Culture.

PArce qu’on ne peut pas s’émanciper sans aile !


Danser ensemble

Étrange sensation de découvrir ce merveilleux documentaire, “Le grand bal”, en Janvier 2021. Il devient comme un message du passé pour nous dire “tenez bon !”. La réalisatrice, Laëtitia Carton, y livre une déclaration d’amour au “bal trad”, une déclaration sensible et philosophique.

Elle place ses caméras au bord des parquets de danse des “Grands bals de l’Europe”, à Gennetines dans l’Allier. Durant 7 jours et 8 nuits, se retrouvent ici, chaque année depuis 30 ans, 2000 personnes et 500 musicien-ne-s. Du matin au petit matin, le seul projet, simple, enfantin : danser !

L’œil de la réalisatrice est embarqué au cœur de la valse et personne ne semble remarquer sa présence. Et c’est presque une douleur nostalgique qui nous étreint à observer les images de ces corps qui se touchent, ces regards inconnus qui partagent rire et sourire. Tout cela semble tellement loin de nos gestes barrières, nos distances sociales, nos masques et nos peurs d’aujourd’hui. Ces mouvements ancestraux, savoir mener un cercle circassien, danser une polka, traverser une mazurka, apparaissent comme inaccessibles, incongrus, illégaux.

On observe, on écoute. Paroles volées entre deux danses, discussion sur les choix de partenaires, sur les hommes qui demandent à présent à leurs cavalières si elles souhaitent mener. Le film excelle dans l’art délicat de rendre hommage sans oublier le fragile, le complexe et parfois la tristesse de rester au bord du parquet. On épie les gestes d’un quotidien étrange, d’ateliers en siestes, de repas en ivresses, tout tourne autour de la danse et de ce qu’elle nous offre : danser avec un-e inconnu-e. Tout cela devient vite irréel à nos yeux fatigués de ce début d’année 2021.

Ce documentaire est un message involontaire à nos questionnements intimes du moment. La pulsation d’un groupe rassemblé, la fièvre qui traverse ces corps délivrés, la délicatesse qu’il faut pour construire une rencontre charnelle le temps d’une danse, c’est un croquis délicat de notre part d’humanité. Danser ensemble est un acte civilisé et précieux. Cela demande une écoute, une douceur dans l’échange, cela exige aussi un apprentissage, une rigueur qui se mêle à un lâcher-prise.

Être vivant c’est sans doute d’abord savoir danser ensemble. On pourrait bien-entendu dire jouer ensemble, manger ensemble, lutter ensemble… Ici c’est la danse qui mène le bal d’une humanité exemplaire. La danse prouve que la vie vaut d’être vécue et protégée. Les beaux jours reviendront et ils méritent que nous nous battions pour eux. Ces mois de combat contre la pandémie éprouvent ce qu’il y a de profond chez les humains : notre désir de rencontres, notre soif d’imprévus… Combien de fois avons-nous entendu depuis le mois de mars 2020 : “Ce n’est pas une vie !”. Cette crise doit nous permettre de réinventer des priorités, des urgences. Nous devons faire des choix joyeux et jubilatoires qui permettent à chacun d’éprouver sa part d’humanité. Vivement demain que nous puissions enfin danser ensemble ! Dans un “Grand Bal” par exemple ?

Laurent Eyraud-Chaume

LE GRAND BAL de Laëtitia Carton (2018 – 86’)

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