Culture.

PArce qu’on ne peut pas s’émanciper sans aile !


Occupé-e-s à changer le monde.

Il est difficile de parler d’un mouvement en cours, surtout quand il est malmené, nié ou incompris. Les “occupations de théâtre” sont multiples, plurielles et difficilement résumables. Elles regroupent des présences plus ou moins nombreuses, des acteurs-actrices issues de divers milieux. En ce début de mois de juin, qui voit une vraie fausse réouverture des lieux, certaines s’enracinent, d’autres touchent à leurs fins et tentent de se réinventer, toutes réfléchissent à la suite.

J’expliquai ici (enfin j’essayai…) les raisons de cette lutte et les revendications. On découvre dans les réponses du ministère qu’apparemment Roselyne Bachelot ne lit pas Cerises (nous ne sommes pas vraiment surpris) mais qu’elle semble avoir raté la totalité des communiqués des différentes occupations. Il faut dire qu’en demandant, dans leurs principales doléances, le retrait de la réforme de l’assurance chômage les occupant-e-s, issu-e-s majoritairement du secteur culturel, n’étaient pas là où le ministère et les médias les attendaient. Les syndicats d’employeurs du privé, des lieux “labellisés” ou “publics” (Syndeac, Snsp…) ont eu beau s’époumoner en répétant que l’enjeu était la réouverture, rien n’y a fait. Et par un miracle de la persévérance, d’abord au travers des médias locaux puis plus nettement au niveau national, le débat sur cette réforme inique des indemnités chômages semble reprendre de la vigueur. Les membres du gouvernement ne se pressent pas pour défendre l’indéfendable et certains verraient sans doute d’un bon œil un retrait forcé par la plainte unitaire des syndicats. Ces occupations de théâtre semblent donc nous emmener bien loin des planches mais plus près du plancher des vaches. Et pourtant…

Quel que soit à présent l’issue de cette lutte, il y a d’autres points admirables dans ces occupations. Elles sont comme un relai pris sur un mouvement plus souterrain et bien plus global. D’une occupation de place à celle d’un théâtre, l’indignation portée contre les injustices et le tragique d’un monde qui tombe semble la même. Il y a un fil rouge qui relie ces colères et semble dire : ce n’est plus possible, ce monde-là est invivable. La jeunesse des occupant-e-s, qui à présent auront bien du mal à reprendre “une vie normale”, témoigne de cette quête de sens qui traverse si fortement les dernières mobilisations (nuits debout, gilets jaunes, marches climat…).

Le monde du théâtre est, à vrai dire, un peu circonspect devant cette mobilisation. Même s’il y a autant de situations que de lieux, une conclusion semble s’imposer : ce qui bouge est profond, intime et politique. Durant des semaines, la raison même d’un théâtre populaire a été questionnée. Le sens de nos actes artistiques dans une société fracturée de toutes parts doit être remis sur l’établi de nos rêves. Les rencontres multiples entre activistes, responsables de lieux, précaires, jeunes artistes, sont aussi des graines pour demain et pour beaucoup il y a urgence afin que demain ne soit pas reporté à nouveau… Les semaines estivales seront pleines de surprises et sans doute les occupant-e-s sauront continuer à donner de la voix, une voie indocile pour dire notre quête d’humanité.

Laurent Eyraud-Chaume

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