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Pas d’écologie sans autogestion et socialisation du revenu

Construire le monde d’après dans les luttes, ne pas laisser l’initiative aux seules forces du capital, Cerises avait proposé en septembre à plusieurs syndicalistes ainsi qu’à une jeune étudiante d’en débattre à la veille de la journée d’action interprofessionnelle du 17 septembre. Benoit Borrits poursuit le débat et  livre ici une proposition d’urgence qui ouvre d’autres possibles.

La table ronde du dossier de Cerises de septembre est révélatrice du moment que nous vivons. Du fait de la baisse de la croissance, accentuée par la crise du covid-19, nous faisons face à un capitalisme qui exige toujours plus de reculs sociaux. Dans le même temps, l’urgence écologique impose de supprimer ou de réduire certaines productions et, à l’inverse, d’en favoriser d’autres, sans exclure que la résultante de ces mesures soit une réduction globale de la production. Face à cette situation, les salarié.es ne peuvent qu’être inquiets de ces perspectives, car elle ouvre, pour beaucoup, le chômage, la précarité et l’exclusion. On ne peut donc répondre à ces enjeux qu’en mettant un terme définitif à ces maux qui rongent notre société depuis des décennies et détruisent notre cohésion sociale. Comment ?

Toute personne valide et en âge de participer à la valeur ajoutée devrait avoir à sa disposition un vaste choix de postes de travail, ce qui n’est pas le cas actuellement. Il faut aussi que les revenus issus de ce travail soient correctement estimés, ce qui suppose un niveau au moins égal au Smic, lequel mériterait d’être réévalué (le Plan de sortie de crise signé par 20 organisations syndicales et associatives parle d’un niveau de 1700 euros nets en lieu et place des 1200 euros actuels). Afin de ne pas augmenter drastiquement le volume de la production, ce qui poserait des problèmes écologiques supplémentaires, il faudra simultanément baisser la durée légale du temps de travail (ce même plan de sortie de crise proposait une baisse du temps de travail de 35 à 32 heures sans perte de salaire). Une telle baisse du temps de travail peut aussi se penser à l’échelle hebdomadaire, annuelle, voire décennale avec des périodes chômées ou avancement de l’âge de la retraite autorisée.

Pour faire ceci, un gouvernement progressiste devra établir un nouveau régime de sécurité sociale qui prélèvera un pourcentage de la valeur ajoutée de l’ensemble de l’économie tel que celui-ci permette de payer le Smic à toutes les personnes qui participent à sa réalisation. Ce « pot commun » sera redistribué dans les entreprises au prorata du nombre de personnes y travaillant. Ainsi, les entreprises sont assurées de pouvoir garantir à chacun de leur travailleur.se une rémunération au moins égale au Smic. Ceci s’appliquera bien sûr aux travailleur.es indépendant.es qui se verront assuré.es d’avoir un Smic (ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui) et leur propre travail permettra d’améliorer leur revenu au-delà du Smic.

Comment les sociétés de capitaux – qui forment l’écrasante majorité de l’économie – vont elles réagir ? Elles ont tout intérêt à proposer des contrats de travail au Smic puisque celui-ci est garanti. Un contrat de travail au Smic, ce serait tout bénéfice pour une société de capitaux : c’est en quelque sorte du travail gratuit et la fraction de la valeur ajoutée que produira le salarié qui n’aura pas été prélevée par le système, forme le bénéfice de la société de capitaux. Dit autrement, c’est du profit sans aucun risque.

Heureusement, ceci n’est qu’une face de la médaille : les sociétés vont proposer tellement d’emplois au Smic que les salarié.es vont se montrer exigeant.es et demander de meilleurs salaires, prenant notamment en compte leur expérience. Ils-elles seront désormais en position de force et les sociétés devront rivaliser entre elles pour proposer des salaires attractifs. Ces sociétés auront alors le plus grand mal à générer du profit. En effet, elles ne sont actuellement en capacité de contenir les salaires que grâce à la menace du chômage et de l’exclusion. Par ailleurs, les sociétés à forte valeur ajoutée par salarié.e se verront ponctionner plus par le régime que ce qu’elles recevront (un Smic par personne employée), ce qui diminuera leurs profits, voire les mettra en perte.

Devant l’impossibilité pour les sociétés de générer des bénéfices, l’ensemble des sociétés de capitaux devront laisser place à des entreprises autogérées par leurs travailleur.ses. Celles-ci fonctionneront comme des associations d’indépendant.es : les participant.es à l’entreprise sont assuré.es chacun.e de toucher le Smic et disposeront de la fraction non prélevée de la valeur ajoutée qu’ils-elles se partageront en fonction de leurs contrats d’association qui remplaceront les anciens contrats de travail. Les inégalités à l’intérieur de l’entreprise seront désormais réfléchies et pensées par le collectif de travail en fonction des expériences de chacun.e et non imposées par une direction qui travaille dans le sens des actionnaires.

L’urgence écologique commande de supprimer ou de réduire certaines productions et à l’inverse d’en favoriser d’autres. Ceci sera déterminé par la délibération politique. L’autogestion permettra aux travailleur.ses de penser eux-mêmes la reconversion de leur propre entreprise. Par ailleurs, la fin du chômage et la multiplicité des postes de travail proposés fera que la peur de quitter un emploi et de changer d’entreprise disparaîtra.

On ne peut exclure que cette urgence écologique impose au final de réduire la production de façon significative. Dans un tel cas, il faudra, d’une part, réduire la durée légale du temps de travail pour traduire la réalité de cette production moindre et, d’autre part, pratiquer une politique inflationniste pour que la valeur monétaire de la production reste constante : ceci permettra de ne pas avoir à baisser les revenus nominaux, ce qui est essentiel pour celles et ceux qui ont des emprunts à rembourser.

Il est urgent de prendre en compte l’écologie dans nos modes de production et de consommation. Ceci impose des reconversions qui seront socialement douloureuses dans le cadre du capitalisme. En sortir signifie s’attaquer immédiatement à ce que ce système produit : le chômage, l’exclusion et la précarité. Ceci ouvre la perspective d’une économie composée de sociétés autogérées dans lesquelles les travailleur.ses seront titulaires de l’intégralité de la valeur ajoutée.

Benoit Borrits

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