils étaient gérés. Alors que celles et ceux qui y dormaient proclamaient « le théâtre c’est à nous ». Ceci ouvre une réflexion passionnante sur comment le monde culturel pourrait demain faire des théâtres des espaces communs.

Roxane Isnard

Roxane Isnard. Je suis comédienne et assistante metteuse en scène. Ce qui a été très intéressant c’est que nous nous étions approprié.es un outil qui ne semblait pas être le nôtre, et que c’était aussi le cas de la ville qui est devenue un espace marchandisé qui n’appartient plus aux citoyen.nes Ceci a été au centre de nos débats pour voir comment on pourrait reconstruire ce qui nous appartient… Et sur tous les sujets se posait la question de l’autogestion, avec la recherche d’un système basé sur le roulement, refusant tout ce qui est pyramidal.

Olivier Roussin. Je suis technicien, occupant du grand théâtre de Lorient et je participe à la coordination des intermitent.es et précaires de Bretagne. La lutte a été à l’initiative de la CGT, de la CGT chômeurs et des Gilets Jaunes. L’organisation s’est très vite mise en place mais on est tombé dans quelque chose de très pyramidal et on a eu du mal à en sortir.

Florian Baron.  Sur les questions qui se posent : dans quelle mesure c’était de l’autogestion ? On s’est retrouvé en fait dans des négociations avec les directions des lieux qui nous accueillaient et dans ces négociations les directeurs étaient plus ou moins rassurés de discuter avec des représentants syndicaux et d’avoir en face d’eux des gens du métier. Quand la CGT est partie, on a eu les flics qui nous ont viré trois jours après… où j’ai eu la sensation que justement on avait un fonctionnement très pyramidal et que sur une occupation longue ça ne pouvait pas tenir parce que les gens qui prenaient beaucoup de responsabilités au bout d’un moment étaient épuisés. C’est pour cela qu’ils sont partis ; et c’est très compréhensible. Mais voilà, par contre j’ai vu qu’ils sont partis à un moment où il y a plein d’autres gens qui arrivaient. Et des gens de mouvances autonomes, notamment, qui font très peur à beaucoup de militants et ça m’a questionné beaucoup de lire le texte qu’avait écrit Mouawad là-dessus. Je me demande comment on fait pour faire ré-entrer de la politique dans nos mouvements aussi. 

Martine Ritz. Ici à Nantes les auteurs et autrices ont fait tout un tas de propositions ; comme Wajdi Mouawad, dont la chronique ici n’a pas du tout été appréciée. Ce qui m’a frappé, c’est qu’aujourd’hui il y a une culture commune autour du mot autogestion.  On se réapproprie notre outil de travail et ça a été quelque chose de très important dans les occupations de se dire que finalement ces lieux sont à nous et puis on nous demande vraiment notre avis. Et là on a pu expérimenter comment s’organiser dans ces lieux et comment on a pu arracher de ce pouvoir là.

© Serge d’Ignazio

Laurent Eyraud-Chaume.  Quand on parle de l’autogestion il y a beaucoup de compagnies qui expérimentent au quotidien ce que ça veut dire travailler ensemble. Qu’est-ce que ça veut dire la question de la gouvernance ? Qu’est-ce que ça veut dire se partager le travail ? Qu’est-ce que ça veut dire décider ensemble ? Il y a des compagnies, de théâtre, il y a des lieux, des théâtres, des associations culturelles  qui incluent les spectateurs dans leur manière de construire des projets sur le territoire.

Emmanuelle Gourvitch

Emmanuelle Gourvitch. La question  de l’autogestion est fondamentale. Il y a des propositions d’amap culturelle : on est allé jusqu’à faire des propositions  de tirages au sort  en matière de financement comme en matière de programmation. Quand on va présenter ça au ministère ça fait plouf mais quelle autre façon ? En quoi ce serait dangereux ou déraisonnable ? Il y a des critères pour financer tel ou tel projet, il y a une partie de ces financements qui sont proposées au tirage au sort sur des structures qui respecteraient un certain nombre de critères : ça permettrait une relève, ça permettrait de  financer des gens qui ne sont pas forcément repérés notamment dans le spectacle vivant, ce système de réseau est « une chose formidable ». C’est formidable pour les gens qui sont dedans. Mais tous ceux qui sont dehors tous ceux qui n’en sont pas ils ne sont nulle part.

Sylvie Larue. Par rapport à cette question de l’autogestion comme une réponse alternative à ce système capitaliste : cette autogestion c’est important qu’elle commence tout de suite dans les luttes, elle est portée de plus en plus dans les mouvements d’occupation. Quand il y a eu les occupations des raffineries, les salariés disaient « les raffineries, elles sont à nous », les agents territoriaux qui ont occupé l’Hôtel de Ville de Paris ont scandé des slogans  « l’hôtel de ville il est à qui ? il est à nous ! » et je trouve que c’est quelque chose qui monte très fort et on doit pouvoir s’appuyer sur ce déjà là, élargir cela partout dans toutes les luttes.


Culture : de quoi parle-ton ?

La culture ce n’est pas forcément quelque chose d’élitiste

Notre débat a fait ressortir que pour la plupart des protagonistes, ce qu’on entend par culture avait largement dépassé les frontières des arts et lettres, des « beaux-arts », englobant ainsi tout un champ d’activités et pratiques, artistiques mais pas seulement, professionnelles ou amateures. Nous n’en sommes plus à Malraux ou au congrès d’Argenteuil… Bon nombre d’interventions indiquent combien la culture est perçue, pratiquée non comme un produit fini, muséal, mais comme un mouvement, une démarche.

De l’élitisme

Si pour Magali Braconnot, membre du syndicat CGT des artistes, «la culture ce n’est pas forcément quelque chose d’élitiste », elle souligne l’étendue des champs culturels, de l’intervention des artistes  «qui font partie de la richesse culturelle dans le pays et qui vont dans les écoles ». Le théâtre subventionné ne peut représenter à lui seul la production artistique et culturelle, même si « il y a une culture élitiste » dont la frontière tient moins au statut des établissements (« centres dramatiques nationaux, des scènes nationales, des théâtres municipaux ») qu’à la posture de ses directions et cadres permanents. Et même si Jacques Thomas, (qui n’est pas un professionnel de la culture) évoque « une culture pas forcément enfermée dans les lieux habituels ». L’absence d’acteur.trice.s des arts de la rue ou du street art biaise sans doute ce bornage, mais les références nombreuses à l’éducation populaire semblent montrer que l’élitisme est moins en haut des marches (encore que…) que dans le regard porté de haut en bas vers « les publics ».  L’élitisme qui s’auto-justifie par le refus de poser « la question de la fréquentation du public et du nombre de spectateurs » et qui «  a à voir avec cette interdiction qui se fait pour soi même d’entrer dans certains lieux ».

© Serge d’Ignazio

Mais c’est aussi un regard élitiste porté sur la culture que souligne Florian Baron, musicien, interrogeant : « qu’est-ce que c’est que cette culture, qu’est-ce que c’est ce côté un peu religieux qu’on entretient avec l’art, est-ce que la culture c’est éduquer les pauvres à apprécier la richesse du patrimoine culturel des riches ? »

En proximité

Pour Emmanuelle Gourvitch, « la fréquentation au quotidien c’est une piste de travail à envisager », précisant que « le théâtre et la culture  en général n’ont pas besoin de lieux institutionnels pour exister, une façon d’être présent sur des territoires en proximité avec les habitants qui ne sont justement pas les publics. ».  Si la problématique de la marchandisation de la culture a été ponctuellement soulevée, mais peu du point de vue de son périmètre, on peut certainement constater qu’« au lieu de penser galerie marchande, on ferait mieux de penser  commerce de proximité, espace de proximité, à travailler autrement dans des espaces pas forcément dédiés et là la question de la fréquentation se poserait autrement ».

Cette proximité peut-elle tenir aussi de sa captation sociale ? Quand Roxane Isnard défend que « se réapproprier nos lieux de travail, c’est aussi se réapproprier la culture comme un espace de rencontre ».

Florian Baron

Question d’espace(s), relève Florian Baron : « un autre Grand Théâtre Ouvert c’est celui de la rue, il y a quand même énormément d’artistes dans les rues et il y a aussi beaucoup d’art qui se pratique à la maison ». Lequel poursuit en complétant qu’il a « bien aimé les interventions autour de l’éducation populaire même si cela prête à débat sur qui éduque qui et pourquoi et toutes ces structures de domination me pèsent énormément. Je me pose beaucoup la question de la légitimité qu’on a à occuper des scènes, les scènes sont des structures pyramidales et j’ai beaucoup aimé la proposition d’Olivier de dire qu’il faut absolument ouvrir les théâtres l’été il faut au moins qu’il y ait des périodes où les théâtres appartiennent aux gens et où on ouvre les scènes à des amateurs et en termes d’expérimentations concrètes dans les dernières années ». Exemple donné d’ « un copain qui a créé le bal de Bellevue à Nantes où il est passé voir toutes les personnes de son quartier ».

Ça sert à quoi tout ca ?

il n’y a pas d’éducation populaire sans valorisation des cultures populaires

Au fond n’est-ce pas le sens qui définit de quoi est faite la « Culture » ? Pour Magali Braconnot, « quelle culture on voulait, qu’est-ce qu’on englobe dans cette culture ? ». Martine Ritz semble bien poser une distinction en affirmant qu’« un lieu culturel,  c’est le capital culturel plus que les moyens financiers ». A quoi Benoît Borrits fait écho en liant appropriation collective et but : « une question de transcendance de la propriété, de dépassement de la propriété. Que faire de nos outils de production (et le théâtre est un outil de production culturel) ?  Un commun inaliénable qui est autogéré à la fois par ces artistes et l’ensemble des producteurs et puis les usagers qui doivent définir ce que doit devenir l’art dans les années à venir. ».

La culture serait-elle le champ de nos diversités ? exhorte Florian Baron en relevant que «  qu’est-ce qu’on a comme culture et à quel point on regarde notre nombril quand on parle de culture ». Janie Arneguy relève qu’à Nîmes  « Les intermittents nous ont proposé beaucoup d’interventions artistiques sur les marchés et cela a provoqué des discussions avec le public dans les marchés où on était en quelques sortes artistes ». Une orientation que Rémy Querbouet complète en affirmant qu’ « il n’y a pas d’éducation populaire sans valorisation des cultures populaires ». Et qui prend le contre-pied d’une instrumentalisation par les dominants : « la culture est piégée par un jeu, c’est un instrument de communication, pas un instrument d’émancipation des artistes, de la population » comme le dénonce Rémy qui propose de travailler sur « comment concevoir la culture dans une perspective communiste et autogestionnaire ».

Visée que conforte Laurent Eyraud-Chaume, comédien et conteur, pour qui la décentralisation culturelle « s’est faite de façon assez pyramidale avec des lieux où il peut certes se passer des choses intéressantes mais qui laissent de côté la banlieue et le monde rural. Et ceci avait pour conséquence que ça laissait de côté toute une partie du secteur culturel n’appartenant pas aux schémas dominants : les artistes et technicien.nes intervenant en prison, dans les centres sociaux, dans les écoles ou faisant du théâtre de rue ».

« Sans la culture et sans les artistes qui nous disent des choses sur le monde tel qu’on le vit, et tel qu’on pourrait le transformer, il nous manque quelque chose d’essentiel dans notre vie de tous les jours » résume au fond Sylvie Larue.

Dans ce monde capitaliste, faut-il renverser la table et comme Florian Baron viser que « le terme de culture est lui-même à remettre en question si on veut remettre nos activités dans une perspective qui n’est plus capitaliste justement ». Et/ou que « valoriser la culture populaire est quelque chose qui est très important. », comme y insiste Rémy. Parce que « à quoi ça sert finalement le théâtre ?  A quoi ça sert finalement de faire des spectacles ? Qu’est-ce que ça veut dire être humain ? On est dans des questions anthropologiques », insiste Laurent Eyraud-Chaume.

Le but, pour Magali Braconnot, est d’« irriguer par la racine, se répandre partout (…), s’autoriser à aller dans des lieux qui ne sont pas accessibles à tout le monde ». Parce que « finalement la culture c’est quoi ? (…) c’est pas que l’art, c’est surtout pas que l’art, c’est ce qui fait que l’on peut vivre ensemble. La culture n’est jamais neutre ; on est dans une culture néolibérale. Et nous on a envie que la culture ce soit autre chose. Que ce soit quelque chose qui soit plus porté vers l’éducation populaire, plus accessible, émancipatrice, et ça a un lien avec être citoyen » .


Quelle rémunération des travailleuses et travailleurs de la culture ?

La réforme de l’assurance chômage, centre du mouvement des travailleurs et travailleuses de la culture, concernait l’ensemble des chômeurs et chômeuses. Le souci de ne pas cloisonner les revendications a été partagé dans toutes les occupations. 

Laurent Eyraud-Chaume. Il ne fallait pas que le mouvement se construise principalement sur les intérêts propres de quelques-uns.

Jacques Thomas. Poser le problème de la réforme de l’assurance  a aidé justement à cette intégration de la lutte des intermittents dans le mouvement social.

Laurent Voiturin. Notre première revendication portait sur la réforme de l’assurance chômage car nous sommes des travailleurs et des travailleuses précaires comme les autres et il ne faut se faire aucune illusion, notre régime particulier est en danger.

Le régime des intermittents a une histoire. Sans salarié.es pas de spectacle  

Martine Ritz

Martine  Ritz. L’intermittence a été inventée par les patrons et pas par les salariés, ils avaient besoin de leurs techniciens pendant les productions de cinéma. Quand ils n’avaient plus de travail, les techniciens allaient bosser dans le bâtiment. Quand les patrons voulaient refaire une production, ils n’avaient pas les techniciens sous la main. L’intermittence est capitaliste…

Sylvie Larue. L’intermittence c’est aussi le début de la continuité du salaire, et du déjà là. Le travail ce n’est pas seulement le moment où on est en représentation, mais c’est aussi le moment où on prépare, on répète, on crée, comme pour nous les profs ce n’est pas seulement 20 heures de travail, soient les heures de présence devant les élèves, mais c’est aussi tout le temps de travail pour préparer les cours pour se former.

Notre revendication a été un plan de relance fléché sur le salariat

Emmanuelle Gourvitch. En tant que syndicat d’employeurs, dont les positions sont proches de celles des salarié.es et de la CGT spectacle,  notre revendication a été un plan de relance fléché sur le salariat pour permettre aux intéressé.es de travailler. Sans salarié.es, il n’y a plus de compagnies, de projets, d’action culturelle et d’éducation populaire. Nos structures subventionnées ou non, certaines étant sous forme d’associations, d’autres de coopératives, ont comme principale richesse leurs salarié.es.

© Brice Le Gall

Des situations très diverses

Laurent Voiturin. « L’année blanche » et sa prolongation faisaient que certain.nes n’avaient pas besoin de rentrer en lutte pour obtenir la prolongation de leurs indemnités. Et d’autres étaient dans le secteur subventionné où les spectacles ont continué. Par contre dans certains secteurs importants en Bretagne comme le théâtre de rue ou les fest-noz, les gens étaient très touchés, sans travail et vraiment en danger.

Yves Frémion

Yves Fremion . Partout les occupations ont été ouvertes à l’ensemble des professions et à l’ensemble de ce qu’on peut appeler le précariat.  Je n’ai jamais autant travaillé que durant cette pandémie. Le travail que j’ai accumulé, je l’ai fait évidemment sans un centime. Si j’ajoute les piges que j’ai faites dans la presse et mes droits d’auteur, sur l’année 2020, j’ai gagné 4000 €. Heureusement que j’étais retraité ! Il faut savoir que pour les écrivains si vous êtes débutant vous n’avez rien, si vous n’avez rien gagné ou pas grand-chose, vous n’avez rien.

Florian Baron. Je travaille avec un musicien afghan exceptionnel et qui ne peut absolument pas accéder à l’intermittence, il faudrait qu’il accepte de se mettre au chômage et s’il est au chômage, il n’a plus le droit d’avoir des papiers, il a des papiers parce qu’il travaille.

Martine Ritz. Énormément de jeunes sont prêts à être pizzaiolo en même temps que comédien. Ils disent : « de toute façon je n’aurai pas de retraite, je n’aurai pas de salaire, je ne gagnerai pas ma vie, on ne me déclarera pas,  ce que vous avez vécu vous les vieux n’est pas possible pour nous aujourd’hui ». 

Notre système  est extrêmement fragile, il repose  sur 97 % de micro entreprise. L’intermittence sans contrat de travail, c’est ce dont rêve le Medef, une caisse où on mutualiserait la misère. Beaucoup d’intermittents ont perdu l’idée que leur contrat de travail leur permettait indemnisation, protection et chômage, qui ont été gagnés par  nos prédécesseurs qui ont bâtit la sécurité sociale. Remettons des choses basiques dans la tête, le déjà là et le communisme, parce que le capitalisme n’a qu’un seul ennemi, le communisme.

De la réforme du chômage à la question du salaire.

Laurent Voiturin. Nous défendions un « plan de relance » en expliquant qu’il y avait une baisse de la masse salariale du secteur. On a réussi à amener avec la question de l’assurance chômage, celle du salaire. Le salaire est la question moteur pour toutes nos compagnies.  A la CGT on a la revendication du « nouveau statut du travailleur salarié » qui est une version du « salaire à vie » de Bernard Friot.

Martine Ritz. La 1ére radicalité c’est d’avoir un salaire émancipateur. Avec de la cotisation. Et un salaire qui corresponde à des compétences, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Parce que nous faisons des métiers de passion, ces métiers n’auraient pas à être rémunérés sur du 100% travail ?  Il faut revendiquer un statut équivalent à la fonction publique c’est à dire le salaire à vie tel que l’a défini Bernard Friot, le statut du travailleur salarié.

Mais qui dit salaire dit rapport de subordination. Comment s’en libérer ?

On essaie de construire du communisme de territoire grâce à la culture

Laurent Eyraud Chaume. Mon projet n’est pas d’être salarié ou intermittent, c’est juste une condition technique, je suis comédien ou conteur. Je me bats pour qu’on paie nos cotisations, pour qu’on ait des choses émancipatrices au travers de la mise en commun des moyens, mais pour moi une vie émancipée et une vie salariée, il y a quelque chose qui est de l’ordre de la contradiction.

 © Brice Le Gall

Comment nos luttes sociales nourrissent notre projet de société : que faire de la marchandisation des spectacles, de la logique de marché et de sa tendance monopolistique ? Comment décider ensemble ?  Il y a des milliers de personnes qui aujourd’hui – parfois sous des statuts juridiques pas terribles, des formes associatives pas très adaptées – mais qui sont déjà en train de construire autre chose.  On essaie de construire, c’est du communisme de territoire grâce à la culture.  

Yves Fremion. Quand on est subventionné,  on ferme sa gueule. 

Olivier Roussin

Olivier Roussin. Tout ce pognon qui part dans des cachets hallucinants doit être réparti sur tout le territoire pour qu’on puisse faire des choses toute l’année et qu’il ne faille pas faire des centaines de bornes ou prendre un avion pour venir.

Laurent Voiturin

Laurent Voiturin. Le rapport de domination qu’on identifie là, est dégueulasse. Il faut  relocaliser nos activités artistiques, elles nous appartiennent. Nous devons rentrer dans les conseils d’administration de ces maisons qui nous appartiennent en tant qu’acteur, en tant que technicien. Je ne veux pas me placer en victime, je veux promouvoir des dispositifs qui permettraient de développer des spectacles dans les quartiers. La question du travail que nous fournissons n’a rien à voir avec le cachet qui ne correspond pas à la quantité de travail. Il faut attaquer ce marché du travail. Nous voulons des pratiques  localisées, plus vertueuses sur le plan écologique, sur le plan social avec un salaire en fonction de notre compétence, le cachet est peut être le moyen, l’intermittence est aussi un autre moyen, on a un terrain d’expérimentation qui nous permet d’avancer là dessus.

L’intermittence est capitaliste, le salaire est émancipateur

Martine Ritz. L’intermittence est capitaliste, le salaire est émancipateur. La crise sanitaire nous a montré que le statut le plus protecteur est celui de fonction publique. Nous sommes des salariés à emploi discontinu moins bien protégés que les CDI et mieux protégés que les auto-entrepreneurs ou les gens qui n’avaient pas de salaire, donc la notion du salaire est totalement émancipatrice. Si nous avions des salaires attachés à nos personnes, nous serions libres vis à vis des directeurs, qui ne sont que des salariés cooptés. On est libre  de créer quand on est libre dans sa tête sur le plan financier et économique.

Benoît Borrits. Dire « tout le monde va être payé avec des grades », autant dans la fonction publique cela marche bien parce qu’on est dans une économie non marchande mais dans une économie marchande, ça coince. La notion de convention salariale de la valeur qui finalement dit ce qu’on achète, sans se préoccuper de la qualité,  que les grades sont garants de la valeur, pour moi cela ne fonctionne pas.  Par contre mettre systématiquement hors marché une partie de la production de façon à garantir à toutes les personnes qui sont en activité, un salaire minimum, c’est bien quelque chose qui est extrait de la production, distribué de façon strictement égalitaire entre les personnes, ça je pense que c’est entendable et peut être discuté. 

Sylvie Larue. Gérer la caisse d’assurance chômage, décider des subventions et donc poser la question de qui décide, il faut porter cette exigence que la décision ne doit pas revenir à quelques barons, marquis ou président directeur général de la France.

  © Serge d’Ignazio

Communiqué de la CGT

La réforme de l’assurance chômage suspendue

Le Conseil d’État vient d’annoncer sa décision suite à l’audience en référé suspension du 10 juin : la réforme de l’assurance chômage que le gouvernement voulait mettre en œuvre au 1er juillet est suspendue en attendant un jugement au fond pour annulation.

C’est un camouflet pour le gouvernement et pour Emmanuel Macron qui n’ont eu de cesse de saccager les droits des chômeurs, traités de fainéants et de tricheurs à chaque occasion et poursuivis de leur vindicte malgré la crise.

Le jugement courageux fait apparaître au grand jour la supercherie : la réforme a pour but de faire de violentes économies sur le dos des travailleuses et travailleurs précaires, tout en rendant encore plus malléable et disponible une main-d’œuvre, très jeune, servant d’armée de réserve au patronat.

La juge a estimé que les éléments complémentaires fournis par le gouvernement pour retarder l’échéance de quelques jours n’ont apporté aucun éclairage.

La ministre du Travail a continué de mentir d’un bout à l’autre en prétendant que cette réforme avait pour but « d’aider les travailleurs précaires » : leur couper les vivres allait leur permettre, soi-disant, de faire pression sur les employeurs pour leur proposer des CDI. Cette aberration n’a pas trompé le Conseil d’État, alors que toutes les études montrent que les salariés n’ont pas le choix de leur contrat, précaire ou non.

La juge retient le caractère urgent qui nécessite une suspension pour ne pas appliquer au 1er juillet la baisse drastique des droits (à travers le changement de calcul du salaire journalier de référence, véritable dévoiement de celui-ci).

Elle relève les profondes ruptures d’égalité que nous avions mises en lumière, notamment grâce aux travaux de Mathieu Grégoire et de l’Unedic. La censure du changement de calcul, si elle est confirmée à l’audience jugeant sur le fond, signifie que le gouvernement a tout faux et n’a même pas été capable de concevoir un instrument correspondant à ses discours.

La CGT se félicite de l’unité syndicale très large et de la convergence très grande avec de nombreuses associations et collectifs qui combattent cette réforme.

Après cette première victoire, la mobilisation doit continuer, non seulement pour empêcher définitivement l’application de la réforme de l’assurance chômage mais également pour imposer l’ouverture de droits pour tous les chômeurs et précaires et à terme une autre protection sociale. La CGT propose de construire une sécurité sociale professionnelle, pour ouvrir à toutes et tous des droits attachés à la personne, garantis collectivement dans un nouveau statut du travail salarié.

© Serge d’Ignazio

Communiqué de Solidaires

Réforme Assurance Chômage : Le gouvernement à nouveau au tapis !

Le mouvement social et le Conseil d’État viennent d’infliger une lourde défaite au gouvernement. Saisi par la CGT, la FSU et Solidaires afin que soit suspendu le décret portant réforme de l’assurance chômage du 30 mars dernier, le Conseil d’État a décidé de suspendre la réforme du salaire journalier de référence dont le système projeté doit engendrer des inégalités en montants d’allocations pour une même période travaillée de 1 à 50 !

Dans la droite ligne de sa décision de novembre dernier, le juge a donc fait droit aux syndicats et suspendu, dans l’attente d’une décision au fond, les règles de calcul du montant de l’allocation chômage qui devaient entrer en vigueur le 1er juillet. Ce n’est guère étonnant au vu des incohérences et contradictions d’un gouvernement incapable de justifier du bien-fondé de sa politique se fondant sur une hypothétique amélioration du “marché du travail”, allant jusqu’à prétendre pendant l’audience que c’est aux salariés-es d’obliger le patronat à leur proposer des contrats non précaires !

Alors que Macron a annoncé le retour de la réforme des retraites, cette nouvelle victoire du mouvement social signe une nouvelle défaite du gouvernement pour qui la réforme de l’assurance chômage a servi ces derniers mois de réforme « étendard ». Même si nous ne doutons pas qu’il revienne rapidement à la charge, cette victoire doit le faire réfléchir. Elle met en cause sa capacité à gérer l’assurance chômage dans le respect de l’intérêt des chômeurs et des chômeuses  gestion qui doit être de la compétence des seuls.es représentants.es des travailleurs (ses).  Alors que les besoins sociaux sont partout criants, il est temps pour notre camp de construire une protection sociale en phase avec les enjeux du 21ème siècle. Réellement protectrice des droits de la population, à commencer par les plus modestes, contre les aléas de la vie que ce soit en termes de santé, de vieillesse, de chômage.

Mais ces victoires rappellent surtout qu’il ne faut jamais rien lâcher, qu’il nous faut toujours construire dans les lieux de travail et dans l’espace public le rapport de force pour empêcher ce gouvernement de nuire à nos droits et en gagner de nouveaux. A commencer par un vrai statut du salarié permettant de toucher son salaire même en ayant perdu son emploi !

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