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L’insurrection de Martinique 1870-1871

En Martinique, avant, et plus vivement encore pendant et après la grande gève du LKP,* associations, syndicats, mouvements, aux côtés d’universitaires font connaître l’Insurrection de 1871. De Fort-de-France à Paris, elle est absente des manuels scolaires.

Septembre1870, le gouverneur d’alors commentait la rébellion : « Des nègres ivres de rhum et de rage sèment la terreur dans les campagnes de Rivière-Pilote. Ils se reconnaissent entre eux à des lambeaux de tissu de couleur rouge, verte et noire ». Mépris, haine, peur du colonisateur et, en même temps, reconnaissance d’un mouvement d’ampleur. Les 3 couleurs qui affolérent le gouverneur auront une histoire, devenant l’emblème des combats de la souveraineté.

Trop peu connu à Fort-de-France, ignoré à Paris cet épisode concomitant à la Commune est restitué par Gilbert Pago. Il s’efforce d’éclairer les relations sociales raciales coloniales qui marquent ce territoire, 22 ans après l’abolition de l’esclavage. C’est aux Éditions Sylepse.

À Rivière Pilote, sud Martinique, tout finit par commencer le 22 septembre 1870. Le maire proclame solennellement la République devant ses administrés. La république proclamée à Paris le 4 septembre, n’est apprise en Martinique que le 19. Elle est accueillie à Rivière Pilote par les cris de « Vive la République ! À mort les blancs ! ».

La foule en colère, s’attaque à l’habitation[1] Codé du nom du propriétaire. On retrouve le corps mutilé le 24 septembre dans un champ de canne. Le gardien est tué, le bâtiment incendié. Ce n’est qu’un début, tout le sud-ouest de l’île s’embrase.

Quelle origine à ce mouvement ? Le 19 février 1870, le jeune Lubin, noir de 22 ans, à cheval, croise deux cavaliers blancs, Augier de Maintenon, aide-commissaire de la Marine, récemment arrivé de France et  Pellet de Lautrec. Le chemin est étroit, la règle coloniale voudrait que Lubin s’écarte, il refuse, ne salue pas les cavaliers blancs, contraints de sortir du chemin. Indignation colère, ils jettent Lubin à bas, le cravache violemment pour, disent-ils, « lui apprendre à respecter les blancs ». Lubin porte plainte auprès du procureur. Affaire classée sans suite…
Le jeune homme entend se venger, guette Augier de Maintenon sur le chemin de la messe, le 25 avril, le désarçonne, lui rend les coups de cravache qui le laisseront  trois semaines sans chevaucher
Lubin est arrêté, emprisonné, jugé le 19 août 1870 en cour d’assises. Il est condamné à 5 ans au bagne de Cayenne et 1500 francs de dommages-intérêts  «  pour coups et blessures avec préméditation et guet-apens  ». Lubin tente la cassation, le pourvoi est rejeté.

Cette condamnation révolte toute l’île qui pointe notamment l’un des jurés responsables de la condamnation, Cléo Codé monarchiste arborant un drapeau blanc sur son habitation, symbole pour la population noire, de retour à l’esclavage.

Ce 22 septembre et les cinq jours suivant, les insurgés organisent un camp de plusieurs centaines de personnes au morne Honoré. Parmi les « meneurs » le mulâtre et petit propriétaire Eugène Lacaille, le boucher noir Edgar. Il y a aussi une jeune couturière enceinte Luminale Sophie que l’on appelle « Surprise » et que Gilbert Pago décrit comme une figure de proue de l’insurrection. On dit qu’elle se serait distinguée s’écriant : « il ne faut rien épargner, le bon Dieu aurait une case sur la terre que je la brûlerais parce qu’il doit être un vieux béké ». L’insurrection gagne Fort-de-France, l’état de siège est déclaré dans 15 communes, les troupes composées de soldats de l’infanterie marine dûment armés, de gendarmes et de volontaires parviennent à inverser le rapport de force. La chasse à l’homme fait alors 500 prisonniers essentiellement ouvriers agricoles et  journaliers, 114 femmes. 35 habitations sont incendiées, elles sont propriétés de békés impliqués dans le procès ou bien, tel Cobé, qui manifestent publiquement leur volonté de retour à l’esclavage. Avec son millier d’insurgés, l’insurrection du Sud a été la plus importante depuis l’abolition de 1848. Les chapitres de Gilbert Pago consacré aux divers procès qui ont eu lieu dans l’année 1871 font émerger les figures des insurgés, paysans. Ils sont jeunes, majoritairement masculins, mais la présence et l’action féminines sont remarquables. Ces chapitres dessinent cette justice de classe et de caste pointant, par exemple, l’impudence des avocats des insurgés refusant de plaider pour « cette foule lâche… réfractaire à toute civilisation ». Gilbert Pago campe les figures de l’élite coloniale blanche patriarcale et raciste, épargnant quelque peu les femmes rebelles réputées incapables d’implication politique et qu’on espérait manipulables. Il y a aussi les pages consacrées à la fracture culturelle. Elles montrent qu’au cœur des rapports sociaux il y a la langue créole construite par les vagues successives d’esclaves déportés sur l’île. Elle est la seule langue parlée par les noirs qui ne sont pas à même d’intervenir en français durant le procès.

Alors, pour proximité de date, une Commune en terre coloniale ? La précision du travail de Gilbert Pago montre que l’insurrection de Martinique n’est pas directement liée à la Commune. Mais son travail permet de constater que bien qu’antérieure de six mois à l’insurrection parisienne, la levée martiniquaise est porteuse, comme le mouvement parisien, d’une réelle dynamique républicaine et révolutionnaire. On y voit par exemple le  « quimboiseur », le guérisseur Eugène Lacaille porter les mots d’ordre de partage des terres appartenant aux békés, de revalorisation des salaires dans les plantations. Ces revendications rassemblent, unissent les ouvriers agricoles, les petits planteurs qui seront le gros des forces actives de l’insurrection. De chapitre en chapitre  Gilbert Pago fait découvrir l’insurrection d’anciens esclaves et de colonisés se battant pour arracher de l’égalité sociale, pour briser l’ordre racial social et politique qui sitôt l’abolition de l’esclavage avait entrepris de préserver les dominations. Les républiques suivantes, toutes universalistes qu’elles se proclament, n’ont toujours pas répondu à cette aspiration.

Catherine Destom-Bottin

Sources 

L’insurrection de Martinique (1870-1871),Gilbert Pago, Paris, Éditions Syllepse, 2011, 154 p.

Quentin Deluermoz, Commune(s) 1870-1871. Une traversée des mondes au XIXe siècle, L’univers historique, Paris, Éditions du Seuil, 2020, 431p.


[1]          – Les habitations désignent les exploitations agricoles,  des colons d’autrefois, des békés d’aujourd’hui, sur lesquelles travaillaient les esclaves

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