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Faire des vaccins anti-Covid un bien commun nécessite de contester les fondements du système capitaliste

1-Pourquoi le gouvernement français, l’UE, les États Unis, l’OMC ne veulent pas céder sur la levée des brevets des vaccins anti-Covid alors que plus de 100 états le demandent, qu’un mouvement citoyen se développe, qu’une majorité de français.e.s y est favorable, et que la situation sanitaire redevient à nouveau alarmante ?

Lever les brevets remet en cause la propriété privée des entreprises, et donc le système capitaliste. Le brevet, acte officiel de propriété industrielle qui accorde un monopole d’exploitation au propriétaire pour 20 ans, a été appliqué aux médicaments à partir des années 70, la décision a été argumentée au nom des coûts importants des recherches en ce domaine. Les droits de propriété intellectuelle sur les médicaments n’ont cessé ensuite d’être renforcés. Le principe de licence obligatoire c’est-à-dire la possibilité d’utiliser un brevet sans le consentement du propriétaire est de plus en plus limité : mais il reste possible en particulier en cas de force majeure comme la pandémie.  Et pourtant, ni le gouvernement français, ni l’Union européenne n’ont décidé d’utiliser ce droit pour les vaccins anti-Covid.

Le brevetage fait des médicaments une marchandise, légitime et organise l’appropriation privée à but lucratif de la santé, aggrave les inégalités. Le directeur de l’OMS déclare ainsi que la situation actuelle devient grotesque en parlant des inégalités d’accès au vaccin dans le monde. Mais ce n’est pas une situation nouvelle. 85% des médicaments sont utilisés par seulement 15% de la population mondiale. 20 ans d’exclusivité, cela donne beaucoup de temps pour rentabiliser la production et alimenter les dividendes des actionnaires et aggraver les inégalités. La pandémie actuelle est un révélateur des effets catastrophiques du système capitaliste.

Les brevets sur les médicaments ont été le moyen de relancer l’accumulation financière des industries pharmaceutiques, notamment états-uniennes, quand les taux de profits ont commencé à baisser au tournant des années 90, avec la montée des investissements nécessaires, notamment dans les essais cliniques, l’épuisement des nouveautés, et la nécessité de débroussailler à grand prix de nouveaux secteurs, sans parler de la concurrence des industries japonaises. L’extension du domaine des brevets, le Bayh-Dole Act aux USA,  ( mais aussi la loi Allègre en France), qui autorise les institutions publiques réalisant des recherches financées par l’État fédéral US à prendre des brevets sur les inventions issues de cette recherche, l’entrée de la propriété́ intellectuelle dans les négociations de l’Uruguay round, qui débouchera, en 1994, sur l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), intégrant l’Accord sur les Aspects des Droits de Propriété́ Intellectuelle qui touchent au Commerce (ADPIC) sont les réponses à cette crise de rentabilité. Recherche sur fonds publics, start-up, capital-risque, puis rachat par les grands groupes sont devenus la norme dans la recherche, notamment dans le secteur des biotechnologies. Ces mesures, centrées autour des brevets, ont déclenché un nouveau cycle d’accumulation, avec une financiarisation accrue du secteur pharmaceutique. De 7 à 8% de rentabilité il y a 30 ans, les majors pharmaceutiques atteignent les 20-25% de rentabilité voire plus pour certaines (Gilead >45%). Dans le même temps leur budget de Recherche et Développement régressent pour atteindre péniblement les 15% du chiffre d’affaires contre 25 à 30% pour les dépenses de Marketing. On estime à 20000 euros par an et par médecin les sommes dépensées par l’industrie pharmaceutique en France.

En 2016 le chiffre d’affaires de l’industrie pharmaceutique mondiale s’est élevé à environ 1000 milliards d’euros, dont près de 40% ont été réalisés par 10 firmes de dimensions mondiales. Le taux de rentabilité aux alentours de 20% donne aux industries pharmaceutiques un pouvoir considérable dans le secteur économique.

En France une partie de la santé échappe au capital mais le processus de privatisation est en cours.  Stopper les brevets, contribuera à le freiner.

La 3eme vague menace les hôpitaux d’explosion.  Le gouvernement qui a du sang sur les mains -plusieurs dizaines de morts par jour pourraient être évitées si la production de vaccins était libérée – prend de nouvelles mesures de restriction des libertés publiques. Nous payons cher la servitude du gouvernement français et de l’Union Européenne aux exigences des capitalistes des Big Pharma. 

2-En supprimant les brevets, certain.e.s disent qu’on ne pourra plus financer les recherches. D’autres expliquent que s’il n’y a plus de compétition, il n’y a plus de moteur pour motiver les équipes de chercheurs. Et d’autres que le risque c’est d’ouvrir une brèche pour tous les brevets. Quelle alternative au système des brevets proposez-vous ?

Dans cette période dramatique que nous vivons, et dans ce contexte de mondialisation, nous pouvons retenir le formidable élan qu’a pris la recherche mondiale pour le séquençage du virus, preuve s’il en était besoin que l’urgence et la conscience de la part des équipes de recherche du monde entier de l’enjeu de santé publique peut être le moteur d’une coopération extraordinaire et efficace rendue possible par le partage des données.

Ce qui nous coûte cher, c’est la compétition et les actionnaires, nous pouvons réorienter ces financements dans la recherche d’autant que celle-ci se fait de moins en moins en interne (Sanofi licencie les chercheurs). Ce qui nous coûte cher aussi, c’est la façon dont on réoriente la recherche vers des projets rentables. L’abandon de la recherche fondamentale sur la famille des coronavirus nous a plongé dans l’incapacité à anticiper la pandémie.

Cela revient à poser la question de qui doit décider des choix de recherche et de production dans le secteur de la santé.  Il ne s’agit pas pour nous de s’en remettre à l’état. Une Conférence de santé, pourquoi pas sous l’égide de la sécurité Sociale, réunissant chercheurs, médecins, usagers, élus, syndicalistes pourrait régulièrement donner des priorités, orienter les recherches fondamentales et recherches appliquées.

Concernant la production de médicaments et de vaccins, nous proposons de réquisitionner les entreprises, et puisqu’il s’agit d’un bien commun, de les mettre sous contrôle public, ce qui ne veut pas dire seulement étatique, mais suppose une démocratie sociale qui doit associer les associations, usagers, salarié.e.s, syndicats et représentant.e.s d’une sécurité sociale renouvelée.

Il faut redéfinir les champs de la recherche, en fonction des besoins de santé publique, et pas en fonction des besoins solvables comme actuellement, casser la politique de flux tendus, et assurer la transparence sur le prix des médicaments. Il faut injecter de la démocratie dans le champ des industries pharmaceutiques.

La santé est un bien commun. Son financement assuré par la Sécurité Sociale en France ou par d’autres systèmes de protection sociale dans le monde, doit permettre un accès égal à toutes et tous aux soins. En 1945, la sécurité sociale en France a un rôle de régulation du prix du médicament. Ce n’est plus le cas. Elle assure la solvabilité du marché, elle devrait donc avoir le pourvoir de suspendre les brevets, et de contrôler les prix incluant le financement de la recherche.

Enfin, plutôt que de conditionner l’accès de toutes et tous aux vaccins anti-covid à un hypothétique accord au sein de l’OMC, il faut organiser à l’échelle mondiale le droit d’imposer des règles en matière de santé publique qui obligent l’économie à répondre aux besoins humains.

Sylvie Larue, Françoise Nay, Bruno Percebois, Frank Prouhet

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