Horizons d'émancipations.

Une série de dossiers. pour mieux (se) comprendre.

150ème anniversaire

Une histoire populaire de la Commune ?

En écrivant Une histoire populaire des États Unis Howard Zinn termine son livre ainsi : “Je veux qu’on se souvienne de moi comme quelqu’un qui a donné aux gens des sentiments d’espoir et de pouvoir qu’ils n’avaient pas avant”.

Cerises a pris sien le parti d’Howard Zinn et décidé de commémorer le 150ème anniversaire de la Commune de Paris en retenant, de ces semaines de soulèvement populaire, leur immense portée émancipatrice  et en s’interrogeant sur leur écho dans les luttes d’aujourd’hui.

Pour que vive l’esprit de la Commune dans les luttes d’aujourd’hui!

Oui, mais…

Ça branle dans le manche !

Les mauvais jours finiront.

Et gare à la revanche,

Quand tous les pauvres s’y mettront !

Jean-Baptiste Clément

Juin 1871


Les lumières de la Commune

Trop souvent l’anniversaire de la Commune de 1871 et les études qui lui sont consacrées se concentrent sur les massacres que les Communards ont subis plus que sur leur œuvre. En repensant à cette dernière, nous pouvons nous interroger sur ce que nous apporte cette expérience, d’autant que le peuple s’est fait déposséder de chacune de ses révolutions. Organisations syndicales, associatives politiques, gilets jaunes, féministes, antiracistes etc… ici et ailleurs dans le monde : qu’y a -t-il à tirer de l’histoire de la Commune qui renvoie à nos propres espoirs et aux limites que nous rencontrons ? Comme but ? Comme audace ? Comme méthode ? En quoi l’organisation collective est-elle interpellée tant dans les conceptions que dans la démarche?

Y a-t-il dans la vie sociale et politique récente et actuelle des éléments qui font de ces questions des objets d’actualité ? Peuvent-ils nourrir la réflexion de celles et ceux qui luttent contre la politique en cours ? N’y a-t-il pas là matière à construire une alternative qui dépasse le cadre des échéances électorales du système en place ? Ne peut-on pas penser aussi que la volonté de Macron de commémorer l’anniversaire de la Troisième République, celle née en écrasant la Commune, a un rapport avec ces questionnements ?

Nous avons invité les auteurs et autrices des articles du dossier à répondre à l’une des trois questions suivantes :

1- Pour vous, au-delà de la simple commémoration du passé existe-t-il des enseignements à tirer de la Commune ?

Pour Roger Martelli, Adèle Dorada, et Alexis Cukier,  la Commune est évidemment une expérience précieuse pour celles et ceux qui veulent radicalement changer la société. Le village de Mancey (Saône et Loire) nous dit comment des expérimentations à caractère autogestionnaire peuvent conduire à lever le voile qui est jeté sur l’esprit de la Commune.

2- Comment interprétez-vous le fait que l’historiographie même progressiste n’ait retenu de la Commune essentiellement que les massacres qu’elle a subis?

Pour répondre, Ludivine Bantigny, Quentin Deluermoz, Patrick Vassallo et Pierre Zarka interrogent le rapport au pouvoir, et à la démocratie.

3- En partant de vos préoccupations militantes actuelles y a-t-il quelque chose de la Commune qui vous frappe voire vous interpelle ?

Des luttes pour le droit au logement, aux luttes pour la santé en passant par les luttes féministes, Jean-Baptiste Eyraud, Marie-Claude Herboux et Christophe Prudhomme puisent dans l’expérience de la commune la conviction que les « gens d’en bas » peuvent s’auto-organiser.

Et pour clore le dossier, Catherine Destom-Bottin explore ce qu’a semé  la Commune dans les luttes anticoloniales à venir.

Enfin, les délicieux et notre rubrique culture sont entièrement consacrés à la Commune.

©Tardi pour les illustrations extraites du Cri du Peuple de Jacques Tardi

Bon anniversaire !

L’équipe de rédaction


Les possibles

Que la Commune vive encore !

L’histoire ne donne pas de leçon : elle est une réserve d’expériences et c’est bien assez. Celle de la Commune de Paris est particulièrement précieuse pour nous. Elle est en effet la première grande tentative émancipatrice de l’ère des révolutions industrielles, au moment où le monde ouvrier en expansion est en train de devenir le cœur de l’espace populaire. Dans des circonstances pour l’essentiel imprévues, la crise politique liée à une guerre perdue permet l’installation à Paris d’un pouvoir populaire inédit, autour des vieilles valeurs populaires d’égalité et de démocratie directe.

La Commune a été immédiatement l’objet d’interprétations multiples, souvent opposées. Le conflit de Marx et de Bakounine est resté le plus structurant. L’un et l’autre mettaient certes l’accent sur une même originalité de l’exemple communard : la remise en cause de l’État comme une instance oppressive et séparée de la société, ce qui rendait nécessaire son extinction radicale. Mais Marx considérait que cette extinction était une abstraction, si le démantèlement de l’État bourgeois ne s’accompagnait pas de la mise en place provisoire d’un État prolétarien « dictatorial ». Bakounine, au contraire, estimait que l’abolition devait être celle de l’État en général, et pas seulement celle de l’État bourgeois. Le premier laissait penser que le pouvoir communard n’avait pas été assez contraignant à l’égard des dominants ; le second suggérait qu’il n’avait pas été assez libertaire

Avec le recul historique, l’accumulation des travaux érudits et la longue séquence des révolutions du XXe siècle, on peut relativiser beaucoup des débats anciens. À qui veut bien la regarder attentivement, en haut comme en bas, la Commune s’avère rebelle à toute interprétation univoque. Il est difficile aujourd’hui de s’en tenir aux affirmations trop simples : « la Commune pensait que » ou « les communard.e.s disaient que ». Dans une situation incertaine, face aux contradictions épaisses du réel, la Commune ne pouvait être qu’un kaléidoscope.

Elle l’était d’autant plus que sa très courte existence en a fait, tout à la fois, une activité concrète et un champ de possibles, esquissés et non explorés. C’est pourquoi il est bon que se déploie la palette des regards possibles, des interprétations que l’on juge les plus stimulantes et des possibles que l’on choisit pour guider l’action aujourd’hui.

Mais pour que la Commune vive encore, il convient en même temps de valoriser ce que ses héritiers affirmés peuvent avoir de commun. Sans doute le maître mot est-il alors celui de l’émancipation. Par-delà la conscience de celles et ceux qui la conduisirent, la Commune a été une mise en mouvement collective, autour de l’idée qu’il n’y a pas d’égalité sans mise en commun, pas de liberté sans implication concrète de chaque individu, pas de peuple politique si le peuple concret des « subalternes » n’est pas à tout moment au centre de la délibération, de la décision et de la mise en œuvre.

Roger Martelli


La Commune : préparer l’imprévisible

La Commune de Paris a 150 ans et, pour honorer la mémoire de toutes celles et ceux qui moururent sous les fusils de Thiers, mieux vaut en tirer quelques enseignements que les pleurer. C’est ce que les Communard.e.s auraient préféré.

L’insurrection a été soudaine, elle a pris Thiers par surprise. Pourtant, tout ce qu’a pu faire la Commune était déjà en germe dans le mouvement ouvrier de l’époque, dans les idées et pratiques de ses militant·es parisien·nes. C’est cela, la grande leçon de la Commune. La construction patiente de nos organisations de classe, l’animation ardente de nos luttes du quotidien, sont plus que ce qu’elles nous semblent : elles sont les germes qui permettront aux insurrections du futur de renverser, pour de bon, l’ordre établi.

Ne compter que sur notre propre classe sociale

Le siège de Paris par les Prussiens, juste avant la Commune, revêt une importance particulière. Il a permis aux Parisien.ne.s de se rendre compte que le pouvoir était incapable de protéger le petit peuple, obligé de manger les rats pour survivre. Il lui a permis de se reconnaître les uns les autres, de ne compter que sur les solidarités au sein du peuple, d’apprendre à fonctionner ensemble. De renforcer une forme de « conscience de classe ».

Rendre le pouvoir aux travailleurs

La Commune fut un embryon d’organisation ouvrière de la vie. La Commission « Travail-Industrie-Echange » publia un décret sur les ateliers abandonnés. Il énonçait que les ateliers dont le patron avait fui Paris étaient remis entre les mains des travailleurs. C’est l’une des innovations majeures de la Commune. Maîtriser son outil de production, c’est détenir déjà un pouvoir. Les militant.e.s qui permirent cette avancée étaient des socialistes. Par leur organisation, notamment au sein de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT), ils s’étaient déjà frottés à la question de la propriété privée des moyens de production, et c’est pour cette raison qu’il leur sembla naturel de remettre les moyens de production aux mains des travailleurs.

Construire toujours

Il faut retenir de la Commune qu’elle fut imprévisible. Et pourtant, en si peu de temps, d’une part la Commune tient, mais même mieux ! des idées socialistes, anarchistes, qui certes existaient dans le monde ouvrier, mais n’étaient pas si répandues, deviennent le programme de la Commune. Cela, on le doit à la fois à cette période du siège de Paris avec l’organisation de la Garde nationale, du ravitaillement, les solidarités qui ont dû fatalement voir le jour. On le doit aussi aux décennies précédentes, avec l’organisation en associations ouvrières, la coordination au sein de l’AIT, la création des cantines ouvrières, la diffusion des idées… C’est pourquoi, pour se tenir prêt.e.s, il faut construire nos organisations pendant les petites luttes au boulot comme pendant les grandes grèves. C’est souvent difficile, comme pendant le confinement du printemps dernier où nombre de nos structures ont été éprouvées mais où nous avons persisté. Car c’est le fait de dire non, de s’opposer, et qui plus est collectivement, qui permet à chacun et chacune de sortir de l’aliénation et de combattre pour l’émancipation collective en même temps qu’il s’émancipe lui-même. Cette dialectique, du combat pour l’émancipation qui est lui même un outil d’émancipation en pratique est au cœur de la Commune.

Adèle Dorada, militante de l’Union communiste libertaire.


La possibilité de la révolution

©Julien Jaulin/hanslucas

Ce qui m’interpelle de la Commune de Paris – en ce moment où je participe, avec l’initiative « Rejoignons-nous pour construire un nouveau projet politique », à l’émergence d’une nouvelle organisation politique –  c’est avant tout la possibilité de la révolution.

Premièrement : même en des temps obscurs de guerres, de réactions et de catastrophes, et à certaines conditions que l’action militante peut contribuer à réunir, la révolution est possible.

Deuxièmement : pendant les 72 jours de la Commune, des choses qui paraissaient impossibles sont devenues réelles, en termes d’expérimentations, d’émancipations, d’inventions collectives pour s’autogouverner.

C’est ce qui se passe aujourd’hui au sein du formidable mouvement des paysans en Inde – contre les réformes de libéralisation que le gouvernement d’extrême-droite veut imposer – avec notamment ses assemblées générales populaires, les Panchayats et les Mahapanchayats. Certes, il n’y a pas de moment révolutionnaire sans pratiques émancipatrices antérieures, mais de celles-ci ne découlent aucun programme révolutionnaire à appliquer. Si, comme l’écrit Marx dans La Guerre civile en France, « la grande mesure sociale de la Commune, ce fut sa propre existence et son action », c’est parce que la Commune n’avait « pas d’utopies toutes faites à introduire par décret du peuple » et que sa fonction était plutôt de « libérer les éléments de la société nouvelle qui sont en gésine dans la vieille société bourgeoise en cours d’effondrement ».

Aujourd’hui comme avant la Commune de 1871, le foisonnement de luttes et initiatives d’auto-organisation populaire,  les éléments de la société nouvelle, sont bien là – et donc le communisme comme mouvement d’abolition de l’état actuel des choses est bien réel et les révolutions sont bien possibles.

Troisièmement : l’expérience de la Commune nous dit que, pour réaliser la possibilité de la révolution, participer à des luttes sociales ne suffit pas. Nous avons besoin d’outils d’autodéfense collective contre les nouveaux Thiers et tous les futurs Versaillais ; d’organisations politiques, issues d’alliances diverses, capables d’outiller les forces populaires et de former les éléments d’une culture révolutionnaire partagée ;  et de coordinations (comme l’Association Internationale des Travailleurs en son temps) visant à l’internationalisation des moments révolutionnaires. Enfin, la défaite de la Commune nous rappelle qu’aujourd’hui comme alors on ne peut contourner ces problèmes stratégiques : comment un peuple militant peut-il ne pas être écrasé par la répression contre-révolutionnaire ? comment un gouvernement populaire peut-il ne pas être défait par les armes monétaires de l’ennemi ? comment une pratique internationaliste peut-elle aider à l’autodéfense locale et à l’internationalisation de la révolution ? A l’heure où les menaces fascistes et les catastrophes écologiques se précisent, et qu’il devient donc de vitale nécessité que le camp de l’émancipation se réorganise pour être en capacité d’enclencher bientôt de nouveaux processus révolutionnaires, plus que jamais ces questions ouvertes par la Commune doivent orienter nos initiatives politiques.

Alexis Cukier


Une expérience citoyenne et la découverte de la Commune.

En 2016, des habitants de Mancey (400 habitants) ont pris l’initiative de créer un Conseil d’habitants (C.H). Nous voulions : « donner la parole à tous, débattre et construire des projets pour Mancey dans l’intérêt commun, être plus forts pour se faire entendre y compris au-delà du périmètre de la commune et de consolider les liens entre les habitants, développer l’esprit d’entraide.

Ce n’est pas une commission municipale limitée à une simple fonction de consultation. Le C.H est indépendant de tout pouvoir institutionnel et exerce une activité délibérative. »

Cela a conduit le C.H à organiser un travail collectif d’élaboration de projets pour que Mancey ne devienne pas une cité-dortoir. 180 participant. (Il y a 315 électeurs – 164 votants aux européennes). Depuis, d’autres se joignent à la mise en œuvre. Cela a poussé à ne plus s’appeler « Conseil » le mot pouvant donner le sentiment d’une structure fermée mais Assemblée des Habitants. (AdH) précisant ainsi qu’aucune structure ne doit se substituer à l’exercice du peuple lui-même.

Quel rapport avec la Commune ? Pour la plupart d’entre nous, aucun ou si peu. Cependant l’idée est partie de 9 habitants qui avaient participé à un Forum à l’initiative d’Ensemble 71 sur la critique du système représentatif et la quête d’une autre définition de la démocratie. Pour eux, la Commune ne se limite pas à une révolution défaite mais porte des valeurs et des aspirations toujours actuelles dont il est possible de s’inspirer. Au compte de ces valeurs, il y a que le peuple n’a pas besoin d’intermédiaire ni pour penser ni pour parler. La mise en cause de toute délégation de pouvoir devient un exercice concret- nous n’osons pas dire banal.

Si nous avons conscience de ne pas être – heureusement ! – le seul village à tenter cette expérience, nous nous sommes tout de suite écarté de tout modèle qui pouvait fonctionner comme une institution. De fil en aiguille, cela commence à générer une question : pourquoi n’en serait-il pas ainsi à des échelles territoriales plus larges ? La nécessité de conceptualiser d’avantage commence à poindre. Là encore découvrir au sens propre du terme ce qui a été occulté devient un sujet d’intérêt pour nombre croissant – même si cela reste encore limité. L’esprit des communards commence à devenir un référent.

Lors de la création du C.H, nous avions précisé : « Si ce type d’initiative n’est pas reconnu par la loi, les élus en tenant compte de ces réunions dans leurs délibérations officielles peuvent rendre légal ce qui ne l’est pas… » 

C’est ainsi que s’est trouvée posée la question de l’élection municipale. L’Assemblée des Habitants ne devait ni devenir une institution ni être instrumentalisée. Aussi la liste s’est constituée sur la base d’un programme unique : « Porter les choix exprimés régulièrement par les habitants ».

Des groupes de travail mixtes élus-habitants se constituent sur les projets élaborés par les habitants comme la création d’un lieu de ravitaillement fondé sur des circuits-courts ou le budget.

Si les attentes en matière d’exercice de la démocratie ont encore du mal à trouver les mots pour être formulées, elles sont bien là. Ne pas faire du passé un objet muséographique mais chercher ce qu’il y a de permanent. Pas d’une manière figée mais en donnant du sens à nos

actes. Cela fait de la découverte de ce qu’a été la Commune, à la surprise de beaucoup d’entre nous, un levier pour continuer.

Le groupe Comm de l’assemblée des Habitants.


Du pouvoir du peuple 

Se gouverner soi-même

La Commune est trop souvent réduite à sa fin tragique, noyée dans le sang lors d’un massacre épouvantable et inouï. Ce serait signe fatal de défaite : un écrasement inéluctable. Je choisis de ne pas la voir ainsi mais de la percevoir dans son incroyable force et dans sa consistance joyeuse, car il y eut là beaucoup de joie. Cette consistance va bien au-delà des mesures souvent citées : séparation de l’Église et de l’État, remise des loyers, réquisition de logements vacants et des ateliers abandonnés par leurs propriétaires… Il y a d’abord cette puissante confiance populaire dans sa propre légitimité : c’est essentiel et cela peut nous donner aujourd’hui encore la force nécessaire pour affirmer haut et fort cette légitimité. La chose politique n’appartient pas aux professionnels de la politique ; elle est un bien commun. Les femmes et les hommes qui ont fait la Commune avaient la certitude de pouvoir mener cette entreprise considérable : se gouverner soi-même, sans autorité supérieure, se débarrasser des tutelles et de la domination, s’émanciper.

Dans quelles conditions faire une révolution ? La fraternisation avec les forces de l’ordre, celles qui protègent l’ordre établi, est-elle nécessaire à la victoire révolutionnaire ? On ne fait pas l’histoire avec des « si » mais tout de même : si les soldats n’avaient pas mis crosse en l’air le 18 mars, la révolution aurait-elle pu se déployer ? Cela n’a rien de certain et impose de prendre cette question à bras-le-corps.

La Commune nous parle aussi de démocratie vraie. La préoccupation urgente a été d’organiser des élections, non pas de représentants déconnectés des réalités sociales, mais des délégués, proches, dans les quartiers, qui recevraient mandat de leurs pairs. Phénomène très rare dans l’histoire : les nouveaux élus étaient issus du peuple, ouvriers, employés, artisans, instituteurs, journalistes et artistes. Un pouvoir ouvrier et populaire s’est mis en place, preuve vivante que l’on peut prendre ses affaires en mains. Or, dans les pires conditions – celles de la guerre menée par Versailles contre la Commune et des morts se comptant d’emblée chaque jour par dizaines, elle a engagé des projets forts qui résonnent encore.

Le premier d’entre eux était de se débarrasser de la logique du capital et de son exploitation. C’est cet enjeu qu’il faut remettre au centre, sans imaginer pouvoir trouver des accommodements avec l’infernale machine capitaliste. Les communeuses et communeux ont tout fait pour organiser le travail d’une manière non capitaliste, par le partage, les coopératives de production, d’alimentation et de consommation, en esquissant une coordination de cette production par et dans l’activité démocratique. Leur élan invite à la politisation des existences ordinaires : clubs populaires où l’on discute et l’on agit, commissions de travail innervant les décisions à prendre… Face au rouleau-compresseur, retrouver l’intensité de la riposte passe par ces solidarités actives et la puissance des assemblées où l’on puisse décider ensemble, sans considération de rentabilité et de profit, de ce qu’on produit, de ce dont on a besoin et de nos vies.

Ludivine Bantigny


L’anniversaire de la Commune et nous

La Commune est un des moments majeurs de notre Histoire le plus mal connu. Ce n’est pas un hasard. L’Histoire est d’abord transmise par les dominants. Nous devons à César le concept de Gaule, inventé afin d’obtenir les crédits militaires pour son coup d’État. La Commune nous est relatée par la République bourgeoise fondée contre l’idée de Révolution. Même des contemporains dont le caractère progressiste est indéniable comme Hugo ou Michelet n’ont été sensibilisés par le sort de la Commune qu’au moment des massacres. La peur de « la populace » l’emportait. Ces mêmes réalités qui dérangent sont celles dont nous avons besoin aujourd’hui. Ne confondons pas : la Commune n’a pas échoué, elle a été écrasée dans le sang tant elle a fait peur au capital.

L’irruption du peuple et le refus du « presque ».

Face à Napoléon III et aux monarchistes, un courant républicain se développe (Gambetta Arago, Jules Ferry…) mais c’est un républicanisme qui annonce la République bourgeoise. La Commune ce fut la capacité à discerner ce que devait vraiment être la démocratie et le social. Au point que des commentateurs du moment ont évoqué « l’assaut du ciel ». Oser bousculer, oser vouloir voilà qui est bon à s’en souvenir dans un moment où tant de politiques, de syndicats, de mouvements, au nom du réalisme, n’osent pas franchir la frontière qui nous bouche toute vision du post-capitalisme.

Démocratie et social c’est aussi la volonté d’être pris en compte comme personnage central pour le devenir du pays. Volonté qui conduit à faire par soi-même avec ses semblables. D’où une tension au sein même de la Commune entre des logiques d’appareil qui voulaient avoir le contrôle sur le mouvement du peuple, l’institutionnalisation de ses rassemblements et ce dernier en quête de ce que l’on pourrait désigner – à l’aide d’un anachronisme- d’une voie autogestionnaire : Association volontaire des initiatives locales, élection tous les 15 jours des directions d’entreprises…L’esprit universaliste a fait de la Commune un lieu de sociabilité populaire intégrant les étrangers présents comme Léo Frankel et le général Dombrowski. Dommage d’avoir ignoré les peuples colonisés.

A propos du système représentatif

Pour Marx le grand acquis de la Commune est « d’avoir démontré qu’il ne servait à rien au prolétariat de vouloir conquérir le pouvoir d’État pour le mettre à son service mais qu’il fallait inventer autre chose ».  Thème développé déjà 20 ans avant à propos du coup d’état de Napoléon III.

Et nous, cherchons-nous les solutions dans le cadre établi par les pouvoirs institutionnels fondés sur la délégation de confiance et de pouvoirs ou commençons-nous à penser et agir en dehors de ce cadre ?  Cette mise en cause de la délégation de pouvoirs ne concerne-t-elle que l’État ou touche-telle aussi à la conception de toute organisation aujourd’hui ? Ouvrir un tel chantier est à la fois urgent et-ne le cachons pas- une mise en cause de notre culture.

Il est courant de lier la Commune à la capitulation devant Bismarck. C’est factuellement vrai mais réducteur. Nombre de ses aspects coopératifs, associatifs, sont en mûrissement depuis 1851 dans le prolongement de 1848 et la résurgence de la mémoire de 1793. Peut-être que nous, nous ne sommes pas devant un vide mais nous pouvons chercher où se cache ce qui est « déjà » dans le mental ?

Pierre Zarka


Une nouvelle manière de voir La Commune ?

Comment interprétez-vous le fait que l’historiographie même progressiste n’ait retenu de la Commune essentiellement que les massacres qu’elle a subis ? 

Il y a deux manières de répondre, en tant qu’historien, à la question. D’abord en constatant que tout de suite après l’évènement, entre le massacre et les incendies – ces derniers choquèrent d’ailleurs plus la presse conservatrice et modérée – la « semaine sanglante » efface littéralement, en effet, l’expérience communale. Cela tient aux logiques de cristallisation des discours médiatiques et des représentations sociales d’après-guerre civile : la presse campe des communards ivrognes, fous, étrangers, criminels (le pire étant la description des femmes avec la figure des pétroleuses.) La politique de censure n’y est pas pour rien. La circulation des reproductions de la Commune est interdite, sauf, pour les photos, à des fins d’identification. Face à cela, les rares soutiens de la Commune répondent à ces descriptions, tandis que la déportation et l’exil repousse la prise de parole des principaux intéressés à l’amnistie, malgré les publications de B. Malon (1871) et P-O Lissagaray (1876). A quoi s’ajoute la difficulté à analyser l’expérience communale de mars à mai, multiforme, même si l’interprétation de loin et à chaud de Marx dans la guerre civile en France fait preuve d’une volonté de comprendre. La Commune se fige ainsi dans un flot de stéréotype et sa perception connaît un vide de plusieurs années avant qu’on ne puisse à nouveau parler d’elle dans les années 1880, dans un autre contexte. Et à ce moment, la semaine sanglante focalise bien l’attention.

Ceci dit, les travaux d’histoire, de sociologie ou de philosophie, progressistes ou non, qui ne se sont pas arrêtés aux massacres sont légions. Les analyses marxistes ou inspirées du marxisme ont tôt cherché les traces d’un gouvernement ouvrier et socialiste, elles ont pensé voir dans la Première internationale une possible avant-garde, ou ont été déçues finalement par ce qui semblait être un « brouillon » idéologique. Dans les années 1960-1970 plusieurs sociologues de tendances libertaires ont étudié de près la Commune à travers ses affiches et des proclamations, à l’instar d’Henri Lefebvre dans sa Proclamation de la Commune (1965). Plus récemment, un philosophe comme Miguel Abensour l’a analysé avec pertinence comme une forme de « démocratie insurgeante » Côté historien, les travaux de J. Rougerie, R. Tombs plus récemment de L. Godineau, J.L Robert ou J. Merriman ont mobilisés d’autres sources. Plutôt que de brouillon, arguent-ils il faut voir dans la Commune l’expression des riches socialismes et républicanisme du 19e siècle, notamment cette « république démocratie et sociale » issue de 1848. Par le relais de l’association, elle doit permettre de transformer ensemble les rapports politiques et les relations économiques et sociales. Son but, rappelle une fameuse affiche du 19 avril 1871 est « d’universaliser le pouvoir et la propriété ». Cette pensée s’est ajustée à l’évènement. Et si les réalisations ont été minces, du fait des désaccords mais aussi des conditions d’un nouveau siège des traces de réalisations concrètes s’observent dans les quartiers les plus mobilisés. En ce sens, ce n’est pas tant l’image des massacres qui fait obstacle à notre compréhension que notre difficulté à retrouver le sens particulier donné à la « République » et la « démocratie » par les parisiens insurgés. Peut-être les évolutions récentes de notre rapport au politique nous rendent-elles, aujourd’hui, davantage sensible à cette manière de voir.

Quentin Deluermoz


La commune : ce mouvement qui n’est pas mort …

On aura depuis 150 ans beaucoup glorifié une représentation héroïque, sanglante parfois, et peut-être un peu mythique aux images les plus spectaculaires sans pour autant accorder toute l’attention utile aux dynamiques, aux mesures prises, aux façons de faire des communard.e.s. Pas sûr que la célébration prévue par Anne Hidalgo, à Paris, échappe à ce constat…

Le retour dans le débat public, militant certes, du communalisme et du municipalisme après la démocratie « participative » ou directe, lève pourtant un écho à une pratique politique de la Commune, que ses premiers pas balbutiants n’ont pourtant pas empêché d’y réfléchir. La tension dans le mouvement ouvrier naissant a plutôt enrichi une discussion vive et polémique, mais au final positive, sur la centralité des conseils ouvriers, l’articulation et la convergence entre arrondissements, la place des clubs ouvriers et cercles prolétariens. Relancé dans les années 60, cette controverse pratique au sein du mouvement ouvrier trouve aujourd’hui une rude actualité. (Mais qui se rappelle la Commune de Shanghai en février 1967 ?). Après Barcelone et quelques villes espagnoles, après des expériences prometteuses en Amérique latine, quelques centaines de listes citoyennes se présentent en France lors des municipales de 2020. Nombre d’entre elles portent une véritable démarche novatrice, en rupture avec la délégation de pouvoir usuelle. Le mouvement revendicatif après Mai 68 a vu émerger dans les années 80 des coordinations porteuses du pouvoir des assemblées générales sans qui infirmières, cheminots ou agents des Finances n’auraient pu mener leur grève revendicative au niveau qu’elle a connu.

Les gilets jaunes comme bien des mouvements « zadistes » ou s’opposant aux violences policières et aux menées anti-jeunes, insèrent dans une société fragmentée, aux autorités délégitimées, un regain de pouvoir d’agir. Pouvoir de faire que des mouvements tant urbains qu’en pays ruraux, tentent de promouvoir et faire vivre ; un grand nombre d’actions de quartier, de soutien alimentaire, en sont issues.

Aucune commémoration de la Commune de 1971 n’aurait de sens aujourd’hui si elle ne stimule pas notre curiosité, notre audace, à créer du neuf, à partir des besoins des plus précarisés, isolés, défavorisés, dans une démarche où le collectif et l’impertinence l’emportant sur le conformisme et le chacun-pour-soi.

Rien ne serait plus stérile et manipulateur que de restreindre « la Commune » aux images d’Épinal que la classe dominante et la gauche bien-pensante s’évertuent à entretenir.

« Mais la Commune est comme un poème : elle engendre un sens qu’elle ne contient pas tout entier un sens qui la dépasse, mais qui n’existerait pas sans elle. Tout vient peut-être de ce que la Commune est plus durable qu’elle n’a duré, de sorte que sa lumière voyage encore, bien que son étoile ait fini « d’exploser ». Cet exergue tiré du dictionnaire de la Commune de Bernard Noël dit combien l’air du temps des cerises porte une mélodie que Cerises la coopérative égraine ici au fil des pages et des numéros.

Patrick Vassallo


Échos dans les luttes d’aujourd’hui

Quand la Commune exonère le paiement de 9 mois de loyers et réquisitionne ! 

Le 29 mars 1871,  « considérant que le travail, l’industrie et le commerce ont supporté toutes les charges de la guerre, qu’il est juste que la propriété fasse sa part de sacrifice [1]», la Commune décrète notamment, l’exonération des 3 termes d’octobre, janvier et avril, soit 9 mois de loyer, y compris pour les garnis (chambres meublées) et la prorogation des baux de 3 mois.

Puis le 25 avril, elle décrète la réquisition des logements vacants pour loger les victimes des bombardements par les troupes de Thiers.

Elle n’ira pas au-delà, bien que certains réclament l’installation de familles ouvrières dans des logements de bourgeois ayant fui Paris.

Ces deux décisions viennent après de vifs débats engagés dès l’entrée en guerre, car les loyers sont chers. Le baron Haussmann a commencé depuis 15 ans des saignées de la largeur d’un régiment, pour mieux canonner les révoltes dans les quartiers populaires ; il a lancé la première grande opération d’épuration sociale.

Les bourgeois et les banques investissent dans « la propriété bâtie », tandis que les classes populaires s’entassent dans des gourbis, des cabanes, des quartiers miséreux et insalubres, à la merci du choléra et de la typhoïde.

Si une poignée détenant le patrimoine immobilier et foncier s’enrichit à tour de bras, la majorité écrasante des parisiens est locataire et a vu les loyers flamber de près de 80% sous le second empire, contre environ 30% pour les salaires ouvriers.

Malgré le siège Prussien, qui a tari les revenus ouvriers et commerciaux, des bailleurs lancent des procédures d’expulsion. Un premier délai de 3 mois au paiement du terme d’octobre[2] est instauré le 9 octobre 1870 et renouvelé le 3 janvier par le gouvernement. Malgré les soutiens de Mr Vautour, les débats s’aiguisent dans la presse, les comités et les clubs parisiens ; Georges Duchêne dans le journal Le Combat du 21 sept. : … « l’industrie ferme ses ateliers ; le commerce perd 50% du chiffre de ses affaires … ; le travail est à bas, et la propriété bâtie n’abandonnerait pas un sou de sa rente ? », il demande l’exonération du terme d’octobre.

Le 21 avril, l’assemblée versaillaise, d’ailleurs contre l’avis des radicaux de la propriété bâtie, mettra en place dans chaque arrondissement et canton de banlieue, un tribunal arbitral, composé d’un magistrat, 2 bailleurs et 2 locataires. Celui-ci pourra accorder des délais et des réductions pendant 2 ans, indemnisées en partie par l’État.

Les mesures d’exonération prises par la Commune de Paris sont très populaires, et les versaillais ne peuvent envisager comme l’indique le journal  « Le père Duchêne » de mettre à la rue tous les locataires, soit 95% des parisiens :

 « Et bien ! la propriété s’y prendra comme elle le voudra, on ne met pas à la porte dix-neuf cent mille hommes … on ne brise pas l’existence de dix-neuf cent mille hommes. Qu’on essaie si on l’ose ! » 

La Commune a ainsi commencé à poser la revendication du droit à un logement abordable et contraint les tenants inconditionnels du droit de propriété à faire quelques concessions. Mais 150 ans plus tard, la rente locative est à nouveau au sommet, et la crise sanitaire ne l’effleure qu’à la marge; elle est protégée non plus à Versailles mais à l’Élysée :  Exonération des loyers impayés de la COVID !

Jean Baptiste EYRAUD – Droit Au Logement

[1]          Les citations sont extraites de l’excellent ouvrage de référence « propriétaires et locataires – 1850-1914 » de Roger-Henri Guerrand – Chez Quintette – mars 1987

[2]          Les loyers sont payés au début de chaque trimestre pour les 3 mois passés. C’est le paiement à terme échu.


Les communardes, féministes avant le mot !

Bien sûr, les femmes ont participé aux périodes révolutionnaires, 1789, 1830, 1848 et ont mis en avant des revendications de citoyenneté et d’égalité mais leur engagement dans la Commune est particulièrement spectaculaire et fondateur des questions qui se posent encore à nous, militantes et militants aujourd’hui.

Organisation et émancipation

On connaît la situation de soumission à laquelle l’Empire réduisait les femmes. Dans leur adhésion à la Commune, les femmes ne se trompent pas, elles sont prêtes, nombreuses, déterminées et c’est en conscience qu’elles participent en masse aux luttes de la Commune. Très vite les communardes décident de s’organiser politiquement de manière autonome. Le 11 avril 1871 est créée « L’Union des femmes » qui lance un appel aux citoyennes de Paris : « Citoyennes, l’heure décisive est arrivée, que c’en soit fait du vieux monde ! nous voulons être libres ». Des comités sont créés dans chaque arrondissement, tous présidés par des femmes. Les femmes sont à l’avant-garde de l’action éducative « créer des écoles pour préparer des citoyennes et non des sujettes » (André Léo) et culturelle de la Commune, mise en place d’écoles professionnelles pour les filles, création de crèches populaires mais aussi comités de vigilance… Dans le même temps, dès le 18 mars, elles se mobilisent dans les combats, cantinières, ambulancières, soldats… Elles réclament et obtiennent des armes. Sous la Commune l’action des femmes a toujours été concertée, réfléchie, organisée. « L’Union des femmes » tant par ses propositions que par ses actions a eu une influence énorme et prépondérante dans le rôle de la Commune : en 72 jours la Commune prend près de 250 arrêtés et décrets en faveur du peuple parant à l’urgence mais dessinant aussi un avenir égalitaire. « L’Union des femmes » est le laboratoire social de la Commune.

Émancipation du peuple et émancipation des femmes 

Dès le début de la Commune, les femmes qui souffrent de conditions très dures sont à l’avant-garde de l’insurrection. Elles appartiennent pour la majorité à la classe ouvrière et luttent pour une république démocratique qui mettrait fin à l’exploitation de toutes et de tous. Les revendications portées par les femmes visent à la fois le renversement du système capitaliste et la fin de leur infériorité. Pour elles, la défense de la Commune c’est aussi la lutte pour les droits des femmes. « Si l’égalité entre les deux sexes était reconnue, ce serait une fameuse brèche dans la bêtise humaine » (Louise Michel). Dans les clubs, il est question de tout : des conditions de travail comme de la prostitution ; pendant cette période d’utopie, la distinction de sexe est remise en cause, étant vécue comme un besoin par les classes dirigeantes.

De nombreuses mesures vont dans ce sens : début d‘égalité salariale, union libre, interdiction de la prostitution…

Si elles ne sont ni électrices, ni éligibles, elles ont vécu une démocratie active où la citoyenneté ne se réduit pas à un bulletin de vote.

Marie-Claude Herboux


Commun, commune… comme un espoir…

photo Albert Facelly

La pandémie liée au coronavirus a brutalement impacté le fonctionnement de l’hôpital lors de la première vague en mars et avril 2020. L’ensemble des personnels hospitaliers, de l’aide-soignante, à l’ouvrier et jusqu’au médecin ont expérimenté un autre mode de fonctionnement qui s’est avéré très efficace. Les femmes et les hommes de terrain ont élaboré ensemble, dans l’urgence, d’autres modes d’organisation et de travail pour répondre à une situation nouvelle particulièrement critique. Il s’est agi d’une forme d’autogestion, où ceux qui sont au plus près des besoins les formalisent et demandent à ceux qui s’occupent de l’intendance, les directions des établissements, les ARS et l’État, de leur fournir les moyens pour y répondre.

Le constat est sans appel. L’efficacité a été au rendez-vous avec une capacité d’adaptation au jour le jour d’augmenter les capacités d’hospitalisation, notamment en réanimation, dans un contexte de pénurie de personnels et de matériel qui constituaient un véritable handicap. Mais ce dernier a pu être compensé car l’inventivité, l’adaptabilité et surtout un engagement sans faille a permis de franchir des obstacles que certains jugeaient insurmontables.

Le moteur a été la solidarité dans un mode de fonctionnement abolissant la gestion verticale et autorisant la mise en commun des compétences pour atteindre des objectifs élaborés en concertation et acceptés par tous.

Malheureusement dès le mois de mai, la technostructure médico-administrative a repris le pouvoir et nous sommes revenus au fameux « monde d’avant ». Ce retour en arrière est une des causes de la crise que nous connaissons aujourd’hui alors que le nombre de malades hospitalisés n’a rien de catastrophique. En effet, en un mois au printemps, nous sommes passés de 5 000 lits de réanimation à près de 11 000 dont 7 500 occupés par des malades atteints de la COVID-19. Nous avons aujourd’hui environ 3 500 malades hospitalisés en réanimation et l’hôpital est saturé. La raison en est simple, nous en sommes revenus à la jauge initiale de 5 000 lits, jugée insuffisante à l’issue de la première vague, mais, depuis, aucun lit supplémentaire n’a été armé avec du matériel et du personnel supplémentaires.

Le retour du pouvoir dans les mêmes mains explique cette situation. Les personnels qui ont rempli leur mission en mettant en commun leurs compétences, leur énergie et leur volonté, ont voulu légitimement profiter d’un temps de repos – tout relatif – bien mérité, tout en espérant que l’expérience vécue permette de construire un « autre monde d’après ». Ce relâchement a permis la reprise en main du pouvoir par ceux qui ont été initialement défaillants.

Le retour en arrière sur l’expérience de la Commune nous permet d’établir un parallèle avec ce que nous vivons actuellement. En 1870, la guerre perdue contre les Prussiens, ici l’incurie de nos gouvernants face à la pandémie, a permis de montrer que le peuple, ceux que certains appellent « les gens d’en bas », était capable d’organiser un mode de « gouvernement » efficace dans l’intérêt du collectif en pensant au commun et non aux intérêts de la ploutocratie qui, malgré les crises, a cette capacité de se reprendre le pouvoir qu’elle semble avoir parfois lâché temporairement. Mais aujourd’hui l’histoire n’est pas finie et l’expérience récente alimente les luttes qui se poursuivent car l’espoir de la possibilité de changements reste présent chez les hospitaliers.

Dr Christophe Prudhomme

Médecin urgentiste, syndicaliste


De la Commune à l’anticolonialisme

Il est erroné de chercher dans les actes de la Commune un positionnement anticolonialiste. En premier lieu pour des raisons chronologiques. Le premier espace colonial français est à peu près dilapidé par l’épisode napoléonien premier du nom. Le second empire colonial constitué en1830 avec la conquête de l’Algérie, qui s’est emparé de régions d’Afrique d’Asie d’Océanie devient le deuxième plus vaste empire du monde. La France de la IIIe République est présente sur tous les continents. Cet empire est à son apogée de 1919 à 1939, recouvre 1/10 de la surface de la terre, avec110 millions d’habitants à la veille de la seconde guerre mondiale soit 5 % de la population mondiale de l’époque.

Dans ce contexte, le mot colonialisme n’apparaît qu’en 1895, n’entre au Larousse qu’en 1931. Au long de son histoire, la IIIe République trouve sa légitimité coloniale dans le substrat de l’identité nationale républicaine. L’épopée coloniale se mène au nom des valeurs universalistes et des droits de l’homme. La République apporte la lumière et parce qu’elle revendique depuis 1789 l’égalité des hommes, elle a encore plus que d’autres le droit de coloniser le monde… C’est si vrai que la France sera en guerre de nature coloniale de 1856 jusqu’à 1962. C’est une guerre coloniale qui fera chuter la IVe République. Interroger la Commune quant au moment colonial n’a pas de sens quoi que…

La commune est morte. 4500 communards sont déportés en Nouvelle-Calédonie. Parmi eux 25 femmes. Parmi elles Louise Michel. Après deux ans de détention elle est envoyée en Nouvelle-Calédonie, à bord du Virginie en août 1873 ; la presqu’île Ducos.

Louise Michel débarque probablement porteuse en partie des violents stéréotypes dont est l’objet le peuple kanak considéré à Paris comme le peuple le plus bas de l’échelle de l’humanité.

Les déportés confrontés à une situation très brutale croiseront, dans un camp à part, les déportés algériens relégués pour la résistance qu’ils ont opposée à la colonisation et à l’accaparement de leur terre. Les historiens ont mis en évidence des interactions conséquentes avec les déportés algériens, quasi inexistantes avec les Kanaks. Souvent lettrés, les communards ont lu les anthropologues de l’époque qui présentent les Kanaks comme des spécimens quasi parfaits d’hommes préhistoriques. Ainsi Louise Michel, pourtant plus curieuses que d’autres de la culture kanak, parle de « bardes noirs chantant l’épopée de l’âge de pierre ».

Les Kanaks, qui ne se résignent pas à l’occupation française, multiplient les attaques dès l’annexion, formant une redoutable menace pour les colons. Les déportés s’identifient majoritairement aux colons endossant leur position d’assiégés. On doit par exemple au géographe Eugène Court Ambert en 1873 la solution suivante : « l’installation en Nouvelle-Calédonie ne rencontre qu’un obstacle : ce sont les indigènes… mais il est prouvé que leur nombre diminue dans une proportion des plus rassurantes et qu’à la fin du siècle on montrera dans les foires les derniers survivants des Kanaks ».

Le rythme de dépossession des terres s’emballe, les 25 et 26 juin 1878 les clans Kanaks de la Foa et Boulouparisse Sally, massacrent une centaine de colons, abattent le bétail, incendient les cultures.

Pour sa part le communard Jean Allemane plaint les femmes et enfants « livrés aux passions bestiales de ces cannibales ». Le stéréotype fonctionne, communards et insurgés algériens se sont massivement alliés aux forces de l’ordre françaises pour écraser les Kanaks.

Louise Michel, probablement seule, choisit le camp des Kanaks. Dans ses mémoires elle se désole : « l’insurrection kanak fut noyée dans le sang, les tribus rebelles décimées, elles sont en train de s’éteindre sans que la colonie en soit plus prospère. »

Les travaux historiens indiquent que Louise Michel, commençant à développer ses idées d’opposition à l’appropriation de la Nouvelle-Calédonie et à la terreur imposée aux populations Kanaks, a aussi témoigné de la destruction organisée de la culture kanake et elle dit très tôt la conscience qu’elle a de sa possible disparition.

L’historienne Carolyn Eichner souligne le lien qu’on peut faire entre le comportement en Nouvelle-Calédonie de Louise Michel et son engagement féministe : « C’était sans doute principalement lié à l’idée, même si elle ne formule pas les choses de cette façon, du droit des individus à se déterminer eux-mêmes et à sa conception de la liberté humaine. Il y a du féminisme dans sa manière de dénoncer l’oppression des Français sur les Kanak qu’ils perçoivent alors comme leur propriété. »

L’engagement féministe anarchiste de Louise Michèle, est probablement une expérience féconde de combats contre les dominations, de classe ou non.

Catherine Destom Bottin

Sources :

  • Kanaks et déportés, le rendez-vous manqué
  • Louise Michel et les Kanaks: amorce d’une réflexion anti-impérialiste
  • Lucie Delaporte Médiapart 22 et 23 août 2018
  • Civilisation vs solidarity : Louise Michel and the kanaks Carolyn Eichner, Salvage
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