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Le piège du jardin noir

Après un mois de combats et d’échecs des cessez-le feu, les forces azerbaïdjanaises progressent et rêvent de victoire, profitant de leur supériorité matérielle dont l’apport décisif des drones israéliens et turcs. Les Arméniens ne veulent rien lâcher.

Le conflit du Nagorno (haut) Karabagh (jardin noir) ou Artsakh pour les arméniens, dure depuis des décennies. Le pouvoir stalinien avait attribué le district du Nagorno-Karabakh, peuplé majoritairement d’Arméniens, à l’Azerbaïdjan. Lors de l’effondrement de l’URSS les arméniens ont refusé la tutelle azerbaïdjanaise, ce qui a conduit à la guerre de 1988-94, ses 30 000 victimes directes et le déplacement de centaines de milliers de personnes, provoqués par des politiques de « purification ethnique » de part et d’autre. Des Arméniens ont quitté l’Azerbaïdjan, des Azéris l’Arménie, le Nagorny Karabakh et les territoires avoisinants (sept districts) conquis par les forces arméniennes.

L’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), et son « groupe de Minsk » (présidé par la Russie, les Etats Unis et la France ), ont proposé des principes dit « de Madrid » : statut intérimaire de Haut Karabagh en attendant la consultation des populations, garanties de sécurité et déploiement de forces de paix, évacuation des sept districts occupés, droit des réfugiés. Principes refusés tour à tour par les deux belligérants.

Du coté arménien, les anciens leaders du Karabagh, devenus chefs de l’Arménie de 1997 à 2018, Robert Kotcharian et Serge Sarkissian, ont pensé pouvoir camper sur leur acquis, et proclamé que l’Artsakh incluait les « sept districts ».

Du coté azerbaïdjanais Ilham Aliyev (le fils du dirigeant de l’époque soviétique) a profité de l’enrichissement du pays (et du sien propre) grâce aux hydrocarbures, pour acheter des armes et préparer « la revanche ».

Les deux régimes, confrontés à des mouvements sociaux contre la corruption et les inégalités, ont développé la rhétorique nationaliste pour faire taire les contestations.

En avril 2016 les forces azerbaïdjanaises sont passées à l’offensive pendant 4 jours, « la revanche » était possible, la guerre future probable, mais personne n’a bougé. Sinon qu’en 2018 le régime corrompu de Sarkissian est tombé en Arménie suite à la révolution pacifique de Nikol Pachinian. Espoir pour une relance des négociations ? Pachinian, sous pression des nationalistes, est resté sur la ligne du « statuquo ». Aliyev a pu lancer son offensive de septembre 2020, profitant de la paralysie américaine, de l’impuissance européenne, de la neutralisation de l’Iran (soutien de l’Arménie dans la guerre précédente), des hésitations russes, avec l’appui total de la Turquie de Recep Tayyep Erdogan.

Jusqu’ou l’Azerbaïdjan va-t-il pousser son ascendant militaire ? Vladimir Poutine a tout à craindre d’un effondrement arménien, mais a-t-il les moyens de contraindre Aliyev a se contenter d’une demi-victoire, sur fond de tension russo-turque croissante ?

En attendant les métastases se développent. L’Inde de Modi soutien l’Arménie « contre les musulmans », le Pakistan l’Azerbaïdjan « contre les chrétiens ». Dans les diasporas arméniennes, naturellement solidaire des arméniens, des discours nationalistes « contre les turcs » s’amplifient dans les communautés turques spontanément aux coté des azerbaïdjanais, les discours nationalistes et anti-arméniens se développent.

Pendant la guerre de 1988-94, et après (jusqu’au milieu des années 2000) des initiatives de paix entre arméniens et azerbaïdjanais, soutenues par des partenaires internationaux avaient pu exister… avant de s’étioler dans l’indifférence et la répression… Au début de cette guerre-ci, une « Déclaration de paix » a été signée par des centaines de personnes, arméniens, turcs, azerbaïdjanais, autres

Le cessez le feu doit être imposé et une solution juste et durable advenir au beau pays du Jardin Noir.

Bernard Dreano

Auteur de  Guerre et Paix au Caucase, Empires, peuples et nations. Ed. Non-Lieu 2009

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